Économie

Entreprises: la bulle de l'externalisation au bord de l'éclatement

Temps de lecture : 6 min

Findus avec la viande de cheval, Boeing avec les batteries de son dernier avion, comme auparavant Total avec l’Erika, Apple en Asie et bien d’autres: les problèmes liés à une sous-traitance excessive et mal maîtrisée sont omniprésents.

Relay Runner Passing Baton off to Next Runner / tableatny via Flickr CC License by.
Relay Runner Passing Baton off to Next Runner / tableatny via Flickr CC License by.

Les plats préparés à base de viande pour Findus, les batteries révolutionnaires sur les avions Boeing, l’affrètement de pétroliers pour Total ou le forage offshore dans le golfe du Mexique pour BP… A priori, aucun rapport.

Sauf que dans chaque cas, la prestation a été externalisée et qu’un scandale, un jour, est venu sanctionner ce choix. Incapacité de Findus à déceler une escroquerie à la viande de cheval à cause d’une traçabilité défaillante, impuissance de Boeing à trouver la cause de débuts d’incendie sur ses 787 interdits de vol, utilisation d’un bateau poubelle par Total qui se traduit par le naufrage de l’Erika, explosion à bord d’une plateforme de forage pour BP, indirectement responsable de la mort d’ouvriers et d’un désastre écologique en Louisiane…

Ce ne sont que quelques cas parmi les plus significatifs pour lesquels le recours à un prestataire extérieur s’est soldé par une catastrophe pour l’entreprise, voire pour son environnement. On pourrait aussi citer la cascade de problèmes que connut Toyota aux Etats-Unis à cause d’une pédale d’accélérateur fournie par un équipementier, bloquée par un tapis de sol.

Une pratique utile lorsqu’elle reste maîtrisée

La crise des «subprimes» entre aussi dans cette problématique: elle mit sur le flanc les banques qui, plutôt que de créer leurs propres produits financiers, avaient utilisé ceux que des fonds spéculatifs leur proposaient sans vérifier leurs composition et en se contentant de promesses de rendement attractives. Comme dans le cas de la fausse viande de bœuf, un dysfonctionnement dans la traçabilité des produits financiers nocifs est à l’origine de la crise bancaire qui s’en suivit. Le processus d’externalisation n’étant plus sous contrôle, tous les excès devenaient possibles jusqu’à l’escroquerie.

Il n’est pourtant pas question de condamner l’externalisation. C’est une question de dosage et de maîtrise. Se concentrer sur ce qu’on sait faire et transférer le reste à des spécialistes peut au contraire être considéré comme une décision de bonne gestion, dans la mesure où c’est une façon d’utiliser les compétences où elles se trouvent et d’éviter l’immobilisation de capitaux dans des investissements difficiles à rentabiliser.

Toutes les entreprises pratiquent l’externalisation. Les services de transport et de logistique, les services informatiques, comptables et fiscaux, la maintenance, les services généraux et la gestion de la paie sont les plus sous-traités à des spécialistes. Ceux-ci bénéficient d’économies d’échelle et acquièrent des expertises auxquelles leurs clients n’ont pas accès, et ces externalisations ne portent pas sur des secteurs stratégiques pour les entreprises qui y ont recours.

A trop externaliser, on perd l’expertise

Mais le risque est bien plus grand lorsque l’externalisation s’approche du cœur de métier et prive l’entreprise de savoir-faire.

Avec des différences. Certes, les enjeux ne sont pas vitaux lorsqu’une marque de parfum confie à un «nez» extérieur le soin de trouver de nouvelles fragrances. En revanche, les conséquences peuvent être beaucoup plus dommageables pour l’emploi ou pour la sécurité lorsqu’une entreprise externalise sa production pour ne plus devoir investir dans l’outil industriel.

Ainsi Alcatel, qui rêvait de devenir un groupe sans usine et a vendu un grande partie de ses unités de production, a finalement lâché prise sur le marché des télécommunications. Findus, qui s’est progressivement tourné vers des sous-traitants pour fabriquer ses plats préparés, est dans la même problématique. Lorsque l’externalisation touche des pans d’activité stratégiques, la perte de compétences devient un risque réel.

