Real Humans tous les jeudis du 4 avril au 2 mai 2013 à 20h50 sur Arte
A la frontière entre le fantasme et le réalisable, le robot androïde infuse la science-fiction depuis ses prémices. L’écrivain fantastique Auguste de Villier de l’Isle Adam imaginait déjà en 1886 dans l’Eve Future une andréïde, femme artificielle (le mot robot n’apparaîtra qu’en 1921) parfaitement adaptée aux désirs du mysogyne.
Dans la série Real Humans diffusée à partir de ce jeudi soir sur Arte, les robots («Hubots») ne répondent pas tous aux critères de perfection que nous pourrions vouloir enfin réunir dans un être humain. Si la plupart arborent une plastique irréprochable, ça n’est pas le cas de certains robots de basses œuvres. [ATTENTION SPOILER SUR LA SUTE DE CE PARAGRAPHE] Moralement non plus, les Hubots ne semblent pas tous particulièrement exemplaires et certains vont violer les lois d’Asimov, qui sont implicitement citées dans la série. Plus étonnant, un robot-mégère-ménagère, va jusqu’à administrer à son insu des somnifères à son propriétaire [FIN DU SPOILER].
Dans cette série, par ailleurs visiblement bien documentée et plutôt convaincante, point comme presque toujours dans la science-fiction, l’éternelle crainte d’un soulèvement des robots.
Pour qu’une telle issue soit envisageable, il faudrait d’abord que nous ayons résolu le problème de l’intelligence artificielle, ce qui, n’en croyez pas la robohype, n’est absolument pas le cas. Pourtant, avec cette crainte à l’esprit, nous continuons à fabriquer des robots humanoïdes qui nous ressemblent de plus en plus. Quel est donc l’intérêt de fabriquer de faux humains? N’y a-t-il pas une infinité de choses que d’autres formes que les notres réaliseraient mieux? Au-delà de l’apparence, pourquoi vouloir mettre en œuvre des éléments de personnalité et des émotions dans les robots?
1 La voix de son maître
Pour les chercheurs, donner aux machines des caractéristiques humaines pourrait nous permettre d'interagir plus naturellement, et donc plus efficacement avec elles. L'outil de communication principal de l'homme étant le langage, il serait avantageux de donner aux robots la capacité de le comprendre et, éventuellement, d'y répondre.
Roger K. Moore, spécialiste de la parole de synthèse à l'Université de Sheffield, au Royaume-Uni, explique:
«La parole est un canal à haut débit pour l'information. C'est probablement la meilleure manière d'interagir avec un robot.»
La prise en main des machines deviendraient intuitif, calquée sur le modèle des interactions sociales. Pour Roger K. Moore, il faudrait même que ces interactions humain-machine aient la qualité de conversations, sans en avoir la complexité.
Les applications sont pour l'instant très limitées. Roger K. Moore l'admet:
«Je suis dans le domaine de la synthèse de parole depuis 35 ans, et je ne suis pas entièrement convaincu de ce qu'on pourra en faire. C'est tellement simple d'appuyer sur un bouton. Sauf quand on a les mains occupées, que l'on regarde ailleurs. Dans les voitures, les applications sont fantastiques.»
En témoignent en effet les GPS de voiture, les synthèses vocales imitant la voix humaine sont aujourd'hui plutôt convaincantes même si une machine parlante peut vite se révéler un tantinet irritante.
Malgré de grands progrès dans le domaine de la synthèse de langage, l'utilisation de la parole par les machines reste en effet très sommaire. Elle est également dénuée des ambiguïtés, des intentions et de tous les messages implicites contenus dans la moindre phrase prononcée par un être humain. Et ce n'est peut-être pas plus mal. «Je suis un fervent défenseur des voix de machine pour les machines. Si vous fabriquez une poubelle parlante, il faut qu'elle ait une voix de poubelle. Il y a des manières de faire ça. Mais les investisseurs préfèrent les voix humaines, ils pensent que c'est ce que le public attend» dit le professeur Moore.
Tromper les usagers en dotant les robots d'une voix humaine, c'est créer chez eux des attentes auxquelles la machine ne pourra pas répondre: «Pour l'instant, derrière une voix de synthèse humaine, il n'y a qu'une machine très limitée, qui n'a aucune idée de ce qu'elle dit», insiste Roger K. Moore. Et la différence entre les attentes et la réalité est susceptible de créer un sentiment de malaise, la fameuse inquiétante étrangeté («uncanny feeling») théorisée par Masahiro Mori dans The Uncanny Valley.
Mais si l'apparence, les performances, la voix et le discours du robot s'alignent sur quelque chose de très réaliste, comme dans Real Humans, les usagers seraient alors susceptibles d'attribuer des sentiments et des comportements humains à des machines qui n'ont pas été programmées pour. D'inquiétude, on passerait à une forme d'anthropomorphisme, guidée par l'empathie ressentie à l'égard de ces figures humaines.
Dans Real Humans, les hommes imaginent les Hubots capables de vol, de mensonge et éventuellement d'excitation sexuelle. Et ils sont déçus lorsque les robots révèlent leurs limites. Roger, un personnage aigri par le départ de sa femme avec le Hubot de la maison, traite régulièrement d'imbéciles les Hubots qu'il trouve sur son chemin, lorsque leurs capacités intellectuelles se dévoilent.
2 Une plastique versatile
La forme humaine n'est pas forcément la plus efficace pour effectuer toutes les tâches. Un évier automatisé, qui lave et range les assiettes, serait peut-être plus effficace qu'un robot humanoïde pour faire la vaisselle. Mais le corps humain est versatile, il est capable d'effectuer une infinité de tâches différentes. C'est aussi ce qui est le plus difficile à mettre en œuvre dans un robot. La polyvalence n'est pas leur fort.
