Après les mots, les chiffres. Ou plus précisément «dix ans de réclusion criminelle». Mais aussi, en cette soirée du mercredi 17 juin, cette donnée assez troublante: dans une enceinte judiciaire française ayant à traiter de sexualité, de vie et de mort, d'inconscient, de maternité et d'infanticide un procureur général ne peut, dans son réquisitoire, faire l'économie du religieux.
Dieu serait donc bel et bien là, aux côtés de la balance et du voile devant les yeux. A l'adresse des jurés de la cour d'assises d'Indre-et-Loire l'avocat général a expliqué qu'il ne fallait voir en Véronique Courjault qu'une femme. Une simple femme que les hasards ou la fatalité - Dieu seul le sait peut-être - ont conduit à tuer trois de ses enfants quelques minutes après qu'ils ont commencé à respirer. Une simple femme. Il ne faut surtout pas «diaboliser» Véronique Courjault Et, encore moins faire de Véronique Courjault une «icône», une sainte prêchant pour la reconnaissance d'un nouveau droit féminin, celui du déni de grossesse.
Philippe Varin, avocat général devant la cour d'assises d'Indre-et-Loire, reconnaît volontiers - méchante pique à l'attention de Me Henri Leclerc et des psychanalystes venues défendre l'accusée - ne pas être un familier des écrits de Freud et de Lacan. L'inconscient? Connaît pas! Au terme de son long réquisitoire il dira que le droit pénal prime tout; et que ce droit pénal doit ici bénéficier à l'accusée. Un des deux collèges d'experts psychiatres a - non sans tergiverser - conclu de manière officielle que, hystérie grave ou pas, le discernement de l'accusée avait pu être «moyennement altéré» au moment des faits, en Charente (1999) comme en Corée (2002 et 2003). Dès lors Philippe Varin, homme respectueux du droit, s'interdit de réclamer la réclusion criminelle à perpétuité. Dix ans lui suffiront avant que cette mère retrouve Jules et Nicolas, 12 et 14 ans.
Philippe Varin fait son travail avec précision, avec méthode. Et il consiste pour l'essentiel aujourd'hui à gommer consciemment toutes les dimensions inconscientes mises en perspectives par la défense. D'où cette violente attaque contre la psychanalyste Claude Halmos citée par la défense au motif qu'elle a trouvé les moyens de parler dans les médias, cet autre «tribunal populaire». Parler de «renaissance symbolique» pour des nouveaux-nés que l'on a tués avant de les conserver durant des années dans deux tiroirs d'un congélateur ? La chose est plaisante. Mais que dire, alors, de celui que l'on a brûlé dans un insert avant, croit-on se souvenir, de disperser les cendres dans le jardin ?
L'avocat général tient coûte que coûte à rester au premier degré. Et le premier degré peut faire mal. Philippe Varin nous dit que Véronique Courjault a bel et bien eu conscience d'être enceinte par trois fois avant, par trois fois, de tuer consciemment ceux qui, pour lui, étaient des «bébés» et que l'accusée qualifia longtemps de «choses qui sortaient de son ventre». Le premier degré fait mal qui nous dit qu'elle a menti consciemment à son mari pendant, au minimum, trois fois neuf mois et, en réalité, depuis toujours. Certes nous avons bien compris : elle ne voulait pas revivre ce que vécut sa mère ; sa mère qui fut la mère de sept enfants mais qui, surtout, fut fille-mère à une époque où l'on ne pardonnait guère. Et alors? Faudrait-il pour cela fermer les yeux?
Le premier degré fait terriblement mal quand on entend un avocat général parler de ces trois morts «données volontairement avec préméditation» comme des «avortements de la 25ème heure». Et, toujours au premier degré, que penser de cette femme qui vient de nous dire que si on ne l'avait pas, en 2003 et à Séoul, privée de son utérus et de ses ovaires, elle aurait sans doute continué à pratiquer des gestes d'infanticides?
Rester au premier degré fournit bien des avantages. A commencer par qualifier de mensonge ce que d'autres baptisent déni. Dix ans requis, donc. Dix ans au nom du droit et pour des faits «d'une exceptionnelle gravité». Dix ans pour ne pas commencer à tolérer l'intolérable. Dix ans après lesquels celle qui n'est certes ni sainte ni diablesse pourra retrouver les deux enfants qui lui restent.
Jean-Yves Nau
Crédit photo: Reuters
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