Des entreprises qui avaient eu tendance à externaliser la recherche et développement dans les années 90 l’ont bien compris et ont rapatrié les bureaux d’études. Aujourd’hui, Boeing n’a-t-il pas été trop loin en externalisant 70% de la production de son Boeing 787 (et la recherche associée) à des sous-traitants, et en leur imposant des calendriers très serrés? BP assume-t-il sa place dans l’industrie pétrolière lorsqu’il confie des forages à Transocean malgré une succession d’accidents?

Mal contrôlé, le low-cost coûte cher

L’objectif de l’externalisation consiste à réduire les dépenses. Mais avec le temps, cette financiarisation induit des effets pervers, comme la dépendance du donneur d’ordre à son sous-traitant, le premier devenant même dépendant du second pour l’amélioration de sa compétitivité. Un comble, mais tant pis!

Ce qui est au départ une délégation de tâches en fonction des compétences tourne prioritairement à la compression des coûts. Les donneurs d’ordre exercent des pressions sur leurs fournisseurs, qui répercutent les contraintes sur leurs propres sous-traitants en cascade.

Les équipementiers du secteur de l’automobile se plaignent de ces pratiques introduites à la fin du siècle dernier par la montée en puissance des «cost killers». Mais concurrence oblige, ils passent sous les fourches caudines des constructeurs.

La pratique des appels d’offres est un autre «pousse-au-crime» qui incite, pour décrocher les contrats, à proposer des prix bas. A charge ensuite d’assurer les prestations. Le processus est dangereux: avec des marges réduites, les entreprises sont dans l’impasse.

C’est la porte ouverte aux délocalisations des centres de production, suivis par les centres de recherche, aux transgressions des réglementations sociales et salariales, aux dérapages par rapport aux normes sanitaires et de sécurité… La pratique d’une externalisation low-cost peut avoir des conséquences redoutables lorsqu’elle conduit à utiliser un bateau comme l’Erika. Depuis son naufrage, l’Europe de la mer a pris des dispositions pour mettre fin à pareille dérive, au moins sur ses côtes.

Des risques qu’on ne peut supprimer

Ailleurs, dans le nucléaire, secteur pourtant sensible, il a fallu que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) soulève la question du risque induit par le recours à la sous-traitance dans la maintenance pour que, l’an dernier, un document sur l’analyse de l’externalisation dans les centrales françaises soit établi. Des signaux préoccupants avaient été observés.

Autre dossier, bien plus tragique: Fukushima. Il n’existe pas de cause à effet entre la maintenance et un tsunami. Mais dans cette centrale japonaise, le taux de sous-traitance était de l’ordre de 80%, et les effets du tsunami ont été démultipliés par l’incapacité des systèmes de secours à prendre le relais des installations défaillantes pour le refroidissement des cuves. Pourquoi cette faille dans la chaîne des contrôles?

Des systèmes complexes d’approvisionnement et de sous-traitance se mettent en place, surfant sur la mondialisation. Cette complexité sur fond de compétition économique génère des risques qui peuvent être maîtrisés, mais pas supprimés. Que le contrôle se relâche ou ne s’applique plus sur l’intégralité de la chaîne à cause de l’accroissement de la complexité, et c’est le drame.

Les plus belles marques ont ainsi été victimes d’une externalisation mal maîtrisée. Apple a été accusée de fermer les yeux sur la maltraitance chez certains de ses sous-traitants. Nike eut beaucoup de mal à faire oublier que ses fabricants asiatiques faisaient travailler des enfants. Des marques, pourtant, aux images fabuleuses!

Une façon de mieux maîtriser le risque consiste à moins externaliser et moins loin, pour que le contrôle puisse mieux être exercé. Des entreprises qui «relocalisent» ont choisi cette solution. Pour éviter d’alimenter une bulle qui, en tant que telle, risque toujours d’exploser.

Gilles Bridier

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