Économie

L’emploi des femmes moins touché par la crise

Temps de lecture : 4 min

Le chômage des femmes a plutôt moins progressé que celui des hommes dans la crise. Ce qui ne traduit pas pour autant une avancée vers l’égalité hommes-femmes face au travail.

Une chimiste du Centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne à Nice, en octobre 2012. REUTERS/Eric Gaillard
Une chimiste du Centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne à Nice, en octobre 2012. REUTERS/Eric Gaillard

Dans la crise, l’emploi féminin résiste plutôt mieux. Paradoxe? C’est pourtant le constat du Centre d’analyse stratégique dans une étude sur «l’emploi des femmes et des hommes dans la crise» au niveau européen.

«Entre les pics et les creux du cycle, les trois quarts environ des destructions nettes d’emploi dans l’Union européenne à 27 ont concerné les hommes», précise même le rapport.

Mais c’est un constat quantitatif, et il ne faudrait pas en déduire que l’emploi féminin sort vainqueur de la crise. Car sur un plan qualitatif, les inégalités en matière de rémunérations et de postes occupés n’ont pas été réduites, malgré une amélioration du «capital éducatif».

Appliqué à la structure du chômage en France et à son évolution, le constat se vérifie. En août 2009, alors que Pôle emploi enregistrait une hausse de 34% en un an des hommes au chômage en catégorie A, la progression du nombre des femmes en demande d’emploi était exactement deux fois moins élevée. On était alors au plus fort de la crise, et on comptait au total 2,5 millions de demandeurs d’emplois dans cette catégorie.

Les hommes surreprésentés dans l'industrie et la construction

Trois ans plus tard en août 2012, toujours pas de reprise en France. Le nombre total des chômeurs dans la même catégorie a augmenté de 25% sur la période, dépassant 3 millions de personnes. Et si l’écart entre les deux sexes s’est réduit, le nombre d’hommes qui perdent leur emploi (+10% en un an) reste toujours supérieur à celui des femmes (+8%).

On retrouve ce même phénomène dans les autres pays de l’Union européenne, de sorte que le taux d’emploi des femmes (le nombre de femmes au travail par rapport à la population) tend à se rapprocher de celui des hommes. L’explication est fournie par le centre d’analyse:

«Les hommes sont surreprésentés dans les secteurs les plus touchés durant cette période, notamment l’industrie et la construction, à l’inverse des femmes dont l’emploi se concentre dans les services, secteurs les moins affectés.»

Segmentation, salaire et temps partiel

Ainsi, la segmentation prononcée du marché du travail, qui répartit majoritairement les hommes et les femmes selon des secteurs distincts, aurait eu en un effet «protecteur» sur l’emploi féminin. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, lorsqu’on sait que cette segmentation est aussi la manifestation des inégalités persistantes entre hommes et femmes dans l’accès à l’emploi.

Ces inégalités se traduisent notamment dans les écarts de salaires selon le sexe, qui n’ont pas diminué avec la crise. En France, ils sont de 16,5% d’après une enquête d’Eurostat sur la structure des salaires en Europe. En Allemagne, ils atteignent même 23%, et dépassent 20% au Royaume-Uni.

Il existe d’autres paramètres qui expriment cette segmentation et les inégalités. Le développement du temps partiel en est un particulièrement prégnant. C’est moins le cas en France où, pour un taux d’emploi de 60% des femmes, la part du temps partiel dans l’emploi féminin serait de l’ordre de 29%. En revanche, en Allemagne et au Royaume-Uni, alors que deux femmes sur trois ont un emploi, 46% sont à temps partiel outre-Rhin et 39% outre-Manche.

Ainsi, si elle tend à «protéger» contre les effets de la crise, la segmentation continue de se creuser par le biais du temps partiel qui touche principalement les femmes, empêchant une plus grande égalité face au marché du travail entre les deux sexes.

L’emploi des femmes impacté par la petite enfance

L’existence de structures d’accueil pour les enfants est aussi déterminante dans l’évolution de l’emploi des femmes. La disponibilité ou non d’équipements sociaux pour la petite enfance a une incidence immédiate sur la capacité des jeunes mères de famille à rechercher un emploi, et sur le type de poste. On peut ainsi établir un lien entre l’importance du travail à temps partiel féminin, et l’existence de ces structures.

La France où l’emploi féminin à plein temps est relativement élevé, est aussi un pays où l’équipement en crèches et garderies est le plus développé. La part des enfants jusqu’à trois ans en structure d’accueil (publiques ou privées) pour une durée minimale de 30 heures par semaine, est de 25%, selon des données d’Eurostat compilées par le Centre d’analyse stratégique. Comparativement, cette proportion ne dépasse pas 12% en Allemagne et au Royaume-Uni. C’est un des éléments qui explique le temps partiel féminin dans ces pays voisins.

Mais il ne faudrait pas réduire l’analyse à ce seul paramètre. Car par exemple, en Suède, la proportion de jeunes enfants en structures d’accueil (37%) est supérieure à celle de la France, ce qui n’empêche pas que l’emploi à temps partiel pour les femmes y soit aussi développé qu’au Royaume-Uni. Bien d’autres éléments, économiques et culturels, entrent donc en ligne de compte.

Reste que malgré tout, suite à la crise, la compression des budgets qui servent à la construction des structures d’accueil pour la petite enfance aurait des effets sur la structure de l’emploi des femmes dans le cas d’une austérité prolongée. Il existe une corrélation évidente entre la politique en faveur de la petite enfance et la situation des femmes face au travail, pour parvenir à concilier vie familiale et vie professionnelle. Or, de plus en plus, l’offre de services d’accueil apparaît insuffisante face aux tendances en cours. C’est pourquoi la Caisse nationale d’allocation familiale a bouclé en avril 2012 une vaste étude pour évaluer la politique des communes en matière de petite enfance.

Gilles Bridier

Article également paru sur emploiparlonsnet.fr

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