Je manifeste mon enthousiasme personnel à l’égard de Twitter des dizaines de fois par jour en postant mes propres tweets (messages courts), en lisant une grande partie des messages publiés par mes 72 contacts et en renvoyant des tweets à n’en plus finir.
Toutefois, mon engouement pour Twitter connaît une limite: contrairement à mes collègues journalistes fans des nouvelles technologie, j’ai trouvé que ce site a fait beaucoup de bruit, mais a donné peu de clés pour comprendre l’explosion sociale qui secoue l’Iran. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun renseignement pertinent dans le lot, mais seulement que mon filtre intellectuel n’est pas assez fin pour retenir les informations fiables à propos de l’Iran. Il y a deux jours, le contributeur de Slate, Joshua Kucera, a publié sur le site Internet True/Slant une liste d’erreurs factuelles que les utilisateurs de Twitter diffusaient au sujet de l’insurrection iranienne: on a pu lire, par exemple, que 3 millions de personnes manifestaient contre le régime, que Mir Hossein Moussavi était assigné à résidence et que l’élection avait été invalidée par les autorités.
Mais avant que vous – qui faites partie des millions de gens qui vantent Twitter comme étant la CNN du peuple, un outil de démocratie indispensable et une incroyable source d’information pour les journalistes – ne me tombiez dessus et ne veuillez me couper ma connexion Internet, soyez rassurez, je vous comprends. Je ne construis pas un homme de paille pour l’abattre ensuite. J’apprécie, comme l’écrit le célèbre éditorialiste de The Atlantic sur son blog, que la plupart des articles ont davantage vocation à «donner des impressions plutôt que des faits bruts». Mais disons que mon désir d’impressions est assez vite assouvi, contrairement à ma soif d’infos factuelles. Si on devrait pouvoir critiquer l’Ayatollah Ali Khamenei sans crainte de se faire tirer dessus, alors il faut qu'on puisse aussi examiner minutieusement Twitter.
Sur MotherJones.com, Kevin Drum explique qu’avant de plier le genou devant le pouvoir révolutionnaire de Twitter, il faut se rappeler que les manifestations massives et authentiques ont existé avant Twitter ou même Internet.
L’un des plus sévères détracteurs de Twitter que j’ai lu cette semaine s’appelle Evgeny Morozov. Sur le site d’info ForeignPolicy.com, il a exposé son avis hérétique selon lequel un contrôle ou un blocage des tweets et des articles de blog publiés par des manifestants iraniens dans le pays n’est peut-être pas la priorité numéro un du régime. «Lorsque des vraies émeutes se déroulent dans les rues, les «émeutes» sur Twitter n’apparaissent pas comme une vraie menace», écrit-il. Par ailleurs, Evgeny Morozov doute que Twitter ait contribué à l’organisation des manifestations, même si le réseau social a permis de braquer les projecteurs sur la crise iranienne.
Mais ne prenez pas Morozov pour un ennemi irréductible de Twitter. Il affirme avoir inventé, au mois d’avril, la «version moldave de la révolution Twitter». Selon lui, le nombre d’utilisateurs de Twitter dans un pays instable n’est pas aussi important que leur capacité à diffuser des infos. Il ne faut pas sous-estimer l’effet de réseau de quelques auteurs très engagés.
En même temps, Morozov comprend que le rôle des médias sociaux dans les tentatives de renversement de régimes despotiques est limité. «Si vous projetez de renverser le régime de Castro et que vous évoquez votre plan sur Twitter, franchement, ce n’est pas la peine de vous fatiguer.» De même, il explique qu’il était opposé à l’utilisation de LiveJournal.com pour organiser des mobilisations éclair en Biélorussie en 2006: «cela me paraissait stupide, puisque le KGB consultait pratiquement les mêmes blogs que les militants.» (Dans un autre article, Morozov raconte comment Twitter a mal informé la population à propos de la crise de la grippe porcine.)
La révolution Twitter a peut-être un côté obscur. Jason Zengerle, de la revue The New Republic, attire notre attention sur une interview d’Ethan Zuckerman dans l’émission On the Media de la National Public Radio [principale radio publique américaine] datant du mois d’avril. Zuckerman, qui travaille au Centre Berkman pour Internet et la Société, y parle de son étude de la révolution Twitter en Moldavie.
Ethan Zuckerman a prouvé qu’au bout de sept jours de rébellion, Twitter «a été utilisé comme une chaîne de désinformation par des groupes vraisemblablement de mèche avec le gouvernement; ils ont surtout tenté de faire peur à la population pour la dissuader de retourner manifester».
Bientôt, la police secrète risque d’envoyer elle-même des messages de mobilisation sur Twitter («Rassemblement à 19 heures sur la place de Tian’anmen pour une marche jusqu’au siège central.») afin d’épingler tous ceux qui seront au rendez-vous!
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Si vous souhaitez obtenir un avis plus positif sur l’incroyable pouvoir de Twitter, lisez cet article de Marc Ambinder (The Atlantic). Pour lire trois tweets optimistes par jour, consultez mon fil Tweeter.
Jack Shafer
Article paru sur Slate.com le 17 juin 2009 et traduit par Micha Cziffra