Avant sa démission, on savait que le pape Benoît XVI serait salué comme le grand pape intellectuel du siècle. Ce qui ne signifie pas que ce pape allemand fut plus intelligent et cultivé que ses prédécesseurs, mais toute sa vie, cet homme aura étudié, enseigné, lu les auteurs les plus arides, écrit avec abondance, donné des conférences, corrigé des théologiens progressistes. Devenu pape, il n’avait pas changé, ne s’était pas départi de sa nature profonde, faite de pudeur, de timidité, de réserve. Ce qui ne veut pas dire laxisme et faiblesse, comme l’ont montré nombre de décisions et d’orientations prises durant son règne de huit ans.
Son élection du 19 avril 2005 n’avait pas été, à proprement parler, une surprise. Benoît XVI restera même l’un des papes les plus rapidement élus, le 265e de l'histoire. Malgré une brève résistance de la minorité progressiste du conclave (autour des cardinaux Martini et Bergoglio), deux jours et quatre tours de scrutin avaient suffi pour élever au trône de Pierre celui qui fut, de 1981 à 2005, l’un des plus proches de Jean Paul II à la Curie, en charge de la doctrine, et était aussi le «doyen» du collège des cardinaux.
Elu, il avait choisi –créant cette fois la surprise– le nom de Benoît, par référence à Saint-Benoît de Nursie, fondateur du monachisme en Occident, et à Benoît XV (1914-1922), le pape pacifiste de la «Grande Guerre».
Dès le début de 2005, devant la dégradation de la santé du pape polonais, le clan le plus conservateur de la Curie avait commencé à faire campagne pour lui. Malgré son âge avancé –78 ans– et son image déplorable auprès des progressistes, la thèse de son élection avait pris corps, fondée sur le brio intellectuel du personnage, sa parfaite orthodoxie, son goût de la tradition.
Le «dauphin» de Jean Paul II
Réputation qui ne sera jamais démentie durant ce pontificat-charnière. L'amitié fidèle, sincère, indéfectible que lui portait Jean Paul II, qui l'avait maintenu au poste de préfet de la doctrine pendant 23 ans, contre vents et marées, était aussi une solide garantie.
Sa classe, son élégance étaient devenues éclatantes dans les dernières et douloureuses semaines du pontificat de Karol Wojtyla. Entre eux, s’était produit une sorte de passage de témoin. Le pape mourant n’avait pas désigné de dauphin –ce n'est pas conforme à la tradition. Mais, retenu dans ses appartements privés, il avait confié au cardinal Ratzinger la direction du chemin de croix du Vendredi-saint, le 25 mars au Colisée, souvenir de la Passion et de la mort du Christ.
Passion étonnante, écrasante pour Jean Paul II et son ami. Joseph Ratzinger s'était acquitté à la perfection de cette tâche de suppléance. Dans sa méditation, il avait impressionné l’assistance en dénonçant, probablement en allusion au scandale des prêtres pédophiles, les «souillures de l'Eglise».
Ensuite, tout s'était enchaîné très vite: sous le choc de la mort de Jean Paul II, inexpérimenté avant le conclave (98 électeurs sur 115 avaient été des «créations» du pape polonais), le collège des cardinaux avait vu dans son doyen, Joseph Ratzinger, un «maître» naturel.
Point de grande réforme
Le 8 avril, c’est lui qui préside les obsèques du pape polonais, prononce une autre homélie très remarquée, reçoit les condoléances du monde entier accouru à Rome. C’est lui encore qui donne la consigne du secret absolu du «pré-conclave», au grand dam des journalistes, pour éviter toute pression sur les électeurs. C'est vers lui, enfin, que les regards des cardinaux novices se tournent et que leurs espoirs vont converger.
Une Eglise orpheline de Jean Paul II, exposée aux risques de contestation et de division, avait besoin d'un timonier solide, d'un homme fort et d'expérience, en même temps que d'un spirituel profond et d'un intellectuel courageux. C’est pour cette raison que le cardinal allemand avait été élu, quitte à rester le pape d'une «transition», peut-être «le dernier pape européen», écriront les commentateurs.
Quitte aussi à se souvenir que les conservateurs –dans l'Eglise comme dans les Etats– sont parfois les seuls à pouvoir entamer les réformes. De grande réforme, il n’y en eût point au cours du pontificat de Benoît XVI.
Henri Tincq