«Ce titre n'est pas une fin mais un challenge.» Le 22 octobre 2010 à Stockholm, le maire d'une grande ville française se félicitait en ces mots du titre de «capitale européenne» décrochée par sa cité.
Le Marseillais Jean-Claude Gaudin? Non, le Nantais Jean-Marc Ayrault. Entre congrès, expositions ou ateliers autour de la ville durable, la cité ligérienne célèbre en effet officiellement, depuis le 16 février, le titre de «Capitale verte de l’Europe 2013», beaucoup moins médiatisé que celui de capitale européenne de la culture attribué à sa consoeur phocéenne.
«Le sens de notre action, c’est de produire de la qualité de vie», déclarait encore Ayrault, fin 2010, quand sa ville a devancé sur douze critères environnementaux Barcelone, Malmö, Nuremberg et Reykjavik pour devenir, après Stockholm, Hambourg et Vitoria-Gasteiz, la première ville française à se voir décerner cette récompense par la Commission européenne.
Une consécration pour celui qui a été maire de la ville de mars 1989 à juin 2012 et président de Nantes Métropole de janvier 2001 à juin 2012, avant d'en céder —tout en restant conseiller municipal— les rênes à son premier adjoint Patrick Rimbert, et qui a voulu en faire une métropole exemplaire en terme d’écologie urbaine.
Notamment en matière de transports. «La politique de déplacements mise en place depuis plus de vingt ans a valu à la ville une note presque parfaite de 14/15 dans la course au titre de capitale verte de l’Europe», confie Ronan Dantec, conseiller municipal délégué à la biodiversité et sénateur EELV de Loire-Atlantique.
«Politique de déplacement audacieuse et très volontariste»
Lorsque Jean-Marc Ayrault est élu maire en 1989, il s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur socialiste Alain Chénard (1977-1983), qui avait fait de Nantes la première ville française à réhabiliter le tramway, en 1985. Peu à peu, il étend le réseau pour en faire le plus important de France, avec 44 km.
Puis, viennent s’ajouter le busway en 2006, fonctionnant en site propre, le chronobus en 2012, le tram-train, le navibus, les voitures et vélos en libre accès. Toute une gamme de services mise en place afin de désencombrer le centre-ville des automobiles.
En 2010, les Verts tiennent leur université d'été dans la cité des Ducs. Dans Ayrault, l'inconnu de Matignon, biographie signée du directeur départemental de Ouest-France Jean-Marie Biette, le coprésident du groupe EELV à l'Assemblée François de Rugy raconte leur réaction:
«Les mille cinq cents militants écolos sont repartis de Nantes en disant: "Cette ville est géniale! Vous avez les tramways, les bus en site propre, les zones piétonnes et il y a des bandes cyclables!"»
«Jean-Marc Ayrault, inspiré par ses voyages, a très vite mis en place une politique de déplacement audacieuse et très volontariste où la voiture n’est plus privilégiée. Nantes est assez pionnière dans ce domaine et Ayrault n’a pas peur de se mettre à dos les lobbies habituels», commente Jean-Marie Biette.
Pour l’ex-édile nantais, «le défi écologique s’inscrit dans un schéma garantissant l’attractivité du territoire, la qualité de vie durable et la cohésion sociale», précise t-on à la mairie, agenda 21 à l’appui. «C’était un vrai choix de sa part que d’être en position de leader.» Avec près de 75% des émissions de CO2 émises par les territoires locaux, Ayrault estime ainsi que ce sont aux villes et aux métropoles de relever le défi climatique et écologique.
«La politique environnementale de Nantes est étalonnée sur ce qui se fait de mieux en Europe. L’évaluation très pointue de la Commission européenne, validée par des experts, nous a confirmé qu’il s’agit d’une des rares villes françaises à la hauteur des grandes métropoles européennes, indique Ronan Dantec. Ayrault a fait de la qualité de vie urbaine un axe essentiel dès ses débuts et a signé un accord avec les écologistes en 2001 pour faire de Nantes une capitale du développement durable. En cela, il a pris de l’avance par rapport aux autres villes, avec la volonté d’être exemplaire.»
Labels et positions honorifiques
Depuis 2007, Nantes Métropole coordonne l’action de 135 grandes villes européennes sur la question climatique au sein du réseau Eurocities. Elle a aussi été le porte-parole de l’Organisation mondiale des villes lors de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009. «Sur le critère du climat, là encore, Nantes a obtenu une note presque parfaite de la part de la Commission européenne», souligne Ronan Dantec.
Grâce à une politique volontariste de maîtrise de l’énergie en lien avec des objectifs climatiques, Nantes a reçu de l'Ademe le label européen Cit’ergie en 2010. Le réseau de chaleur nantais sera également bientôt le troisième de France.
La ville a aussi mis en place en 2010 le Conseil nantais de la biodiversité: en partenariat avec de nombreux acteurs associatifs et scientifiques de l’environnement, cette structure unique en France a notamment pour mission de diagnostiquer l’état général de la biodiversité et d’en réaliser un suivi pour assurer sa conservation et son développement.
Autre enjeu cher à Jean-Marc Ayrault, la protection et la préservation de la nature en milieu urbain. Avec 1.050 hectares d’espaces verts et de jardins publics, soit environ 15% du territoire nantais, la cité des Ducs s’offre à la nature. Elle peut d’ailleurs se targuer de détenir la première zone naturelle en pleine ville auréolée du label Natura 2000 avec la Petite Amazonie.
