Culture

Le charme décontracté de la Berlinale

Temps de lecture : 6 min

Longtemps boudée par les critiques, qui lui préféraient le glamour du Festival de Cannes et l'historique Mostra de Venise, la manifestation, qui fête sa 63e édition, a dû faire preuve de patience et d'inventivité pour se hisser dans la cour des grands.

Cannes et Venise ont le soleil et la mer, Berlin la grisaille et la neige. En dépit des températures glaciales qu'affiche la capitale allemande au mois de février, les vedettes qui foulent le tapis rouge berlinois jouent pourtant le jeu de la séduction et font tomber le manteau sous les vivats des photographes et de la foule, mais leurs sourires paraissent toujours plus crispés que ceux capturés l'année précédente sur la Croisette ou le Lido.

Et ce même si le Theater am Potsdamer Platz berlinois, un bâtiment tout en transparence conçu par l'architecte Renzo Piano et doté d'une salle de spectacle de 1.800 places, n'a pas à rougir face à l'infrastructure vieillissante qui continue d'accueillir tant bien que mal le Festival de Venise ou au «bunker» cannois, même orné de sa légendaire volée de marches...

La Berlinale, qui commence cette année le 7 février, est pourtant considérée aujourd'hui par la plupart des experts comme le numéro deux du trio de tête, derrière Cannes et devant Venise, avec plus de 3.800 journalistes accrédités et 8.000 participants à l'European Film Market —l'équivalent du Marché du film cannois, très couru car le tout premier rendez-vous de l'année pour les professionnels du film. Et si personne dans la capitale allemande ne remet en cause la suprématie de Cannes dans le domaine du glamour, la Berlinale a fait beaucoup d'efforts ces dernières années pour faire venir des stars, de Meryl Streep à Angelina Jolie, de Quentin Tarantino à George Clooney, et compte comme son rival français le géant L'Oréal parmi ses sponsors.

Le «geste hardi» de 1978

Quant au choix d'organiser la manifestation en plein hiver —ce qui fit craindre en 1982 à une des membres du jury, la réalisatrice allemande Helma Sanders-Brahms, que la Berlinale soit «en passe de devenir un festival du pull-over», il est délibéré. Jusqu'en 1978, elle était organisée l'été, à cheval sur juin et juillet, et c'est justement parce que Cannes lui faisait concurrence que son directeur de l'époque, Wolf Donner, prit la décision d'avancer la date du Festival pour lui donner un peu d'air, comme l'explique l'historien du cinéma Peter Cowie dans le livre The Berlinale. The Festival:

«A la longue, la Berlinale était menacée de disparaître dans l'ombre de Cannes, et la compétition avait dû maintes fois s'en tenir à des films dont les Français n'avaient pas voulu. Quand en 1978, Donner avança la Berlinale au mois de février, il prit un risque immense. Avec ce geste hardi, il plaça Berlin à la tête du trio, trois mois avant Cannes et six mois avant Venise. (Donner aurait préféré mars, mais dut renoncer face aux protestations de Cannes).»

Un sacrifice nécessaire que l'on continue à assumer au sein de l'équipe du festival, comme l'explique en riant Wieland Speck, directeur de la section Panorama (l'équivalent d'Un Certain Regard à Cannes):

«De cette façon, les gens vont au cinéma au lieu de traîner dehors, c'est aussi un avantage! Nous nous sommes autrefois donné pour consigne d'être un "Arbeitsfestival", un festival où l'on vient pour travailler. Cela passe bien avec les clichés sur les Allemands et nous a permis de bien nous positionner.»

La quantité plutôt que la qualité?

En dehors de la météo, il est souvent aussi reproché au Festival de Berlin d'avoir une programmation moins exigeante que ses deux grands concurrents. De privilégier la quantité (près de 400 films sur une quinzaine de sections) plutôt que la qualité, comme le regrette Jan Schulz Ojala, chef de la rubrique cinéma du quotidien berlinois Der Tagesspiegel depuis quinze ans:

«Il y a un manque de grands noms dans la compétition, et même quand il y a des noms connus, ce sont souvent des films plutôt faibles et qui sont hors compétition.»

Même les réalisateurs révélés grâce à la Berlinale ne résistent pas aux sirènes de Cannes, fait remarquer le critique:

«Cannes est une étoile tellement brillante que tout le monde veut y aller. Je pense par exemple à Andreas Dresen, qui est allé à Cannes avec ses deux derniers films et qui a eu du succès là-bas, à Fatih Akin, qui y a aussi présenté ses films. C'est un développement très dangereux pour la Berlinale.»

