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Pilules de 3e génération: un ministère paniqué appelle à ne pas paniquer

Temps de lecture : 5 min

Marisol Touraine exhorte les femmes à ne pas céder à la panique, tout en reconnaissant des failles majeures dans le système de prescription, de remboursement et de surveillance des effets indésirables des médicaments.

A la conférence de presse de Marisol Touraine, le vendredi 11 janvier 2013. Photo par Alexandre Blot Luca
A la conférence de presse de Marisol Touraine, le vendredi 11 janvier 2013. Photo par Alexandre Blot Luca

Comment un ministre de la Santé peut-il prévenir un effet de panique quand il est, lui-même et sa haute administration, comme paniqué par l’enchaînement des évènements qui caractérisent une crise sanitaire majeure?

C’est la question à laquelle est confrontée, depuis près d’un mois, Marisol Touraine avec l’affaire des pilules contraceptives de troisième génération.

Une affaire qui touche –dernière estimation officielle disponible –environ 2,5 millions de femmes soit la moitié de celles qui, en France, ont recours à une contraception hormonale orale. Soit 2, 5 millions de femmes qui ne savent plus si elles doivent changer de méthode contraceptive, la leur n’étant plus remboursée dans deux mois et demi.

Les failles majeures du système français de prescription

La ministre de la Santé a, vendredi 11 janvier devant la presse, tout fait pour reprendre la main dans la gestion, incohérente à bien des égards, de cette crise sanitaire d’un genre nouveau en France. On peut raisonnablement douter qu’elle y soit parvenue.

La ministre de la Santé est en effet confrontée ici à un terrible paradoxe: en tentant de justifier les initiatives qu’elle a déjà prises dans ce dossier (tout comme celles qu’elle a annoncées) elle met au grand jour les failles majeures qui demeurent dans le système français de prescription, de remboursement et de surveillance des pilules contraceptives mais aussi, au-delà, des médicaments dans leur ensemble.

>> Ma pilule est-elle de 3e ou 4e génération? Et les autres questions que vous vous posez dans notre Foire aux questions.

Tout se passe comme si les différentes affaires et scandales médicamenteux de ces dernières décennies n’avaient pas permis –en dépit des mesures législatives et réglementaires qui les ont suivies– de prévenir de nouvelles dérives.

Visiblement émue par l’affaire à laquelle elle est directement confrontée Marisol Touraine a cherché à donner un caractère solennel à la conférence de presse décidée en urgence, déclarant d’abord «non pas comme ministre, mais comme mère de trois enfants dont deux jeunes femmes», combien elle mesurait «les interrogations légitimes» sur l’usage des pilules de 3e et 4e génération, et annonçant qu’elle recevrait bientôt les familles confrontées à un incident grave lié à la prise de la pilule.

Obtenir une limitation européenne

Encadrée par les responsables de la Haute Autorité de Santé, de l’Agence nationale de sécurité du médicament et de la Direction générale de la Santé, la ministre a, comme le révélait la veille Le Parisien, annoncé sa décision de saisir de cette question l’Agence européenne du médicament (EMEA).

Objectif: obtenir des pays européens une révision générale des autorisations de mise sur le marché de ces pilules et ce «dans un sens restrictif». Il s’agirait d’obtenir que ces pilules ne puissent plus, d’un point de vue réglementaire, n’être prescrites qu’en «seconde intention»; soit après la démonstration que la prescription d’une pilule de seconde génération provoque des effets secondaires difficiles à supporter par la patiente.

L’EMEA n’en a cure

Cette initiative risque fort d’être sans suite. Peu avant l’annonce du gouvernement français, l'EMEA publiait, depuis son siège de Londres, un communiqué sonnant comme une fin de non recevoir:

«Il n'y a actuellement aucune nouvelle preuve suggérant un changement dans le profil de sécurité connu des pilules combinées commercialisées actuellement. Il n'y a de ce fait aucune raison que les femmes arrêtent leur contraception.»

