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En Malaisie, une fatwa contre la Saint-Valentin

Temps de lecture : 3 min

Les autorités religieuses de ce pays majoritairement musulman se dressent contre une fête perçue comme «un piège à vices».

Une jeune Malaisienne lors d'une manifestation marquant le 55e anniversaire de l'indépendance du pays à Kuala Lumpur, en août 2012. REUTERS/Bazuki Muhammad
Une jeune Malaisienne lors d'une manifestation marquant le 55e anniversaire de l'indépendance du pays à Kuala Lumpur, en août 2012. REUTERS/Bazuki Muhammad

Oubliez les petits cœurs et les bouquets de fleurs. Si vous vous promenez au pied des Petronas Towers de Kuala Lumpur en ce jour de Saint-Valentin, vous risquez plutôt de tomber sur un des 300 bénévoles de la campagne «Jerat Hari Valentine», lancée par les autorités musulmanes malaisiennes, distribuant flyers et bonne parole pour mettre en garde contre les dérives auxquelles pourrait vous mener la fête des amoureux.

Ces volontaires, âgés de 19 à 25 ans ciblent les couples de jeunes non-mariés qui pourraient tomber dans «Le piège de la Saint-Valentin». «Ils abordent uniquement ceux qui ne savent apparemment pas pourquoi cette fête va à l’encontre des principes de l’islam et le leur explique», nous raconte Zakuan Fawai, l’un des responsables de la campagne, en insistant bien que cela ne concerne que les Musulmans, et non le reste de la population.

La Malaisie, pays fédéral de 29 millions d’habitants, compte en effet deux tiers de Musulmans - le reste de la population étant majoritairement d’ethnie chinoise, et de confession bouddhiste, taoïste ou chrétienne. Son islam est réputé modéré, mais comme en Iran et Arabie Saoudite, la Saint-Valentin est boycottée. En 2005, Jakim, l’autorité musulmane fédérale a officiellement émis une fatwa contre «ce piège à vices».

Ramdam à la mosquée, présence zéro sur les réseaux sociaux

Principal argument mis en avant par Jakim: la Saint-Valentin pousse à mettre son aimé sur un piédestal, or l’idolâtrie est le premier péché. Mais ce que craignent vraiment les religieux, c’est que «le baiser volé dans un parc ne mène à des relations sexuelles hors mariage, promesse romantique de fidélité». Et pour repousser les critiques qui pourraient les traiter de «ringards», ils rappellent qu’ils ont bien su s’accommoder de fêtes de tradition occidentale, comme la Fête des mères ou la Fête des pères.

Vendredi dernier, dans son sermon hebdomadaire lu simultanément dans toutes les mosquées du pays, Jakim a carrément appelé à «haïr» cette fête: «Crééz un sentiment anti Saint-Valentin dans vos cœurs et vos esprits, commencez à haïr cette fête». Et ils mettent même la pression aux parents, en les encourageant à interdire leurs enfants de découper une carte en forme de cœur ou tout autre lubie fleur bleue, les menaçant des statistiques de bébés nés hors mariage.

Bizarrement, la campagne n’est pas tellement soutenue sur Internet. On ne peut croire que Jakim n’a pas compris la résonnance que pourraient apporter les réseaux sociaux à son message. «Les jeunes sont beaucoup plus réceptifs aux discours colportés par les médias sociaux qu’à ce qu’ils peuvent entendre à la mosquée», nous a bien confié Zakuan Fawai. Pourtant, après avoir scruté longuement la toile malaisienne, force est de constater que les rangs des «Anti Saint-Valentin» sont quelque peu clairsemés: aucune vidéo sur YouTube, impossible de trouver le groupe officiel des bénévoles de la campagne, sept «likes» seulement pour une page dont la photo représente Cupidon face contre terre, sa propre flèche plantée dans le dos. Une autre rassemble presque 1.000 fans, mais elle date de l’an dernier.

Raids dans les motels contre les couples non-mariés

En revanche, dans les forums ou sur Twitter, les Anti-Anti Saint-Valentin se montrent lassés, et décapent dans un humour grinçant les recommandations de Jakim. Alors que la Malaisie est en pleine campagne électorale, et que la coalition au pouvoir depuis 55 ans, le Barisan Nasional (BN) semble en difficulté, un certain Bugismanning persifle, sur le site d’un média alternatif:

«Jakim me met en garde de demander à qui que ce soit “d’être ma Valentine”, car cela équivaudrait à glorifier une mortelle autant que Dieu. Mais que penser des ces bannières où il est écrit en grand «J’aime le Premier Ministre», «Le BN, c’est ma vie», ce n’est pas de l’idolâtrie ça?»

Depuis deux ans, la police morale mène aussi des raids le soir du 14 février contre des motels où les chambres se louent à l’heure. En 2011, 200 personnes avaient été arrêtées, et une vingtaine l’an dernier. La loi punit en Malaisie les Musulmans qui auraient des relations «impropres» à jusque deux ans de prison et plus de 900 dollars d’amende. Les autorités n’ont pas voulu confirmer d’éventuels raids cette année. Toujours est-il qu’Azira twitte la solution: pour elle, il suffit que les Malaisiens célèbrent la Saint-Valentin un jour plus tôt, ou carrément le 15 février: ils seront sûrs de ne pas «se faire pincer par Jakim».

Reste que certains Malaisiens veulent aller encore plus loin : le Parti islamique de Malaisie (PAS) propose carrément de supprimer la Saint-Valentin du calendrier pour tous, et surtout d’interdire toute manifestation commerciale. Mais là, les marchands d’origine chinoise sont montés sans attendre au créneau.

Carrie Nooten (avec Diane Schlienger)

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