Je le dis tout de go: je trouve très sensé le programme que Jean Marc Ayrault a présenté en Conseil des ministres et qu’il a publié dans le Monde daté vendredi 4 janvier. Il accompagne les vœux qu’a présentés François Hollande à la télévision et qui eux aussi traçaient ce que je crois être la bonne direction. Enfin se distingue une ligne, un horizon, c’est ce qui manquait.
Un cap enfin
Le président Hollande a commencé son mandat avant l’été par des taxes, des critiques contre les grandes entreprises comme Peugeot et des mesures «de gauche», comme des hausses de prestations. Puis l’été est venu et avec lui l’effondrement de la croissance. Le discours a dû être révisé et pour tout dire inversé: le rapport Gallois puis la fermeture des Hauts Fourneaux de Florange ont montré que François Hollande adoptait cette fois une ligne sociale démocrate et une politique dite de l’offre c’est-à-dire favorable aux entreprises. Ce zig zag qui déboussole son camp, méritait une nouvelle mise en perspective. Ca y est.
Le «nouveau modèle français», c’est certes on ne peut plus bateau. Ce ne sont encore que des mots. Mais la ligne est, première qualité, claire.
1- Le modèle social et républicain français va mal. L’admettre est franchir un énorme pas pour la gauche qui le nie depuis vingt ans, ou plutôt qui ne l’admet que pour dire que la faute en revient au libéralisme et/ou à l’austérité, bref à la politique «de droite» qui s’applique en France depuis 1983. Le modèle va bien, selon cette analyse de la gauche traditionnelle, il manque seulement de moyens (des effectifs), ces moyens que les méchants de droite lui comptent, justement parce qu’ils ont pour objectif de tuer le beau modèle.
François Hollande et Jean-Marc Ayrault avouent, eux, la plate réalité: c’est le modèle qui va mal, il n’est plus adapté. Le monde traverse une «mutation», écrit Ayrault, appuyée sur un problème économique (trouver un autre mode de développement que l’endettement), un problème écologique et un problème démocratique (les décisions publiques sont contestées car opaques et inopérantes). La responsabilité n’est pas à chercher du côté de la mondialisation (Montebourg le démondialisateur, est désavoué publiquement une nouvelle fois par son premier ministre), mais «de nos propres faiblesses». Voilà, en un article, remisé tout un fatras idéologique de gauche depuis 20 ans. On imagine qu’il y aura des réactions…
Sauver le modèle en le modernisant
2- Pour sauver le modèle, il faut le moderniser. C’est une réponse à la droite qui veut rompre (la «rupture») avec ce modèle car il est trop coûteux et avec l’extrême gauche qui veut l’immobilisme.
3- Qu’est-ce que cela veut dire concrètement? Une liste de dossiers qui vont de la réforme de l’Etat, pour réduire le déficit, au marché du travail, en passant par l’école. Mais ce que je retiens est que sur chaque dossier le gouvernement annonce vouloir engager des réformes en profondeur. C’est la deuxième qualité du texte. Par exemple sur le droit du travail, les négociations en cours entre le patronat et les syndicats, devraient déboucher sur un changement de nature des relations sociales. Elles passeraient d’une nature conflictuelle à une nature «de la responsabilité partagée au service de l’emploi et de l’intérêt général» (Ayrault). On verra bien sûr à l’épreuve, restons prudents. Mais dans le discours l’intention est de changer beaucoup de choses du modèle français.
Le doute peut commencer à venir, à ce niveau, j’en conviens. Tout cela pourrait déboucher sur des changements homéopathiques. On verra à l’épreuve des faits.
Investissements de long terme
Je voudrais insister sur un point passé trop inaperçu me semble-t-il. Jean-Marc Ayrault a redit hier, qu’il présenterait un programme d’investissements à l’horizon 2020 dans quelques semaines. François Hollande avait dit lors de ses vœux lui avoir demandé cet exercice. Ce peut être considérable s’il s’agit de sérieusement relancer l’investissement en France. Le basculement vers une politique de l’offre, ça veut dire que le moteur de l’économie passe de la consommation des ménages à l’investissement des entreprises et de l’Etat. La France, comme l’Europe d’ailleurs, souffre d’un manque d’investissements ce qui, pour le dire vite, freine les gains de productivité, donc la croissance et l’emploi.
La crise a bloqué beaucoup de projets. On peut même parler d’un sens contraire, d’un désinvestissement des étrangers, d’une menace de panne des investissements. En outre, les taxes et les discours anticapitalistes de Montebourg et du PS ont empiré la crainte d’investir en France. Bref, si la France veut opter pour une politique de l’offre, elle doit tout faire pour favoriser l’investissement privé et public.
Que va proposer Jean-Marc Ayrault? Probablement une certaine relance des investissements publics de long terme. Par exemple, en faveur des transports du Grand Paris. Avec quel argent? C’est toute la question. L’argent il faudra bien le prendre dans d’autres fonctions de l’Etat ou dans ses dépenses courantes (le paiement des fonctionnaires). Ambiance au PS…
Nous sommes au cœur du hollandisme: ou bien le gouvernement fait ce qu’il dit et il bascule vers une politique d’offre. Alors il lui faudra expliquer qu’il sacrifie une partie de la fonction publique. Il lui faudra aussi voir que le rapport Gallois est loin de suffire à résoudre le problème de la compétitivité. Ou bien, le gouvernement change de politique tout en maintenant l’ancienne. Il modernise le modèle en le conservant. Bref, il discoure mieux et bien, mais ne change rien.
Eric Le Boucher