«La crise de la zone euro est derrière nous», a déclaré François Hollande à Oslo, il y a un mois. Propos hasardeux en ces temps imprévisibles... Mais, soit, le président français ne fait que relayer ce que nombre de dirigeants croient: les mesures prises cet été par la Banque centrale européenne et par le Conseil ont rétabli la confiance dans l'unité de la zone. L'Euroland ne va pas éclater, du moins dans un horizon prévisible, la Grèce conservera la monnaie unique et tous les autres pays faibles également.
Trois ans après le début de la crise des dettes souveraines, 2012 a été l'année du sauvetage monétaire de la zone euro. Mais rien n'est réglé sur le fond.
Les Européens sont toujours incapables de prendre les difficiles mesures pour sortir de leur marasme[1]. La zone euro a été la seule région en récession en 2012 et elle sera la seule en 2013. Les Etats-Unis se consolident et visent 2% de croissance cette année, la Chine maintiendra un 8%, le Japon restera positif. L'Europe continuera de subir un recul de son PIB au moins au premier semestre.
L'après est inconnu, mais la reprise éventuelle ne cesse d'être repoussée, de l'automne elle est maintenant attendue en fin d'année. Et, en 2014, le taux de croissance n'atteindrait pas 1%.
Est-ce socialement tenable?
Il y a désormais 19 millions de sans-emploi dans la zone euro, 2 millions de plus qu'il y a un an. Le taux de chômage atteint 11,8%. Et cette moyenne cache une divergence explosive entre deux Europe: celle de sept pays du Nord et de l'Est où le chômage a baissé, comme en Allemagne où il est revenu en un an de 5,6% à 5,4% (chiffres Eurostat) et celle des dix-huit pays où il a augmenté dont l'Espagne et la Grèce où il dépasse 26%.
Il faut s'arrêter sur ces chiffres. Un Espagnol sur quatre sans emploi et parmi eux 56,5% des jeunes de moins de 25 ans, ce sont des niveaux dignes de la grande crise. Quand Roosevelt a lancé le New Deal en 1933, le taux de chômage américain était de 25%. Sachant que l'économie espagnole va encore régresser en 2013 de plus de 1,5%, est-ce socialement et politiquement tenable? Même les Allemands, à l'origine de cet «ajustement budgétaire» dans les pays latins, ne pouvaient imaginer que le coût serait si élevé. Et si long: 2013 sera la sixième année de récession en Grèce, la troisième au Portugal et la cinquième en Espagne.
«Le climat sur les marchés financiers s'est nettement amélioré», écrit l'ancien ministre Edmond Alphandéry[2]. Mais «le risque de l'euro s'est déplacé aujourd'hui vers le champ politique. Les pays du Sud vont-ils continuer d'accepter les sacrifices qu'on demande à leur peuple?»
Cette crise-là, sociale et politique, n'est pas derrière nous mais devant nous. Quel sera l'état de l'opinion à la fin du printemps dans les pays du Sud, et la France est-elle dans ce lot des menacés? En septembre? Quand l'horizon ne se dégagera pas et que les espoirs s'évanouiront?
La question hante les gouvernements. Mais, en ce début 2013, ils réagissent à nouveau comme depuis le début, en retard, satisfaits des «progrès» qu'ils ont mis enfin en place et incapables de décider des changements qui mettraient vraiment fin au chômage. Le «la crise est finie» de François Hollande s'inscrit dans cet aveuglement: les dirigeants politiques n'ont toujours pas pris la mesure de la profondeur de la crise en cours et de la radicalité des politiques nécessaires.
Une crise des modèles de croissance
La crise n'est pas une crise des dettes dont on viendra à bout par seulement de l'austérité mais bien une crise des modèles de croissance de chaque pays qui doivent retrouver leur place dans la mondialisation et, au niveau de l'Europe, de l'organisation et des souverainetés.
Dans une Europe idéale, sauver le Sud et ressouder l'Union passerait d'abord par une massive immigration intérieure, de l'Espagne du chômage à l'Allemagne qui manque de bras. Ensuite, par des transferts de capitaux du Nord au Sud. Mais, dans le contexte de défiance et de ressentiments entre les peuples de plus en plus eurosceptiques, c'est impossible. Dans l'Europe réelle, ces deux pistes naturelles sont très étroites.
L'autre solution est de rester sur la voie suivie mais d'accélérer franchement: que la Banque centrale reprenne les dettes des banques et des gouvernements, que les réformes dites structurelles soient renforcées (en particulier dans les deux pays décisifs que sont l'Italie et la France qui traînent les pieds) et que l'union bancaire débouche sur un grand nettoyage enfin crédible de toutes les banques européennes.
Comme toutes ces mesures n'auront d'effet qu'à moyen terme, le débat s'ouvre sur l'austérité budgétaire. La Commission européenne a bougé en évoquant des délais pour le retour aux fameux 3%. Ensuite, plus hétérodoxe, l'économiste Charles Wyplosz avance, avec d'autres, qu'il sera incontournable de songer à un nécessaire abandon des dettes européennes. Les gouvernements voudront éviter cet extrême, avec raison. Mais, avant que les peuples ne refusent, il leur revient de reprendre l'offensive, d'accélérer et de cesser de croire que le pire est passé.
Eric Le Boucher
Article également publié dans Les Echos
[1] Sur les atermoiements des gouvernements, lire le très informé Ces Français fossoyeurs de l'euro, Arnaud Leparmentier, Plon. Retourner à l'article
[2] «The Euro Crisis». Lecture à l'université Tsinghua de Pékin, 16 novembre 2012. Retourner à l'article