Monde

Iran: faire passer le mot

Temps de lecture : 3 min

Les journalistes étrangers ne peuvent plus travailler, mais le courageux peuple iranien va continuer le combat.

TEHERAN, Iran - «Faites une pause sur le Grand Escalier de Persepolis et imaginez des trompettistes annoncer votre arrivée»... «Laissez-vous tenter par une glace à l'eau de rose en vous baladant entre les ponts centenaires d'Esfahan».

Je regarde la quatrième de couverture du dernier guide Lonely Planet sur l'Iran en écoutant les Cowboy Junkies sur mon iPod, parce que c'est à peu près tout ce que je peux faire pour l'instant.

Le Ministère de la Culture Islamique, plus connu sous le nom d'Ershad, a dit -poliment, je dois bien l'admettre- à tous les journalistes qui travaillent en Iran pour des médias étrangers qu'ils ne devaient plus écrire sur les évènements qui se déroulent juste au coin de la rue.

«Nous ne contrôlons pas la situation, et nous ne pouvons plus garantir votre sécurité en Iran» ont-ils dit. Vue la tournure des évènements, je ne sais pas s'ils le pourront à nouveau. Il semble que beaucoup des tentacules de la classe politique locale tentent surtout de limiter les dégâts.

J'ai appris la nouvelle un peu plus tard que certains de mes camarades. J'étais dans la rue Valiasr en train de regarder la foule de gens, dont beaucoup étaient habillés en noir en signe de deuil, marcher silencieusement vers une manifestation prévue devant le siège de la télévision d'Etat iranienne.

«Ne prenez pas de photos ou de vidéos» m'a-t-on demandé. J'ai accepté, puisque j'avais vu beaucoup d'habitants de la ville documenter les évènements eux-mêmes.

Je suis resté là, à me demander quel chemin prendre pour rentrer chez moi, alors que les milliers de personnes, qui il y a quelques jours encore espéraient tellement de l'élection à venir, continuaient de marcher. Beaucoup d'entre eux portaient des pancartes en Anglais, prévues pour les photos des médias étrangers, remarquablement absents. En effet, cette dernière semaine m'a souvent donné l'impression d'une série d'occasions manquées de faire de grandes photos.

Et pourtant, on espérait beaucoup que l'information circulerait. Je savais que la poignée de journalistes étrangers toujours en Iran pourraient donner un coup de main en transmettant ce qu'ils voyaient. Etant données les limites qu'on nous avait imposées avant même que la situation ne devienne controversée, je pense que nous avons quand même réussi à rapporter une situation que personne ne semble pouvoir définir.

Peut-être est-il suffisant de donner un aperçu de la confusion ambiante, des conjectures qui courent et —parce qu'il n'existe pas de meilleur mot— de l'escroquerie.

C'est le courageux peuple iranien qui a véritablement permis de faire circuler l'information. Ils ont réussi à attirer l'attention de la communauté internationale avec guère plus que des téléphones portables qui prennent des photos et des connections bas-débit.

Le lendemain de l'élection, quand la police anti-émeute a frappé des manifestants qui avaient jeté des pierres, j'ai couru à l'abri alors que des centaines d'Iraniens restaient là, sans bouger, pour «capter la scène».

Pour des gens qui ont fait l'expérience de la violence ces trente dernières années, particulièrement quand les bombes de Saddam Hussein ont touché Téhéran, prendre des coups pour une cause noble semble pour une fois raisonnable.

Malgré le blocage des services de SMS, la coupure des services de téléphones portables, et le fonctionnement d'internet qui fait parfois l'effet d'une sentence au purgatoire, ils ont continué à faire sortir ces images et ces vidéos.

N'oublions pas que ce sont les enfants de gens qui ont reconstitué des milliers de pages de documents broyés après que l'Iran ait pris le contrôle de l'ambassade américaine en 1979.

Twitter, comme tout le monde le sait maintenant, joue un rôle clé dans la mobilisation pour les manifestations quotidiennes, bien que le site soit bloqué tout comme Facebook et YouTube. Vous vous demandez sûrement comment les gens peuvent tweeter. Et bien des Iraniens ingénieux ont depuis longtemps évité ces filtres, en créant des serveurs proxy à travers lesquels l'accès à toutes sortes de sites interdits est possible.

Et je ne pense pas qu'on puisse revenir en arrière. Pendant des années, la plupart des règles qui limitaient l'accès du reste du monde aux informations venant de l'Iran n'ont pas été appliquées de manière très vigoureuse. J'ai l'impression que si le régime veut se mettre à les imposer maintenant, ce sera une bataille difficile.

En attendant, des images contradictoires circuleront en dépit de la rhétorique officielle, et il reviendra au reste du monde de déchiffrer ce qui se passe réellement ici. Bienvenue au club.

Article de Jason Rezaian paru sur Slate.com le 17 juin, traduit de l'anglais par Cécile Dehesdin.

(Photo: Reuters)

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