On peut voir là une formule diplomatique pour signifier qu’il s’agit ici d’une problématique spécifiquement française qui ne saurait perturber l’agenda et les priorités européennes en la matière.

Autre initiative de la ministre de la Santé: demander à l’ANSM «de rendre systématiquement publiques les données de pharmacovigilance, soit le suivi et surveillance des effets indésirables des médicaments». Mis en cause dans toutes les affaires et scandales médicamenteux ce dispositif devra, une nouvelle fois, être «amélioré et simplifié», et ce afin que les professionnels de santé et les patients puissent plus facilement déclarer les effets indésirables des médicaments, et notamment de tous les contraceptifs oraux.

13 décès en 27 ans

Le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM, a indiqué que la transparence serait faite pour ce qui est de cette famille de médicaments. Il a aussi révélé quelques données officielles. Ainsi, depuis vingt-sept ans que les contraceptifs oraux sont commercialisés en France (ce qui correspond à «des dizaines de millions de femmes»), on a recensé 767 déclarations d’effets indésirables graves (de nature thromboembolique) et 13 décès directement imputables à ces médicaments.

Il semble que dans la quasi totalité des cas déclarés il existait des contre-indications à la prescription. Mais rien ne permet toutefois, bien au contraire, de penser qu’il s’agit là d’un recensement exhaustif. Comme dans le cas du Mediator on va donc mener des enquêtes rétrospectives pour tenter de mieux cerner la réalité de ce phénomène.

Une analyse plus générale des prescriptions

La ministre de la Santé «souhaite» enfin que les comportements collectifs des prescriptions médicales fassent l’objet d’une analyse en continu afin de garantir leur bon usage. Cette tâche ardue, qui dépasse les seuls contraceptifs oraux est confiée au Directeur général de la Santé.

Ces mesures révèlent, en creux, que les ordres donnés par le cabinet ministériel tant à l’ANSM qu’à la HAS ces six derniers mois n’ont toujours pas porté leurs fruits. Il s’agissait de campagnes d’information auprès des professionnels de santé (médecins, sages-femmes, pharmaciens), d’une nouvelle «évaluation du rapport bénéfices / risques des pilules de 3eet 4e générations» ou encore de «l’élaboration un référentiel de bonnes pratiques pour les professionnels de santé, afin que la contraception soit adaptée à la situation de chaque femme».

Restait, devant la presse, à expliquer les raisons précises ayant conduit la ministre de la Santé à dérembourser cette catégorie de pilules d’abord à compter du 30 septembre, puis finalement du 1er avril. Sur ce point Marisol Touraine s’est bornée à rappeler qu’elle avait simplement «donné suite» à l’avis de la HAS qui considérait que «le service médical rendu par ces spécialités doit être qualifié d’insuffisant pour une prise en charge par la solidarité nationale».

La faute à Bachelot?

Elle a ajouté qu’il ne fallait voir là aucune anomalie, l’anomalie résidant en réalité selon elle dans le choix qui avait été fait de les faire prendre en charge (en 2009) par la solidarité nationale. Mme Touraine n’a pas cité ici le nom de Roselyne Bachelot qui occupait alors les fonctions qui sont les siennes.

Interrogée par Slate.fr quant à savoir si elle rendrait publics les documents officiels correspondant à la fixation du prix de ces médicaments et à la décision de les rembourser Marisol Touraine a déclaré qu’elle ne s’était pas penchée sur ce sujet mais qu’elle était,«d’une manière générale, favorable à la transparence».

«Tout sera mis en œuvre pour éviter que les inquiétudes actuelles se traduisent par une diminution de la contraception et par une augmentation du nombre de grossesses non désirées», a-t-elle conclu.

Une surveillance étroite, permanente et réactive de l’évolution du nombre des IVG devrait donc être au plus tôt être mise en oeuvre. Plus d’un quart de siècle après le début de commercialisation des pilules de 3e génération.

Jean-Yves Nau

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