Culture

Vidéo-clash: quand des détenus menacent Morsay avec des couteaux

Temps de lecture : 7 min

La vidéo montrant trois détenus de la centrale de Lannemezan a provoqué un mouvement d’inquiétude à la pénitentiaire. Mais qui était le destinataire? Il ne s’agissait pas d’un autre détenu mais de Morsay, personnage bien connu du web français.

Ces deux vidéos ne donnent franchement pas envie de rigoler. C’est avec ce genre d’armes fabriquées maison qu’a été massacré un détenu de Lannemezan en 2009.

Les trois détenus présents sur les vidéos ont été reconnus par le personnel de la prison.

Commentaire de l’un des gardiens à l’AFP:

«Ce sont des mecs qui n'ont plus rien à perdre. L'un est libérable en 2063. Sur les trois, il y en a un ou deux qui ne sortiront jamais de prison.»

Ça vous donne une idée du pedigree des personnages. Entre les trois cinglés sanguinaires, les armes artisanales, l’univers carcéral, les insultes, les gestes et les menaces ultra-violentes, les deux vidéos font froid dans le dos.

Et pourtant, un détail peut faire sourire, voire franchement rigoler: le nom de la personne menacée. Les trois lascars sont en réalité en plein vidéo-clash avec Morsay, une légende du web francophone et un chanteur de rap sans talent. Son nom est inscrit dans les titres des vidéos et on les entend le nommer distinctement à plusieurs reprises.

Spécialiste des clashs sur youtube

Morsay est un véritable spécialiste des clashs sur YouTube. Il s’est même construit une notoriété certaine grâce à ces affrontements verbaux par vidéos interposées.

Parallèlement, il rappe et il vend des tee-shirts à la marque de son collectif, Truand 2 la Galère, dans une petite échoppe aux puces de Clignancourt. Depuis des années, il poste régulièrement des vidéos, toutes complètement absurdes et vulgaires, mais parfois hilarantes.

Son œuvre est foisonnante: il a mené un nombre impressionnant de clashs contre les «Rageux du net», il a tourné des clips de hip-hop plus ou moins respectables, il a tenté des gags absurdes, il a fait des descentes avec des potes dans divers lieux pour s’y faire respecter, il a organisé des conférences de presse bidons, il a insulté des centaines de personnes avec une créativité et un enthousiasme toujours renouvelé, et il a même fini par réaliser un long métrage, sorte de condensé en deux heures de tout son univers.

Après tout cela, on pensait franchement que la source était tarie et on aurait compris que Morsay prenne une retraite bien méritée à vendre ses tee-shirts aux puces de Clignancourt.

Et soudain vint Riffin

Mais c’était sans compter le dernier clash en date avec un dénommé Riffin 67. Riffin 67 était un parfait inconnu du web avant de poster une vidéo le 17 février où il défie Morsay. La vidéo fait 300 vues à peine. Autant dire zéro: ils sont nombreux ceux qui essayent de clasher Morsay en espérant une réponse du maitre et la visibilité que cela implique.

Mais, pour une raison ou pour une autre, Morsay répond. Pourquoi à Riffin 67 et pas à d’autres? Mystère. Une histoire de tee-shirt pourrait être à l’origine d’une véritable brouille.

Riffin 67 désirerait en fait lancer sa propre marque. Vous pouvez juger de l’avancement du projet en consultant sa page Facebook, la photo de profil est apparemment un des visuels prévu pour être imprimé.

Vous pourrez également y lire l’historique du clash avec Morsay et y admirer d’autres locataires de Lannemazan, bien pourvus en couteaux artisanaux eux-aussi. La réponse de Morsay est donc postée sur YouTube et elle contient le tombereau d’insultes habituel:

Riffin 67 au eu sa réponse! Il hume à plein nez l’odeur du buzz tout proche et il enchaîne donc les provocations. Les ennemis de mes friends étant mes ennemis, le point culminant est atteint avec cette fameuse vidéo où les trois détenus de la centrale menacent à leur tour Morsay.

Fini de rire

Est-ce le dernier avatar d’une culture du clash du hip hop français en pleine séries de dérapages (clash Booba-la Fouine qui a pris fin après des coups de feu tirés sur la voiture de la Fouine, prise d’assaut par des ados d’un TGV pour filmer leur propre clip et «faire le buzz»)? En tout cas, ça ne fait plus rire grand monde.

Et sûrement pas la procureur de Tarbes Chantal Firmingier-Michel, saisie du dossier de la vidéo de Lannemazan:

«Tout est grave. L'introduction d'objets illicites [les smartphones avec lesquels les scènes ont été filmées NDLR] dans une centrale est un fait grave parce qu'elle implique des complicités extérieures, et qu'avec eux on peut tout faire, les menaces proférées à l'intérieur d'une centrale à l'aide de ces objets sont graves aussi et la fabrication d'armes artisanales est un troisième facteur aggravant.»

Alors est-ce qu’on est toujours dans la recherche du buzz? Les trois détenus de Lannemazan auraient fini au mitard et seraient apparemment furax de la tournure des événements, s’il faut en croire les dernières vidéos de Riffin 67. Morsay avait jusque-là plutôt bien maîtrisé sa petite affaire de communication/production/vente de tee-shirts, mais on dirait bien que les choses ont fini par prendre une nouvelle dimension.

