Imaginez: le drone de votre voisin est piraté par quelqu'un de très mal intentionné. L'engin volant se déplace librement, se promène devant chez vous avec sa caméra équipée d'un système de reconnaissance faciale. Le petit appareil enregistre toutes les allées et venues à votre domicile, l'identité de toutes les personnes qui vous rendent visite. Un cauchemar, encore de l'ordre de la fiction. Quoique.
Lors des derniers Drones Games, une compétition organisée à San Francisco pour explorer le champ des (drones) possibles, une équipe est parvenue à pirater un engin volant pour y installer un programme de reconnaissance faciale. La cauchemar est devenu réalité. Sauf qu'il reste un exploit technique dans une compétition entre geeks.
Aux Etats-Unis, plusieurs associations de défense de la vie privée s'inquiètent de la prolifération des engins volants pilotés à distance. Notamment de leur utilisation par les autorités à des fins de surveillance. L'Epic (Electronic Privacy Information Center) a interpellé le Congrès à deux reprises pour que les forces de l'ordre demandent un mandat avant de faire voler les engins équipés de capteurs, ce qu'exige le quatrième amendement, plaident-ils.
Pour Ryan Calo, chercheur au Center for Internet and Society, les drones «menacent de parfaire l'art de la surveillance». Tant et si bien qu'ils pourraient produire un électrochoc dans la population, une prise de conscience des citoyens à propos des menaces qui pèsent sur leur vie privée. Vœu pieu? Pour l'heure, les associations mènent la bataille en multipliant les initiatives pour en réguler l'usage.
Réglementer sans verrouiller les projets
En France, la question est posée autrement. Elle n'est pas tant portée par des lobbies pro-liberté que par les autorités. La réflexion est engagée dans deux directions, sous la tutelle de deux administrations. Les drones volent, donc ils tombent sous l'autorité de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), rattachée au ministère des Transports. Deux arrêtés ont été pris l'année dernière, règlementant leur usage en fonction du type de drones, principalement de son poids, et des «scénarios d'utilisation».
Le vol «hors vue» dans le cadre d'activités de loisir ou de compétition est ainsi proscrit. Il est autorisé en zone inhabitée et sans dépasser les 50 m d'altitude, pour les utilisations professionnelles. Les grandes lignes de la législation sont fixées, explique Eric Héraud, porte-parole de la DGAC:
«Ce cadre législatif fonctionne, mais il dépend des drones produits. Nous ne voulons pas une législation qui verrouille les projets.»
D'autant plus que «le marché professionnel en est à ses balbutiements», concède Eric Héraud. Peut-être faudra-t-il «peaufiner la réglementation» à l'avenir, mais la DGAC est satisfaite des briques posées en 2012. L'objectif est avant tout d'éviter que les drones tombent du ciel. Ce qui s'est déjà produit...
Lors du sommet de l'Otan à Strasbourg en 2009, les policiers français expérimentaient le drone Elsa, doux acronyme pour «Engin léger de surveillance aérienne». Un exemplaire de ce mini-drone s'est écrasé, en respectant néanmoins l'«arbre de défaillance» (le protocole d'écrasement) ne «caus[ant] ni blessures ni détérioration de matériels ou de biens» selon les justifications du ministre de l'Intérieur d'alors, Brice Hortefeux.
Capteurs de drone
C'est moins le maintien dans les airs que la présence de capteurs qui intéressent la Commission nationale de l'informatique et des libertés, autre autorité concernée par les drones. La Cnil a annoncé en octobre le lancement d'une réflexion pour éclaircir les cadres éthique et juridique. Willy Duhen, juriste à la Commission, explique concentrer ses travaux sur la surveillance privée, «l'espionnage de sa voisine en bikini».
«Les drones comportent en général deux types de capteurs, poursuit Geoffrey Delcroix, également en charge de cette réflexion à la Cnil, les caméras pour la navigation et la charge utile (une autre caméra, un micro etc).»
Les problèmes posés sont déjà connus. La conservation de données à caractère personnel par exemple. Les images prises en vol pour la navigation peuvent être utiles en cas de chute impromptue, pour analyser l'incident ou justifier qu'aucune imprudence n'a été commise. Mais elles sont aussi très indiscrètes. Elles pourraient donc être supprimées après l'atterrissage sans encombre du drone.
«Le droit, l'article 9 du code civil [sur le respect de la vie privée, NDLR] s'applique aux drones», rappelle Willy Duhen. Le problème est pourtant épineux pour les capteurs en tout genre embarqués sur le dos des engins volants. Les règles encadrant la vidéosurveillance, l'obligation d'informer notamment, peuvent-elles être appliquées aux caméras? Oui, dans certains espaces, surtout intérieurs: un centre commercial veut produire une pub, en faisant des images aériennes de ses galeries. Il placarde un avertissement aux entrées. Aucune difficulté majeure.
En extérieur, en revanche... On imagine mal un drone équipé d'une affichette, sauf à le transformer en avion publicitaire comme ceux qui sillonnent les plages. La tâche est plus complexe encore avec les capteurs sonores, très petits. Placés sur des drones miniaturisés, ils deviendraient de redoutables oreilles indiscrètes. Mais il faudra encore attendre quelques années pour glisser une mouche espionne dans le bureau de son patron, ou de son concurrent.
La réflexion de la Cnil se veut d'abord «prospective», croisant d'autres réflexions sur la robotisation et la miniaturisation des technologies de surveillance. Elle ne créera pas de normes contraignantes. A l'image du mouvement en cours aux Etats-Unis, c'est surtout l'utilisation par les forces de l'ordre qui nécessitera une définition claire des usages et du cadre adapté.
Pierre Alonso