Il ainsi peut probable de voir des lieux de travail comme dans Real Humans, où des Hubots sont utilisés simplement pour déplacer des boîtes à la chaîne.
Peut-être faudrait-il plutôt y voir, et cela apparait souvent dans la série, une résurgence des velléités esclavagistes des membres de la société qui y est dépeinte. Quant aux fantasmes provoqués par l'idée d'une sexualité avec des robots, ils pourraient être vus comme le symptôme d'une volonté de dominer absolument un autre être. Cela étant quasiment impossible à réaliser en compagnie d'un être doté d'une volonté propre, un fac-similé peut présenter une alternative attrayante. Dans Real Humans, les robots sont volés et revendus au marché noir, et atterrissent souvent dans des bordels clandestins.
3 Des émotions pour mieux se comprendre
Ceux qui imaginent les robots androïdes de demain souhaitent, en plus d'une apparence et d'attitudes humaines, les doter de ressentis similaires au notre. Ainsi, l'androïde serait à notre image autant intérieurement qu'extérieurement. Les six émotions primaires (joie, dégoût, colère, peur, tristesse, surprise) sont universellement reconnues par les êtres humains, mais aussi par certains chiens.
Donner aux robots des expressions faciales identifiables, qui pourraient par exemple correspondre à certains besoins de la machine, permettrait aux propriétaires de détecter une panne par exemple. Puis, surtout, partager la même expression des émotions donne de la place à l'empathie, un des fers de lance de la recherche dans les relations homme-robot. Sans émotions, impossible de créer des liens.
Au-delà d'une expression superficielle, le domaine de l'informatique affective tente de programmer de «véritables» émotions dans des machines. Les usages pourraient être multiples.
On voit dans le premier épisode de «Real Humans» des Hubots arborer une moue de dégoût lorsque la boîte crânienne d'un de leurs comparses est ouverte et que le «cerveau» en est retiré. Le dégoût ressenti par les humains à la vue du sang ou des organes internes a le plus probablement évolué pour nous encourager à nous préserver des blessures. Intégrer une émotion inspirée du dégoût dans un robot pourrait-elle permettre de faire en sorte que cette machine, très coûteuse, fasse de son mieux pour se protéger des dégâts?
Mieux encore, dans le contexte de l'intelligence artificielle, les chercheurs souhaiteraient utiliser les émotions pour renforcer les apprentissages. C'est ce qui arrive pour nous et pour tous les mammifères et autres animaux dotés d'émotions (elles sont très répandues dans la nature). Un comportement va être jugé comme reproductible ou non en fonction de la réponse émotionnelle qu'il a apportée. Pour une intelligence artificielle, il est possible «d'apprendre» à ne pas reproduire certaines actions si elles évoquent des émotions artificielles négatives, insérées dans les boucles de programmation.
Les succès de la recherche dans le domaine sont pour l'instant limités. Plutôt que donner des émotions aux robots, les scientifiques espèrent surtout qu'ils aient la capacité de ressentir les nôtres. Les robots pourraient alors être programmés pour répondre en fonction, un peu à la manière d'un chien qui accoure lorsqu'on lui ouvre les bras.
4 Le bon comportement en société
Les êtres humains ont la particularité de vivre dans des sociétés organisées au sein desquelles les interactions suivent des règles codées. Si les robots doivent s'y insérer, il faudra qu'en plus de nous ressembler physiquement et émotionnellement, ils soient capables d'adopter un comportement humain dans ces situations. Les formules de politesse font d'ailleurs partie des premières choses que programment les roboticiens dans leurs machines.
Dans «Real Humans», les robots détectent les situations sociales et y répondent généralement bien. Ils sourient lorsqu'on les regarde, tournent la tête si on leur parle, disent bonjour lorsqu'ils croisent un humain. Mais ces paramètres sont en réalité très difficiles à mettre en oeuvre.
Florent Lamiraux, chercheur en robotique au LAAS, explique:
«Dans les interactions sociales, tout se passe très vite. En un quart de seconde, vous saurez si vous connaissez la personne que vous croisez dans la rue, vous savez si elle sourit, si elle vous regarde, s'il faut lui dire bonjour. Pour un robot, il est pour l'instant difficile de gérer tous ces paramètres.»
Si les petites interactions gestuelles fluidifient le lien entre humains et robots, elles peuvent, encore une fois, porter à confusion sur la nature de l'intériorité du robot. Dans la série, des membres masculins semblent ainsi troublés par les regards «complices» qu'une Hubot domestique leur renvoie. On ne sait guère jusqu'à quel point ce Hubot, qui a une histoire particulière et semble plutôt subtil dans ses actions, perçoit et interprète les gestuelles humaines.
5 Maître des petits robots
Et si finalement, l'utilité d'un robot humanoïde reposait surtout sur ses aptitudes inégalées à communiquer avec d'autres robots, aux interfaces moins intuitives?
Zaven Paré, artiste et roboticien précise:
«En présence d'un robot de forme humaine, avec une personnalité, on va se comporter comme avec un humain. Il suffit de s'adresser à lui par la parole, l'interface est intuitive. Cela pourrait devenir l'élément central de la domotique, l'androïde qui gérerait nos demandes concernant tous les objets connectés de la maison.»
L'androïde n'aurait alors même pas à se déplacer, il commanderait pour nous, en bon majordome, les tâches à réaliser par les autres machines de la maison. Si elles devenaient trop sophistiquées, cela pourrait devenir nécessaire. Dans Real Humans, Roger ne parvient pas à utiliser une machine à café. C'est alors un Hubot qui lui vient en secours, et appuie pour lui sur les boutons appropriés.
Pamela Duboc