Un constat que tempère son confrère français de Télérama Aurélien Ferenczi, qui fréquente le festival depuis la fin des années 1980:

«J'ai le sentiment que Berlin ne s'en sort pas mal aujourd'hui par rapport à il y a 25 ans. J'ai connu un festival qui au départ était très diplomatique, qui était un peu la vitrine de la production d'Europe de l'Est, qui se voulait un peu dans la lignée de la position de Berlin après-guerre [le festival a été créé en 1951 par les Alliés, NDLR], une sorte de représentation équitable des forces cinéphiliques nationales. Aujourd'hui, c'est devenu un festival qui recherche le cinéma d'auteur, d'art et d'essai, d'ampleur internationale, au même titre que Venise ou Cannes.»

La Berlinale a en revanche perdu un de ses principaux atouts depuis que la date des Oscars a été avancée de mars à février. Avant 2004, elle constituait une voie royale pour les grosses productions américaines nommées, qui s'offraient là une belle vitrine médiatique en fin de course. «Les grands films américains utilisent désormais Venise, et aussi Toronto, pour faire les premiers gros titres avant les Oscars. Il ne reste donc plus que des petits films indépendants à la carrière incertaine pour la Berlinale», explique Jan Schulz Ojala.

Des films moins connus, plus risqués

En revanche, sur le plan de la programmation, des films moins connus, plus risqués, hors des sentiers battus, qui n'auraient pas leur chance dans les deux autres manifestations, voient la Berlinale leur ouvrir grand les bras, comme l'explique Aurélien Ferenczi:

«Le programme du Festival de Cannes reflète assez bien les auteurs mis en avant par la critique française, alors que le Festival de Berlin peut se permettre d'être un peu plus inventif, un peu plus audacieux, c'est-à-dire de mettre en compétition des films moins calibrés cinéphiliquement que Cannes.»

Il cite l'exemple du réalisateur iranien Asghar Farhadi, lauréat de l'Ours d'or en 2011 pour son film Une séparation:

«C'est un cinéaste qui a grandi littéralement grâce à Berlin. C'est une belle satisfaction pour le festival.»

En marge de la compétition, critiques et acheteurs à la recherche de la perle rare se pressent aussi aux projections des sections Forum et Panorama, qui présentent respectivement les œuvres de jeunes cinéastes prometteurs et des films d'art et d'essai de réalisateurs plus établis. Des sections qui affirment une vocation internationale très forte sous la direction artistique de Dieter Kosslick, qui a pris les rênes du festival en 2001 et décrit lui-même la Berlinale comme «une fenêtre sur le monde», un reflet du Zeitgeist à travers les productions de l'année écoulée.

Ce touche-à-tout, qui a été directeur de cabinet municipal, rédacteur de discours, journaliste pour la revue d'extrême gauche Konkret et gérant de plusieurs fonds cinématographiques, a d'ailleurs placé son ère sous le slogan «Accept Diversity», donnant une tournure très politique à la Berlinale ces dernières années.

Son charisme et sa capacité de rassembler en font un hôte très apprécié de ses invités, explique Jan Schulz Ojala, qui salue également son inventivité en matière de nouvelles sections, mais regrette cependant chez lui l'absence d'une vraie vision artistique:

«Quand on pense à des personnalités comme Marco Müller et Alberto Barbera à Venise, et surtout à Thierry Frémaux à Cannes, à la façon dont ils défendent un film, on a toujours l'impression que ce sont des décisions qui ont été prises avec une autorité cinématographique. Dieter Kosslick n'a pas identifié un certain langage cinématographique, un certain principe esthétique, il n'a pas une passion et une frénésie pour le bon cinéma.»

Ouverture au grand public

Moins cinéphile que Cannes et Venise, la Berlinale est en revanche bien davantage ouverte au public, tandis que ses concurrents sont plutôt réservés aux professionnels. Un aspect particulièrement intéressant pour les acheteurs, qui peuvent assister aux projections dans des conditions quasi-réelles et assister aux débats publics qui les clôturent, comme l'explique Wieland Speck:

«Les premières de la section Panorama sont à la fois des premières pour la presse internationale et pour les acheteurs. C'est une formule que l'on ne peut proposer que lorsqu'on a un public. La projection a valeur de test, les professionnels peuvent se faire une idée de la façon dont un film pourrait peut-être être accueilli dans une grande ville.»

Au total, plus de 100.000 cinéphiles se pressent chaque année dans la multitude de salles de cinéma que compte la capitale allemande, ce qui fait de la Berlinale le plus grand festival ouvert au public à l'échelle mondiale et lui donne un côté simple et décontracté, au charme très berlinois.

Annabelle Georgen

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