Petite frappe contre ados boutonneux

Pour comprendre le comique absurde de la situation, il faut remonter aux racines, à la naissance du personnage de Morsay sur Internet. En 2008, il poste une vidéo intitulée «Message à Internet». C’est en fait une réaction aux commentaires qui ont été postés à la suite de sa toute première vidéo, un clip de rap probablement très mauvais et qui a été, comme il se doit, moqué dans les commentaires sur YouTube.

Impossible malheureusement de mettre aujourd’hui la main sur cette vidéo originelle. Mais comme il l’a déclaré plus tard à Mouloud Achour dans une excellente interview-vérité il a été profondément énervé par les messages d’insultes:

«J’étais pas du tout dans la musique. J’étais pas calé, je savais même pas chanter. Mais j’avais fait mon premier clip! J’étais content! Le seul truc, c’est qu’on m’a insulté et moi je connaissais pas ça, tu vois. Donc ça m’a rendu ouf et j’ai commencé à faire des messages à tout le monde parce que j’arrivais pas à les attraper [mimant un geste d’attraper quelqu’un par le col NDLR] tu vois.»

«Message à Internet» est donc la réponse à tous ces commentaires désobligeants (la vidéo suivante est une copie de l’originale):

Cette vidéo est un monument. La forme est plutôt classique: un décor de cité, une bande de potes hilares, les mains qui accompagnent frénétiquement le discours et le torrent d’insultes toutes plus vulgaires les unes que les autres.

Mais la confiance en soi de Morsay et sa conviction totale d’être dans son bon droit font toute la différence. Elle aurait pu pourtant tomber dans l’oubli, dans les abimes insondables des centaines de millions de vidéos qui ne dépasseront jamais la dizaine de vues.

Mais le hasard a fait qu’un internaute l’ayant visionné, a saisi son potentiel et l’a partagé sur le forum 15-18 ans du site Jeuxvideo.com. Soit la plus grande communauté de pré-ados à potentialité trollesque du web francophone.

Deux mondes se sont rencontrés ce jour-là. La culture banlieusarde de Morsay, rompu à la tchatche et à l’affrontement verbal violent, un monde où se faire respecter est primordial.

Et la culture geek des adolescents amateurs de jeux vidéo, friands de grosse rigolade collective. Le résultat est explosif.

Un groupe d’internautes de Jeuxvideo.com, regroupés sous le pseudonyme de noëlistes –car ils vénèrent un smiley pourvu d’un bonnet de Noël– postent à leur tour des vidéos où ils attaquent Morsay et tentent de le ridiculiser.

Ils se moquent de son vocabulaire, de ses expressions, de sa violence gratuite etc. Voici deux exemples, parmi des dizaines.

Au début, Morsay est vraiment énervé. A Mouloud Achour qui lui demande s’il était vraiment sérieux dans la première série de vidéo où il s’attaque aux noëlistes, il répond:

«Ouais franchement au début j’ai vraiment pas pris ça… [à la rigolade NDLR]… ouais franchement le premier que j’attrape je lui arrache un œil! Mais à la suite ça m’a fait un buzz et qu’on parle de moi en bien ou en mal, j’en ai rien à cirer tant qu’on parle de moi.»

Plus de clashs, plus de notoriété

Morsay a en fait très vite compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de la situation. Chaque clash lui apporte son surcroît de notoriété, il peut ainsi sortir petit à petit de l’anonymat.

Et il n’a cessé depuis, de poster des vidéos de toute sortes afin d’alimenter son image. Au fil des mois, il est devenu le personnage d’une véritable petite série. De temps en temps, un adversaire un peu plus coriace apparaît et c’est parti pour plusieurs clashs où chacun doit en rajouter à chaque fois pour ne pas passer pour un guignol.

Un dénommé Vinceneil a par exemple publié une vidéo où il se moque du train de vie de Morsay, tout en déambulant dans un château avec une liasse de billets ou de faux billets à la main. Il va ensuite dans la cour et montre un hélicoptère en exultant, comme s’il l’utilisait l’appareil chaque jour pour aller chercher son pain.

Morsay, pour ne pas perdre la face, a dû tourner ensuite un clip sur un aéroport avec une Ferrari et un avion de chasse... Tout cela étant toujours plus ou moins au second degré. Mais plus ou moins au premier degré aussi, Morsay mourant manifestement d’envie d’attraper un jour un de ses contradicteurs et de lui faire passer définitivement l’envie de poster des vidéos YouTube.

Un personnage sympathique

Il serait bien trop long de décrire toutes les péripéties de Morsay sur l’Internet. Toujours est-il que parallèlement à son Grand Œuvre, il s’est sérieusement mis au rap et a sorti plusieurs albums, de médiocre qualité, mais de vrais albums tout de même. Et en 2012, il même réussi à réaliser un long métrage: la Vengeance, un navet filmé de manière très... personnelle et qui est visible gratuitement sur YouTube:

Jusqu’à présent, Morsay a donc réussi cahin-caha à développer sa notoriété virtuelle et ses activités artistiques et commerciales. Et puis il a fait franchement rigoler, en partie volontairement, en partie non, des milliers d’internautes.

Il est devenu, pour ceux qui le suivent depuis un certain temps, plutôt sympathique et même pourvu d’un certain talent. Comment va-t-il gérer ce clash ultime avec les rapetous de Lannemezan? Sacré défi...

Benjamin Billot

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