Avec son ventre replet et son air benêt, l'ourson doré imaginé par le grand maître de la bande dessinée gay Ralf König affiche une filiation teintée d'humour avec l'Ours d'or, la plus haute distinction du festival de Berlin.

La statuette symbolise à elle seule l'envie qui présida à la création des Teddy Awards en 1987: offrir une place de choix au cinéma queer au cœur d'un grand festival tout en revendiquant sa singularité.
Décernés en marge de la compétition, ces prix récompensent chaque année le meilleur des productions LGBT présentées à la Berlinale dans la section Panorama. Selon les années, jusqu'à une cinquantaine de long-métrages, court-métrages et documentaires traitant de la question du genre sont projetés à Berlin. Une offre colossale qui fait du festival le nombril du monde du cinéma queer. C'est le lieu où il faut montrer ses films si l'on veut qu'ils fassent carrière et où les professionnels du secteur viennent faire leurs emplettes.
«Les Teddy sont un moment très important pour tous les programmateurs de festivals de cinéma gays et lesbiens dans le monde», assure Benoît Arnulf, membre du jury cette année et lui-même directeur artistique du festival LGBT niçois In and Out.
Ce n'est d'ailleurs pas la flopée de grands festivals de cinéma queer qui ont éclos à travers le monde depuis la création des Teddy Awards qui viendront mettre à mal ce monopole, estime le réalisateur français Sébastien Lifshitz, de passage à Berlin pour présenter son dernier docu, Bambi, émouvant biopic d'un artiste de cabaret transsexuel qui a fait les grandes heures du Carrousel de Paris. Lifshitz a remporté un Teddy Award en 2004 pour son film Wild Side, qui explorait les relations d'un trio amoureux gay-trans. Il loue la Berlinale pour son public international et «de toutes les sexualités»:
«C'est important que les festivals gays et lesbiens existent, parce qu'ils permettent à des films qui ne trouvent pas de distributeurs d'exister, d'être diffusés dans le monde entier, d'être vus déjà par un public LGBT. Mais ce qu'il ne faut jamais oublier, c'est qu'un film s'adresse à tout le monde. Plus il a une exposition large, mieux c'est, parce que ce que le film contient peut se répandre dans la société, peut peut-être essayer de faire évoluer un peu les consciences sur ces questions-là. Alors que si on s'adresse à un public déjà acquis, j'ai l'impression qu'on réduit l'impact que pourrait avoir son film.»
Lors de la toute première cérémonie des Teddy Awards, en 1987, le jury réuni par Manfred Salzgeber, alors directeur de la section Panorama, et son assistant Wieland Speck, frappe très fort. Il récompense deux jeunes cinéastes alors inconnus au bataillon: Pedro Almodovar et Gus Van Sant. Le premier remporte le prix du meilleur film pour La Loi du désir, le second celui du meilleur court-métrage pour Five Ways to Kill Yourself et My New Friend.
Ce palmarès a largement contribué à asseoir la crédibilité des Teddy Awards auprès des professionnels du cinéma. La suite est à la hauteur, avec des grands noms du cinéma tels que Todd Haynes, le réalisateur de I'm not there et de Velvet Goldmine, récompensé en 1991 pour son deuxième long-métrage, Poison; François Ozon, pour le film Gouttes d'eau sur pierres brûlantes en 2000; le réalisateur du délirant Shortbus John Cameron l'année suivante pour son premier film derrière la caméra, Hedwig and the Angry Inch, ou plus récemment la réalisatrice Lisa Cholodenko pour Tout va bien! The Kids are all right!.
Une récompense viscéralement militante
Mais les jurys successifs des Teddy Awards se sont par contre toujours montrés viscéralement attachés à la portée militante des films de la sélection. Comme l'explique Benoît Arnulf:
«Notre travail se différencie des autres jurys. Nous jugeons la qualité artistique d'un film, l'interprétation des acteurs, la manière dont le film a été fabriqué, pensé, écrit, mais aussi la façon dont la thématique qui nous importe est traitée, la portée militante du film. Pedro Almodovar et Gus Van Sant ont fait des films magnifiques qui traitent de l'homosexualité mais ils en ont aussi fait d'autres. On ne les récompensera pas aux Teddy Awards pour ces films-là. On récompense des cinéastes qui à un moment donné ont fait un focus sur ces questions-là. C'est la forme et le fond, on ne peut pas dissocier la qualité artistique du caractère important de la thématique queer, qui reste primordiale pour nous.»
Les Teddy Awards récompensent également chaque année un documentaire, avec un goût prononcé pour les productions étrangères qui mettent en lumière la façon dont l'homosexualité est perçue et vécue à travers le monde, donnant la chance à d'excellents films qui seraient sinon restés confidentiels de trouver des distributeurs: «Nous montrons des films qui ont quelque chose de militant, qui aident à changer le monde», confirme Wieland Speck, qui a repris les rênes de la section Panorama en 1992.
Malgré le succès des Teddy Awards, les deux autres grands festivals, Cannes et Venise, ont tardé à emboîter le pas de la Berlinale: «Honnêtement c'est plutôt honteux qu'il ait fallu attendre plus de vingt ans pour que les autres s'y mettent aussi, mais je trouve cela merveilleux qu'ils aient désormais eux aussi un prix queer[1], je vois ça comme un succès», confie Speck.
Un cinéma toujours à la marge
Près de trente ans après la création des Teddy Awards, le cinéma queer s'est diversifié, complexifié, et si le thème de l'homosexualité peine toujours à se faire une place dans les scénarii du cinéma grand public, le discours sur le genre a tout de même changé, comme l'expliquait à Arte en 2011 le distributeur de films Björn Koll, directeur de Salzgeber & Co. Medien:
«J'ai connu l'époque où les personnages de lesbiennes et d'homosexuels au cinéma étaient généralement des institutrices sadiques ou des tailleurs efféminés. Et à la fin du film, ils sautaient par la fenêtre ou se tiraient une balle dans la tête. Le premier défi, c'était donc de créer de nouvelles représentations où un homosexuel pouvait être simplement ce qu'il était, sans que cela devienne le drame terrible ou une menace pour l'humanité. De ce point de vue, les choses ont beaucoup évolué aujourd'hui.»
Wieland Speck livre lui un constat nuancé:
«A la fois tout et rien n'a changé. Les films queer continuent d'être ceux qui ont les plus petits budgets dans l'industrie du film et il reste impossible de faire des films queer dans la plupart des pays qu'il y a sur cette Terre. Nous avançons pas à pas, dans certains pays le premier ou le second film queer ont depuis été tournés. Et en même temps, la production de films queer s'est indéniablement améliorée aux Etats-Unis ainsi qu'au nord et à l'ouest de l'Europe. »
Annabelle Georgen
[1] Queer Palm à Cannes («le prix LGBT et décalé du festival de Cannes») et Queer Lion à Venise. Retourner à l'article