France

Le gouvernement met en scène son impuissance

Temps de lecture : 4 min

L'affaire de la grue de Nantes, le clash Montebourg/Taylor, les joutes autour du mariage homosexuel, voire l'intervention au Mali, camouflent sous un vernis volontariste l'impasse économique dans laquelle se trouve le pouvoir.

It's a dead end baby / Andrew Mason via Flickr CC License by.
It's a dead end baby / Andrew Mason via Flickr CC License by.

On a pu légitimement s’étonner que Laurent Fabius, en charge des Affaires étrangères, s’autorise à annoncer le rabougrissement de la croissance française anticipée pour 2013. Cet irrespect de frontières ministérielles trahit pourtant, à sa manière, une réalité. L’état de santé économique du pays, et la politique qu’il se doit de conduire pour y faire face, sont de plus en plus étrangers au volontarisme national.

Depuis le 21 février, la France —comme d’autres pays de l’Union européenne— est sous une surveillance officialisée. Ce jour-là, les Etats membres et le Parlement européen se sont mis d’accord pour accorder à la Commission de nouveaux pouvoirs de surveillance macroéconomique afin de faire respecter le fameux «pacte de stabilité et de croissance». Avec un déficit public qui risque d’atteindre les 3,7% en 2013 en raison d’une quasi-stagnation de l’activité, la France est menacée de se faire taper sur les doigts.

D’ores et déjà, Olli Rehn, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, a fait les gros yeux. Il a demandé à la France «de poursuivre de manière opiniâtre son redressement budgétaire, compte tenu d'une dette publique qui atteint déjà le taux élevé de 90%».

La France sous surveillance

L’homme a des idées très précises sur ce qu’il convient de faire. Il privilégie la baisse des dépenses publiques sur la hausse des impôts. Il salue le «pacte de compétitivité» et l’accord sur la marché du travail comme des «étapes encourageantes» mais exige que l’on aille plus loin. Il exige des «réformes structurelles», en matière de retraites comme dans d’autres domaines. On n’en fait jamais assez pour la compétitivité...

La menace de sanctions financières imposées par l’Europe se combine avec la pression des marchés financiers pour réduire de manière drastique la marge de manœuvre de la politique française. Rehn demande à la France de lui soumettre, d’ici au printemps, un «programme de stabilité et de réformes qui devrait inclure un examen complet et profond des dépenses publiques» sur la base duquel l’Europe se prononcera. François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont beau répéter qu’ils ne changent pas de politique et qu’ils rejettent l’austérité, leurs choix apparaissent de plus en plus contraints.

Le président socialiste est curieusement rattrapé par les engagements du candidat du PS. On se souvient que Hollande avait surpris son monde en proclamant, dès 2011, sa volonté de ramener le déficit public à 3% en 2013, au lieu de 2014 selon le projet socialiste. Cette surenchère rigoriste avait été saluée comme une preuve de sérieux par les gardiens de l’orthodoxie économique.

Or, moins les objectifs fixés sont réalistes et plus ils obligent à des contorsions. L’action politique s’en trouve singulièrement dévalorisée, finalement réduite à entériner des arbitrages imposés par des logiques supérieures à elle.

Mises en scène compensatoires

Cette impuissance fondamentale du politique, déjà révélée d’une autre façon par l’échec du volontarisme sarkozyste, conduit les gouvernants à mettre en scène leurs diverses initiatives de manière plus ou moins heureuse. Le comble du ridicule a été atteint avec la demande adressée à deux de ses ministres, par le chef du gouvernement, de recevoir d’urgence une association de pères au prétexte que l’un d’entre eux avait réussi à capter l’attention médiatique. «Le Premier ministre suit avec la plus grande attention la situation du père qui s’est retranché en haut d’une grue à Nantes», expliqua doctement l’hôtel Matignon.

Les joutes scripturales entre Maurice Taylor, le sanguin patron américain de Titan, et Arnaud Montebourg, le volubile ministre du Redressement productif, ont par ailleurs permis de dresser le tableau de l’affrontement entre un méchant capitaliste et un gentil socialiste. Mais il n’est pas certain du tout que l’opinion, pour le moins désabusée, soit dupe de telles mises en scène.

Le combat homérique autour du mariage homosexuel a également servi de cause précieuse à la gauche pour lui faire oublier, un temps, qu’elle était méchamment ballottée par la crise. Là encore, l’effet est cependant loin d’être assuré à moyen terme. Pour emblématique qu’elle soit aux yeux de certaines, cette réforme ne concerne, au maximum, que 0,6% des couples français...

L’intervention militaire au Mali, enfin, a pu donner l’impression que le volontarisme politique trouvait refuge dans ce type d’expéditions à l’étranger. D’aucuns ont même cru, à l’Elysée ou ailleurs, que le président Hollande en sortirait transfiguré et renouerait ainsi avec l’opinion.

Las, le rebond dans les sondages fut d’aussi faible ampleur que de courte durée. Le chef de l’Etat est désormais retombé dans une impopularité record.

Quels exutoires?

Quelle que soit l’habileté de François Hollande et le génie des communicants de tous poils, la politique menée dans la période qui s’annonce a toutes les raisons de multiplier les sujets de mécontentement. Il sera bien difficile, pour le pouvoir, de faire oublier les sacrifices imposées à la population au nom d’obscures règles du jeu de moins en moins bien comprises par elle.

Comment se manifestera cette colère et ce désarroi face à ce qui sera inévitablement ressenti comme une dramatique impuissance publique à résoudre les problèmes des simples gens? En Espagne, après de mouvement des «Indignés», les manifestations se succèdent, un jour contre les expulsions de logements, le lendemain contre les privatisations dans le secteur de la santé.

En Italie, l’ancien comique Beppe Grillo s’est mué en porte-voix de tous ceux qui ne supportent plus une «classe politique qui verrouille tout». Et a obtenu un quart des voix lors des élections de lundi, un score nettement supérieur aux 10% recueillis par le chantre de l’austérité dans ce pays, le professeur Mario Monti, président du Conseil jusqu’en décembre 2012 (et ancien consultant pour Goldman Sachs).

En France, la rue reste calme pour le moment. La profonde déception suscitée par la dernière des alternances risque pourtant de se traduire, un jour ou l’autre, par quelques soubresauts.

Paradoxalement, l’existence même du Front national —une force suffisamment décriée pour servir de réceptacle à une part de la colère populaire— stabilise le système en place. Mais rien ne dit que, dans un pays aussi politisé que la France, la démission du politique n’engendrera pas de nouvelles formes de protestation.

Eric Dupin

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