France

Supprimons la Légion, restaurons l’honneur

Temps de lecture : 4 min

Cette décoration, malgré des tentatives de modernisation, reste un héritage obsolète d'un bonapartisme resté vivace dans la mémoire nationale.

Des récipiendaires de la Légion d'honneur entourent François Hollande, le 18 septembre 2012 à l'Elysée. REUTERS/Gonzalo Fuentes.
Des récipiendaires de la Légion d'honneur entourent François Hollande, le 18 septembre 2012 à l'Elysée. REUTERS/Gonzalo Fuentes.
Cet article sur la Légion d'honneur a été publié à l'occasion de la promotion de janvier 2013 et du refus du dessinateur Jacques Tardi. Nous le republions à l'occasion de celle de janvier 2014 et du refus de l'économiste Thomas Piketty.

«L'honneur, c’est la poésie du devoir», disait Alfred de Vigny. Ce charme particulier est inégalement ressenti à la lecture des pages du Journal officiel égrenant la liste des 681 personnes nommées ou promues à la Légion d’honneur en ce début d’année.

Elus de toutes tendances, chefs d’entreprises de tous secteurs, directeurs de toutes sortes, et bien d’autres honorables professionnels, tous souvent anciens, s’y côtoient avec la mention de leurs «ans de services» dont on ne doute pas qu’ils furent bons et loyaux. Cela ne suffit néanmoins pas à prouver, de manière éclatante, que la vingtaine d’années d’activité requise au minimum a été assortie de «mérites éminents».

L’honneur par le refus

Paradoxalement, la meilleure façon de démontrer son sens de l’honneur est encore de refuser la Légion d’honneur. Le dessinateur Jacques Tardi, père d’Adèle Blanc-Sec, vient de rejeter «avec la plus grande fermeté» cette décoration proposée par le ministère de la Culture et de la communication pour ses «43 ans de services». «Etant farouchement attaché à ma liberté de pensée et de création, je ne veux rien recevoir, ni du pouvoir actuel ni d'aucun autre pouvoir politique, quel qu'il soit», a grondé ce vieux contempteur des institutions.

Avant lui, ils sont légion à avoir décliné l’honneur de porter la plus haute décoration honorifique française, créée en 1802 par Napoléon Bonaparte. Dès 1855, le curé d’Ars l’a refusée au motif qu’elle n’apportait point d’argent à ses pauvres.

On ne peut être en meilleure compagnie qu’avec tous ceux qui l’ont imité, pour diverses raisons, au fil des ans: La Fayette, George Sand, Honoré Daumier, Emile Littré, Gustave Courbet, Guy de Maupassant, Maurice Ravel, Pierre et Marie Curie, Claude Monet, Georges Bernanos, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Hector Berlioz, Jacques Prévert, etc. C’est presque à croire que seuls les illustres inconnus conservent leur médaille...

Une décoration galvaudée

Geneviève de Fontenay, qui profite d’une sorte de retraite chapeau après avoir piloté les Miss France, est celle qui a sans doute le mieux exprimé la raison principale d’un dédain aussi partagé: «C’est vraiment désacraliser le ruban que de le distribuer à n’importe qui… comme des médailles en chocolat.» Ce que l’humoriste Jean Yanne avait traduit en langage sensiblement plus cru par:

«La Légion d'honneur, c'est comme les hémorroïdes, aujourd'hui n'importe quel trou du cul peut l'avoir.»

A tout le moins, on ne peut que sourire en apprenant de la bouche du secrétaire général de l’Ordre les critères de son attribution:

«Il faut être irréprochable dans son métier et faire quelque chose en plus, qui sorte de l'ordinaire et nous distingue: être créatif et donner aux autres en général

Concrètement, il faut surtout ne pas avoir été condamné ou mis en cause dans une procédure en cours. Le perchiste Renaud Lavillenie en sait quelque chose puisqu’il n’a pas été distingué, contrairement à presque tous les médaillés olympiques de Londres, en raison d’un accident de voiture inscrit à son casier judiciaire. L’autre exception concerne le handballeur Nikola Karabatic, mis en examen dans l’affaire des paris suspects.

«La Légion d’honneur aurait été un bonus», a sobrement commenté le sportif Lavillenie, conscient que cette médaille récompense plus le succès que le mérite. Il y a tout juste un an, ce sont les chanteurs Stone et Charden qui ont été faits Chevaliers de la Légion d’honneur. Leurs «mérites éminents» furent discutés par quelques pinailleurs et jaloux.

Légions du déshonneur

Il y a plus grave. Le principe du système étant de récompenser les carrières réussies, il est inévitable que nombre de personnages douteux se retrouvent affublés d’un ruban rouge. Nicolas Sarkozy a élevé, en décembre 2008, Jacques Servier, fondateur du groupe pharmaceutique du même nom et ancien président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, au rang de Grand-croix de la Légion d’honneur. Le même Servier a été mis en examen pour homicides et blessures involontaires en 2012 dans l’affaire du Mediator.

Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, a reçu les insignes de la Légion d’honneur des mains du ministre du Budget, Eric Woerth, en décembre 2008. S’occuper des intérêts de la première fortune de France sort assurément de l’ordinaire, même si le service d’autrui ne saute pas aux yeux. Seuls les esprits chagrins rappelleront que la femme du ministre travaillait alors pour cet homme d’exception qui figurait, par ailleurs, parmi les donateurs de l’UMP.

Attention, tout de même. On est automatiquement radié de l’Ordre en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’un an et plus pour crime.

Les cas de radiations sont rares mais ils existent. Seul Français condamné au titre de la déportation des Juifs, Maurice Papon s’est vu retirer sa Légion d’honneur en raison de son triste passé. Il a néanmoins été enterré avec sa décoration en février 2007.

Un héritage du bonapartisme

Tout cela n’empêche pas toutes sortes de bonnes gens d’être à bon droit récompensées par la République, fréquemment au soir de leur vie, pour leur service du bien commun. La Légion d’honneur relève néanmoins principalement d’une logique de carrières qui fait peu de cas des considérations morales.

Or, cette caractéristique était présente dés l’origine. «C’est avec des hochets que l’on mène les hommes», expliquait franchement Napoléon pour défendre son instauration. Deux ans après, il proclamait le Premier Empire et la Légion d’honneur devenait une sorte de nouvelle noblesse.

Aujourd’hui, c’est le président de la République qui occupe la fonction de Grand Maître de l’ordre de la Légion d’honneur. Lui seul peut proposer directement une liste d’heureux bénéficiaires. Les ministères, eux, doivent présenter au Conseil de l’Ordre des dossiers de candidatures.

Depuis 2008, cinquante citoyens d’un même département peuvent toutefois proposer un Français méritant par le biais d’une «initiative citoyenne». Depuis la même date, une stricte parité hommes-femmes s’impose également dans les promotions de la Légion d’honneur. Ces tentatives de modernisations n’empêchent pas cette distinction de s’apparenter à l’héritage obsolète d’un bonapartisme resté vivace dans la mémoire nationale.

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