Au matin du septième jour du procès, mercredi 17 juin, la lumière commence à poindre. Avant les plaidoiries des parties civiles, avant le réquisitoire et les plaidoiries de la défense et bien avant le verdict tant attendu le président Domergue avait choisi d'interroger longuement l'accusée. Il le fit durant toute la matinée du mercredi 17 juin. Et il le fit avec un tact et une mesure que nous ne lui connaissions pas. Une matinée entière où la salle d'audience se transforma, au choix, en cabinet public de psychiatrie ou en confessionnal à ciel ouvert.
Retour plus que douloureux sur les faits. Et toujours cette incapacité de Véronique Courjault à donner des précisions, des explications, des justifications. Celle pour laquelle psychologues et psychiatres débattront longtemps encore du diagnostic. Est-elle sincère? Tout le laisse penser. Elle est tout sauf une «folle», tout sauf un «monstre». Mais tout se passe aussi comme si cette constante sincérité renvoyait à des déclarations différentes.
Les spécialistes de la psyché ont parlé à son endroit d' «adhésivité». La chose est assez simple à comprendre. Pour ne pas avoir à «s'introspecter» et compte-tenu de ses «défenses archaïques» elle répond ce qu'elle croit que celui qui l'interroge a envie d'entendre. L' «adhésivité» ne facilite guère le travail des enquêteurs ni celui des présidents des cours d'assisses.
Ajoutons qu'avec Véronique Courjault la situation est d'autant plus complexe que l'on entend clairement, dans ses réponses, émerger les effets de la psychothérapie dont elle bénéficie à la maison d'arrêt d'Orléans où elle est en détention depuis plus de deux ans.
Extraits. Le président l'interroge une nouvelle fois sur ce qui a bien pu se passer pour elle en Corée. Voix de petite fille. «Je suis désolée... La prise de parole est importante.... Je n'ai pas réussi à parler à Jean-Louis... J'ai adhéré à des choses qu'on m'a proposées.... C'est absurde, je sais que c'est absurde.... Je sais que c'est irréfutable... Je sais ce que j'ai fait...»
Le président lui fait remarquer qu'elle savait bien que quand un enfant est dans le ventre d'une femme il naîtra immanquablement un jour. L'accusée: «Le problème c'est que je n'avais pas un enfant dans le ventre... » Le président: «Vous vous cachiez la vérité?» L'accusée: «Cacher la vérité ? Je n'ai pas dissimulé la vérité... Je ne sais pas si ce n'est pas une formulation excessive ... Secret ? Non ce n'était pas un secret dans ce sens là.»
Le président: «Durant vos deux auditions en garde à vue vous êtes allée au bord du gouffre. Et durant la conférence de presse que vous avez donnée avec votre mari le 22 août 2006 vous dites que vous vivez un cauchemar, que vous êtes tous les deux dépassés par ce qui vous arrive». L'accusée: «C'est vrai que c'est ce que je pensais... Il y avait des journalistes dans mon jardin, des tests ADN... » Le président : «Vous avez déclaré avoir une « pensée magique»» ? » «Une pensée magique ? Peut-être, je ne sais pas.»
Et ce formidable dialogue continue. Le président : «Vous aviez conscience de mentir ?» L'accusée : «Je ne pense pas vraiment que ce soit un simple mensonge».
- «Les enquêteurs et le juge d'instruction ont tous noté votre froideur quand vous avez reconnu les faits: aucune émotion quand vous avez relaté la façon dont vous aviez tué vos bébés. Pas de remords, pas de regret ».
- «Je ne suis pas quelqu'un de froid »
- « Pas de remords, pas de regrets ?
- «Je ne pouvais pas, même après les aveux. Des bébés pris comme une réalité, comme une existence, comme individualisés il n'y a pas si longtemps... Je ne suis pas quelqu'un de froid. Je ne sais plus ce que j'ai voulu dire»
- «Hier des experts psychiatres ont déclaré que vous leur aviez indiqué que si vous n'aviez pas subi une hystérectomie en 2003 à Séoul vous auriez probablement commis d'autres actes d'infanticide»
- «Oui. Oui je pense que c'est possible.... Oui je pense que c'est possible »
Le président interroge maintenant Jean-Louis Courjault sur les raisons qui l'on poussé à demander une reconnaissance des deux bébés tués à Séoul, le troisième ne pouvant l'être puisqu'incinéré. «J'ai pensé qu'ils méritaient mieux que ça, mieux que les numéros qu'on leur avait donné. Mais je ne veux pas tomber dans de faux sentiments. Ce sont nos enfants, nos bébés. Il n'y a pas eu de contact, de relations comme avec des enfants qu'on attend, des enfants qu'on élève. C'est différent ».
