«Berlusconi, vous savez, il va dans ces cliniques où l’on vous fait une liposuccion. Mais à mon avis, on lui a “liposucé” une partie du cerveau» (extrait du spectacle de Beppe Grillo sur la Rai, 1993). Bon, lu comme ça, ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais dans l’ambiance d’un spectacle comique, et avec l’énergie de Beppe Grillo, ça vous tire au moins un sourire. Beppe Grillo, c’est le stéréotype de l’humour criard. Il hurle, beugle, braille jusqu’à s’époumoner. Il sue beaucoup et postillonne sur son public. Il ne reste pas en place et préfère se promener au milieu du public que de monter sur scène. Bref, un style très physique.
Cette façon de jouer le rôle de l’aliéné révolté sur scène, c’est sa signature et sa recette. «Il est toujours dans la surenchère. Il crie et décrie, jusqu’à fatiguer les gens, puis s’arrête et les surprend en reprenant son rôle de bouffon. C’est un contraste qui fonctionne bien», explique Roberto Caracci, auteur de Il Ruggito del Grillo (Moretti&Vitali, 2013).
Dans son dernier meeting à Milan par exemple, à cinq jours du dernier scrutin, après plusieurs minutes passées à vociférer en se congratulant du succès de ce rassemblement, il lance: «on dirait qu’il y a déjà eu quelques meetings sur cette place, je sens comme une petite odeur de naphtaline», en référence au meeting, la veille, du leader démocrate Pierluigi Bersani. Puis toujours en s’adressant à ses opposants politiques, de gauche comme de droite, il ajoute:
«Rendez-vous! Le peuple italien a parlé! Allez-vous en! Mais ne vous inquiétez pas, nous ne seront pas violents. Nous arriverons démocratiquement. On vous traitera bien, on prendra soin de vous comme des malades mentaux qu’il faut caresser.»
Et la foule rit et applaudit.
Puis viennent les sujets sérieux, le ton sévère, accusateur, acharné même. Jusqu’à un certain point. Car il faut aussi amuser le public debout dans le froid. Alors il enfile à nouveau le costume du comique. «Personne ne pensait qu’on deviendrait la première force politique en Sicile. Nous y sommes arrivés! Je me suis jeté dans le détroit de Messine! On pensait que j’allais mourir d’une crise cardiaque dès les premiers mètres, tu parles, je suis même arrivé avant le ferry!» Et rebelote, la foule l’acclame.
Il faut dire que Grillo impressionne. Facile de craquer pour ce petit mec à bouclettes, son sourire malin et ses yeux qui pétillent. Ses discours sont des performances d’une heure. Deux heures dans certains de ses anciens spectacles. «Le temps passe sans qu’on s’en aperçoive, témoigne une Italienne qui est allée le voir un jour au théâtre, après, on aime ou on n’aime pas, il n’y a pas d’entre-deux.»
Double casquette
Ce qui est sûr, c’est que l’humour de Beppe Grillo n’est pas de ceux pinçant, délicats, presque littéraires à la Raymond Devos. Sans tomber non plus dans le Bigard ou le Dubosc, il n’échappe pas, de temps en temps, à certaines lourdeurs. Comme lorsqu’il s’adresse à un père venu avec son fils dans le public, et lui demande s’il n’est pas pédophile... Ou encore, se souvient Roberto Caracci: «Lorsqu’il interpelle un spectateur sur sa coupe de cheveux et lui dit “ce sont tes vrais cheveux ou tu fais de la chimio”?»
Mais ces écarts sont rares puisque ses thèmes de prédilection concernent surtout la politique –ou plutôt les politiques– ainsi que des problématiques plus ciblées comme le développement durable, le recyclage –grand problème de l’Italie, on se souvient des poubelles de Naples– et l’énergie renouvelable. «Italiens! [référence à l’interjection de Mussolini] Il me faudrait deux petites années de dictature, seulement deux pour tout changer et tous les mettre dehors, et ensuite je m’en irais», lance-t-il en se mordant les lèvres lors de son dernier spectacle en salle à Rome en 2007.
Ni l’un ni l’autre
Beppe Grillo peut être drôle, très drôle même, si l’on remonte aux premiers sketches qui l’ont fait connaître à la fin des années 1970. Il aborde des sujets plus légers, comme ici lorsqu’il se moque des publicités de l’époque:
«Les personnes dans les publicités ne sont pas des gens normaux. Parce qu’on ne pas être “normal” quand on a une réaction du genre celui qui rentre à la maison et dit (il prend une position de gorille et sa une grosse voix) ”Marta! J’ai faim!” (il hausse le ton) “Marta! J’ai travaillé 18h, qu’est-ce qu’il y a à manger?” (il prend une petite voix ridicule pour jouer la ménagère) “Mozzarella, mozzarellina” (Rires du public, il marque un temps et son visage se crispe) Mais une personne normale, comme nous, prendrait le plat de mozzarella… et lui dirait (il fait signe à de s’approcher) “Marta, viens ici un moment, viens là, non ne t’inquiète pas je ne te ferais rien” (il reprend une voix normale et mime) Et il lui foutrait sa mozza partout sur le corps ! (Rires) Alors que non, le gars enchaîne: “Quoi! Mozzarella, mozzarellina?” Et tititititi une petite musique joyeuse résonne dans la cuisine.»
Il fait dans l’imitation à la Gad Elmaleh. Dans un autre sketch pour la télé intitulé Fantastico en 1979, il se moque des méthodes pour faire maigrir:
«Il y a celle qui tente le bain avec sels de bain, achetés par correspondance. Donc la nana se dit “Je veux me faire un bain”. Elle appelle le maçon qui lui construit une baignoire énorme –elle y rentre à peine– et elle se jette dedans. Un quart d’heure après, blup blup, il y a de la mousse partout! Elle sort et on dirait Eduardo Di Filippo (acteur italien) avec une perruque! Mais quoi, ils ont mis un piranha dedans c’est pas possible!»
C’est quand il commence à se spécialiser dans la satire politique, vers la fin des années 1980, que le comique se transforme en polémiste, vif dans ses propos —mais pas moins rafraîchissant— comme dans sa gestuelle. Beppe Grillo est un orateur, un tribun, une personnalité qui exprime ses idées de façon percutante, assaisonnées de blagues, histoire de mieux faire passer le message.
C’est aussi ce que concluent Fabio Liberti, Stefano Montefiori, Eric Valmir, tous trois spécialistes de l’Italie, invités de l’émission Le Téléphone sonne, sur France Inter, consacrée à la situation politique du pays. Ils finissent par décrire Beppe Grillo avant tout comme un politique, plus qu’un comique. Ils refusent d’ailleurs de le comparer à Coluche, contrairement à beaucoup qui voyaient en lui son égal italien.
Pour Roberto Caracci, c’est justement ça le problème:
«Il a emmené son personnage d’humoriste de télé, puis de théâtre, dans l’arène politique, et ça s’est retourné contre lui. Il n’a pas encore su mettre à jour sa manière de faire dans un contexte plus sérieux, qu’est celui de la politique. Il applique les codes du comique dans un espace qui n’a rien de comique.»
Les remarques récurrentes d’Italiens comme «je ne l’écouterai pas tant qu’il continuera à hurler» ou encore «il était bien mieux quand il faisait de l’humour» continuent de le couper d’une partie de l’opinion.
Non, Beppe Grillo est un contestataire, un communicant et un homme public inscrit dans une démarche politique. Mais ce n’est ni un comique, ni un homme politique, aux sens propres des termes, puisque qu’il est les deux à la fois.
Camille Maestracci