«Certes, Nantes est très verte mais Jean-Marc Ayrault s’est simplement appuyé sur l’important capital déjà existant», tempère Julien Bainvel, conseiller municipal UMP chargé des questions environnementales.
«Chez Ayrault, on ne peut pas parler d’un déterminisme social ou familial de la terre qui aurait forgé sa vision de l’écologie. Même s’il a grandi au milieu des champs, il n’est pas un écolo stricto sensu, c’est un industriel. Vous pouvez parler des heures avec lui sans qu’il n’évoque une seule fois la survie d’espèces menacées, la qualité de la Loire.... Mais ce n’est pas non plus un anti-écolo, il a ses intuitions et, pour des raisons politiques, il sait qu’il doit faire avec les Verts», note de son côté Jean-Marie Biette.
«L'écologie urbaine, une bonne façon d'attirer les projecteurs»
En 2007, celui qui était alors le chef de file des députés PS n’a pas hésité à mettre sous surveillance François de Rugy en lui imposant son fidèle lieutenant Pascal Bolo comme suppléant. Toutefois, sa politique environnementale n’est pas qu’une façade: Jean-Marc Ayrault est sincère dans ses démarches mais l’écologie apparaît pour lui, non comme un aboutissement, mais comme un moyen de rendre la ville plus attractive. «Il aime que l’on parle de Nantes et il a très vite compris que l’écologie urbaine, dans les classements des magazines, pouvait être une bonne façon d’attirer les projecteurs. Le titre de capitale verte de l’Europe en est une», estime Jean-Marie Biette.
Des propos corroborés par Julien Bainvel:
«Loin d’être un écolo convaincu, ce qu’a très bien compris Jean-Marc Ayrault, c’est que ces sujets sont à la mode. Il s’en est servi de moyens de communication, de lobbying, de marketing car il savait les bénéfices qu’il pouvait en retirer. La réalité est différente de l’image qu’on lui prête. Il est un écolo normal. Nantes n’a fait que suivre le mouvement et n’est pas si exemplaire.»
Cependant, si la droite pointe du doigt «le tri des déchets, les embouteillages, la qualité de l’eau et de l’air», ses griefs apparaissent plutôt modérés sur le dossier «ville durable». «Hormis quelques points sur la forme, l’opposition se fait sur le système Ayrault, la personne, le verrouillage mais pas tellement sur sa politique environnementale. A l’échelle municipale, les Verts sont plutôt en accord avec lui», ajoute Jean-Marie Biette.
Dans L'Inconnu de Matignon, François de Rugy vante d'ailleurs «l’un des maires socialistes de France les plus ouverts. En bon pragmatique, il absorbe les bonnes idées et essaie toujours d’intégrer les aspirations nouvelles». Ronan Dantec estime lui que «Jean-Marc Ayrault a fait plus que beaucoup de maires de France et est convaincu de la transition énergétique. Mais il est pris dans un double logiciel où se mêlent d’un côté enjeux environnementaux et qualité de vie et de l’autre développement urbain, attractivité et compétitivité libérale».
L'«Ayraultport», «choix responsable» ou hérésie écologique?
Une contradiction qui expliquerait sa position sur Notre-Dame-des-Landes, son principal dossier de fâcherie avec les Verts, aussi bien au niveau local que national. C’est en effet sous son impulsion, à la fin des années 90, que le projet d’aéroport a refait surface.
«C’est un choix responsable qui répond clairement à trois exigences: l’intérêt général et la sécurité, le développement durable et raisonné et l’avenir du Grand Ouest, écrivait l’édile dans son édito paru dans le magazine municipal Nantes Passion en novembre 2009. Il sera le premier aéroport français répondant à la démarche Haute qualité environnementale. Il aura donc une empreinte carbone réduite […]. Le nouveau site de l’aéroport offrira aussi des garanties inédites grâce à un observatoire de la qualité de l’environnement…»
Pour les opposants au projet, le choix du site est une hérésie écologique et «vient plomber le bilan d’Ayrault», gronde Franck Villain, coordinateur de Greenpeace Nantes, pour qui «il y a une différence entre ce que l’on fait réellement et ce que l’on met en avant»:
«Ce transfert date d’un autre temps. Alors que l’on parle de préserver des zones sensibles et leur biodiversité, on s’apprête à bétonner 1.600 hectares de bocages aux portes d’une métropole.»
Affublé du sobriquet «Ayraultport», ce dossier est venu ternir l’image verte du chef du gouvernement, qui devra maintenant montrer qu'il peut appliquer sa patte verte à l'échelle nationale. Lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre dernier, le Premier ministre a dévoilé un projet misant sur la sobriété et l’efficacité, où écologie et économie ne s’opposent pas.
A partir de grands chantiers, inspiré du Grenelle de l’environnement de Nicolas Sarkozy, sur la transition énergétique, la biodiversité ou encore la fiscalité écologique, la volonté affichée est de faire de la France la nation de l’excellence environnementale. Reste à voir si celle-ci connaîtra le même succès qu’à Nantes ou le destin mitigé de son modèle.
Mathieu Perrichet