Jean-Louis Courjault, encore, à propos des relations très suivies qu'il entretient désormais avec Véronique: «C'est le choix, assez intellectuel, de continuer à s'aimer. Les gestes de Véronique n'ont pas été calculés. Pour moi il s'agit d'une maladie, une psychose ou quelque chose comme cela même si les experts disent le contraire. Mais je ne veux pas rentrer dans ce débat. Mon analyse c'est qu'elle était dans une grande détresse, qu'elle n'a pas pu s'exprimer et que les conséquences viennent de ça. Mais on va régler le problème. Elle a un potentiel de mère, d'affection. Aucun doute. Il faut le libérer. Que l'on profite au moins de tout ça pour ça.»
Jean-Louis Courjault, enfin: «Sinon quoi? On se retranche derrière les dates? On fait du politiquement correct? On sauve la face? Et on ne résout rien! Oh oui, bien sûr j'aurais pu partir en courant avec les enfants. Tout le monde aurait trouvé ça normal. Mais ça n'était pas la solution. Cela aurait été faire une croix sur tout. Il faut de la dignité. Partir en courant? Cela aurait été de la lâcheté.... ».
Un juré veut savoir si celui qui est aujourd'hui en liberté sous contrôle judiciaire a au fil du temps pris conscience du «mal de vivre» de sa femme. Il répond que oui, que ce mal lui semblait passager. «Mais les problèmes psychologiques ne sont certainement pas mon fort».
Nous retournons vers l'accusée. Le président lui demande comment où elle a trouvé l'énergie pour nettoyer les lieux après les trois infanticides commis et ce alors même que ses enfants (pour le premier, en 1999) et son mari (pour ceux de 2002 et 2003) pouvaient à tout instant la découvrir. «Je ne sais pas. Sans doute en moi. Mais je ne sais pas si c'est de l'énergie. Cela s'est passé .... c'est tout.»
La parole est à Philippe Varin, avocat général. Il demande en substance à Véronique Courjault si ce n'est pas durant sa détention qu'on lui a appris l'existence de ce «déni de grossesse» dont on parle tant et tant aujourd'hui. Ne lui a-t-on pas donné un livre sur le sujet? Oui on lui a bien donné un tel livre mais elle qui aime tant lire ne l'a pas lu. En revanche elle a vu à la maison d'arrêt d'Orléans une émission de télévision narrant un cas où une femme en déni de grossesse avait jeté son nouveau-né avant de le retrouver et de l'élever. C'est alors, peut-être qu'elle a commencé à comprendre. «Mais je ne sais pas si je ressemble à ça, corrige-t-elle aussitôt. Je ne sais pas trop. Je cherche. Ce que j'ai fait, je l'ai fait.»
La parole est à la défense. Microphone en main et avec une infinie douceur, Me Hélène Delhommais s'approche de la cage de verre, regarde Véronique Courjault dans les yeux et revient sur les problèmes qu'elle a avec la dimension temporelle de l'existence. Oui ses souvenirs sont «très flous», «très mélangés». Non elle ne sait plus pourquoi, en 1999 lors d'un voyage au Maroc elle a répondu à Jean-Louis qu'elle n'était pas enceinte alors qu'elle savait l'être. «Je l'étais mais je ne l'étais pas pour moi. C'est tellement confus, dans ma tête... ».
Nouveau voyage vers la douleur. Pourquoi, à Séoul, allait-elle régulièrement vérifier que les deux cadavres étaient toujours bien présents dans le congélateur ? «Et bien... pour voir si c'était vraiment vrai, si j'avais vraiment mis ces choses dans le congélateur». Et puis des larmes et des larmes. Et la main droite continuellement posée sur le front ou sur la tempe. «J'ai tué mes enfants... J'ai tué mes enfants...».
Pour l'état-civil français les deux enfants qui ont vu le jour à Séoul se prénomment désormais, et pour toujours, Thomas et Alexandre.
Jean-Yves Nau
Crédit photo: Reuters
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