France

L'impossible débat sur le nucléaire

Temps de lecture : 4 min

Réunir dans un même livre un pro et un antinucléaire pour répondre à la question «faut-il renoncer au nucléaire?»... La prouesse a été réalisée par les Editions Le Muscadier, dont le petit ouvrage sort le 21 février. Las: encore une fois, on assiste plus à un dialogue de sourds qu'à un véritable débat.

Des jeunes gens plongent dans la mer en face de la centrale nucléaire de Mihama, au Japon, juillet 2011. REUTERS/Issei Kato
Des jeunes gens plongent dans la mer en face de la centrale nucléaire de Mihama, au Japon, juillet 2011. REUTERS/Issei Kato

Beaucoup de pays débattent du nucléaire. Certains décident de s'en passer (l'Allemagne), d'autres s'en accommodent (la Suède) quand certains pensent à réinvestir (la Grande-Bretagne).

En France, le débat, malheureusement, est presque constamment faussé: ici, les pro ou antinucléaires ne discutent pas, ils assènent chacun leurs raisonnements dans un dialogue de sourds plutôt lassant.

La raison de cette véritable guerre de religion est sans doute à chercher dans l'omniprésence du nucléaire dans l'Hexagone: ici, il représente plus des trois quarts de la production d'électricité, contre 15% à 40 % dans les autres pays très nucléarisés (38% par exemple en Suède, l'un des pays les plus dépendants à l'atome). Pour les tenants du nucléaire, accepter les critiques, c'est donc prendre le risque d'une remise en cause complète –et forcément délicate– du système électrique français. Et pour ses opposants, le pragmatisme est chez nous d'autant moins de mise que les travers qu'ils imputent à l'atome sont ici exacerbés.

Spécialisées dans le «choc des idées», les éditions Le Muscadier ont tenté de rouvrir le dialogue dans un ouvrage: Faut-il renoncer au nucléaire?. Elles ont invité d'un côté Bertrand Barré, ex du CEA et d'Areva, et spécialisé dans la pédagogie du nucléaire. Et de l'autre, Sophia Majnoni d'Intignano, chargée de mission nucléaire à Greenpeace France.

Le débat est introduit par un modérateur, le scientifique Claude Stéphan, qui rappelle dans une longue introduction l'origine et les caractéristiques de l'électricité d'origine nucléaire. Chacun des deux protagonistes a ensuite pris la plume pour présenter ses arguments, puis l'a reprise pour répondre à son interlocuteur.

Las. Pour les habitués du sujet, ce livre n'apporte aucun argument nouveau. Comme si, quoiqu'il arrive –en matière de sécurité comme de technologie ou d'économie–, l'actualité ne faisait qu'appuyer les argumentations des uns et des autres, sans jamais les remettre en cause, ouvrir de nouveaux horizons, ou inciter au pragmatisme. Bref, on assiste une fois encore, à un dialogue de sourds.

Voici donc les arguments des deux protagonistes:

Bertrand Barré, défenseur du nucléaire

  • Le nucléaire fournit de l'électricité de base, presque sans émissions de CO2, à un coût stable, très peu dépendant des cours erratiques des matières premières, et compétitif.
  • C'est une énergie presque domestique, source importante d'exportations pour la France comme d'emplois nombreux et qualifiés.
  • Le nucléaire intègre dans son coût ses «externalités» (démantèlement des centrales, gestion des déchets...), ses déchets sont tout à fait gérables, et son impact sur la santé publique, malgré une poignée d'accidents graves, reste très inférieur à celui des énergies fossiles concurrentes.
  • Enfin, l'énergie nucléaire ne sera pas limitée par les ressources naturelles avant de nombreux siècles. L'Allemagne est d'autant moins un exemple à suivre que nous sommes trois fois plus dépendant de l'atome que notre voisin d'outre-Rhin.

Sophia Majnoni d'Intignano, opposée au nucléaire

  • Le nucléaire soulève la question de la pollution radioactive: problématique des déchets, risque d'accident majeur, contribution à la prolifération nucléaire. Or ce risque est constamment minimisé.
  • Il ne résout pas les questions d'indépendance énergétique puisque la France consomme toujours autant de pétrole aujourd'hui qu'en 1975 et autant que ses voisins moins ou pas nucléarisés. L'uranimum en outre est importé.
  • L'abondance de l'électricité produite par les centrales a induit des surconsommations d'électricité, notamment via le développement du chauffage électrique, qui contraint à son tour à un surdimensionnement du parc électrique pour parer aux pics hivernaux de consommation.
  • Certaines externalités sont prises en compte, mais sont sous-évaluées, d'autres sont évacuées comme le coût des accidents majeurs (qui ne sont pas assurés).
  • Le coût du nucléaire est amené à augmenter fortement et sa compétitivité est mise en cause.

Tout ceci n'est pas inintéressant certes, mais franchement, les positions restent si obtuses... Et l'impression de déjà entendu est si prégnante...

Nos questions

Voici donc les questions que l'on aurait bien aimer voir posées:

  • Le nucléaire pour quels usages? Pour qui ne souhaite pas se passer de nucléaire, mais simplement réfléchir à son importance dans le mix énergétique français: le nucléaire doit-il répondre à tous les besoins électriques du pays comme aujourd'hui, ou simplement aux besoins de base? Quelle serait, du point de vue des pro-nucléaires, sa part idéale dans un futur mix-énergétique? 75%? 50%? 30%?
  • Quel mix électrique serait idéal du point de vue des anti-nucléaires? A quel rythme faire baisser la part du nucléaire?
  • Quelle part doit occuper l'électricité dans le mix énergétique français? En France, cette part est plus importante que chez plusieurs de nos voisins. Est-il souhaitable de la diminuer, ou pas? Car c'est aussi une façon de «traiter» la question nucléaire.
  • Peut-on chercher une méthodologie pour évaluer les risques du nucléaire à court et long terme sans tomber dans la caricature? D'un côté, Greenpeace demande de calculer les risques de pollution radioactive au sens large, y compris dans la prolifération des armes nucléaires; Bertrand Barré lui se limite à comptabiliser les personnes décédées à la suite des accidents nucléaires (5 décès directs à Fukushima/ quelques milliers de décès prématurés des suites de Tchernobyl) et les compare au million de decès imputés chaque année au charbon (notamment via la pollution). Tout ceci n'est guère satisfaisant...
  • Quelles propositions sont faites par les pro et antinucléaires pour intégrer au coût de chaque énergie, quelle qu'elle soit, ses externalités négatives en termes d'émissions de CO2, de destruction durable des terres occupées (mines, centrales, etc.), de matériaux rares, de démantèlement, de gestion des déchets... Ne doit-on pas intégrer dans le coût du nucléaire non seulement le coût des accidents majeurs mais aussi leur coût sociétal (que coûte l'impossibilité d'habiter et d'exploiter une partie du territoire d'un pays pendant des siècles?).
  • Comment calculer le taux d'indépendance énergétique d'un pays comme la France: doit-on ou non intégrer les importations d'uranium à la facture énergétique? L'indépendance énergétique doit-elle être calculée sur une base hexagonale ou européenne? Comment réduire la consommation de pétrole?
  • Comment évaluer le coût des différentes énergies en France à l'horizon 2025?

Bref, si jamais les deux protagonistes voulaient bien sortir de leurs rôles traditionnels et élargir le débat...

Catherine Bernard

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