«La France en guerre», titrait Libération, samedi 12 janvier, affirmant également dans un article que «le président Hollande s'en va-t-en-guerre» en décidant, vendredi, l'intervention de forces françaises au Mali pour enrayer l'avancée des forces islamistes vers Bamako.
Le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis a lui vu dans François Hollande «celui qui décide la paix ou la guerre», tandis que Dominique de Villepin, dans une tribune dans le Journal du dimanche, estime que «Non, la guerre, ce n'est pas la France».
Mais s'agit-il vraiment d'une guerre? Juridiquement, non, puisque la guerre suppose un feu vert du Parlement (article 35 de la Constitution):
«La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.»
Ce qui n'a pas jamais été le cas sous la Ve République, comme le notait en 2008 un rapport parlementaire: quand la France est intervenue, c'est dans le cadre d'opérations extérieures (Opex) décidées par le président de la République, «chef des armées», et le gouvernement, qui «dispose de la force armée». Selon les documents budgétaires 2013, à la fin de l'an dernier, environ 4.000 hommes étaient déployés dans ce cadre, chiffre en baisse depuis le retrait d'Afghanistan.
Quand il décide ces opérations, l'exécutif choisit soigneusement ses mots, comme nous le notions déjà au moment de l'intervention en Libye: «Nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye, mais une opération de protection des populations civiles», déclarait François Fillon en mars 2011. «Les Français doivent savoir que nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan, mais que nos troupes peuvent être engagées ou impliquées dans des opérations de guerre», affirmait-il déjà dans la même enceinte en septembre 2008.
«Il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre à un peuple, ni de la volonté de détruire un Etat», déclarait de son côté Michel Rocard devant l'Assemblée nationale en janvier 1991, au début de la guerre du Golfe. Et François Hollande a lui aussi employé le mot «opération», vendredi soir comme samedi.
Si plusieurs dirigeants de la gauche ont déploré que le Parlement n'ait pas été associé avant à l'opération malienne –EELV a «regretté que le Parlement n'ait pas été consulté en amont de cette décision» et Jean-Luc Mélenchon a jugé «condamnable» le fait que la décision ait été prise «sans en saisir préalablement ni le gouvernement ni le Parlement»–, c'est juridiquement légal.
Le gouvernement «informe» le Parlement
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, il est prévu que «le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention» (il était initialement prévu que ce soit «dans les délais les plus brefs» mais le Parlement avait légèrement durci le texte) et «précise les objectifs poursuivis».
Mais cet «informe» est plutôt flou sur la forme; cette consultation peut être un simple message au Parlement: le Conseil constitutionnel l'a un petit peu précisé en examinant le règlement de l'Assemblée en juin 2009, pointant alors que la Constitution entendait «qu'à tout le moins l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale soient informés de ces interventions».
Si François Hollande annonçait vendredi que «le Parlement sera saisi dès lundi», cela ne prendra donc pas à très court terme la forme d'un débat dans l'hémicycle (comme cela avait été le cas pour la Libye): il est prévu pour l'instant que Jean-Marc Ayrault reçoive les présidents des deux Assemblées, des commissions des Affaires étrangères et de la Défense et des groupes parlementaires, puis que les commissions compétentes mènent des auditions mardi.
#Mali: pour application Art.35: lundi soir réunion à Matignon avec tous les responsables des 2 Assemblées et mardi auditions en Commissions.
— Alain Vidalies (@AVidalies) Janvier 12, 2013
Et quand bien même il y aurait un débat en séance plénière, il ne pourrait pas y avoir de vote sur l'opération en elle-même, l'article 35 de la Constitution l'interdisant –sauf à imaginer que le gouvernement contourne cette interdiction en engageant sa responsabilité sur une déclaration de politique générale portant sur son intervention au Mali, comme l'avait fait le gouvernement Rocard en 1991 avec l'Irak.
Un vote dans quatre mois?
Le souhait des coprésidents du groupe EELV à l'Assemblée, Barbara Pompili et François de Rugy, qui ont réclamé «un débat au Parlement suivi d'un vote», a donc peu de chances de se réaliser. Il y a cinq ans, le groupe socialiste réclamait qu'un tel vote soit possible.
En revanche, le Parlement aura à approuver par un vote l'intervention au Mali si celle-ci se prolonge pendant plus de quatre mois –encore une innovation introduite par la révision constitutionnelle de 2008, et que le Parlement avait durcie, le gouvernement prévoyant initialement un délai de six mois.
Cette disposition a servi trois fois: en septembre 2008 puis en janvier 2009, le gouvernement avait fait approuver la poursuite des interventions en Afghanistan, en Centrafrique, en Côte d'Ivoire, au Liban, au Tchad et au Kosovo (qui duraient toutes depuis bien plus de quatre mois, mais avaient commencé avant la révision); en juillet 2011, le Parlement avait approuvé la poursuite des opérations en Libye.
Et ce feu vert a posteriori est valable pour un temps indéfini: en 2008, des amendements déposés par des députés PS, mais aussi UMP, réclamant qu'après quelques mois ou un an le Parlement puisse se prononcer à nouveau sur une intervention qui s'éternise, avaient été rejetés.
Jean-Marie Pottier