Il y a un an, Antoine Kombouaré était sèchement démis de ses fonctions d’entraîneur du Paris Saint-Germain sans avoir démérité, loin de là, dans la mesure où le club de la Capitale occupait alors une... 1re place tout à fait respectable au classement de la Ligue 1.
En 2011, toujours, la naissance à venir d’une chaîne sportive créée par le groupe Al Jazeera avait fait l’effet d’une petite bombe médiatique en France –chaîne qui a vu le jour en juin dernier sous le nom de beIN Sport.
Dans les deux cas, le Qatar était à la manœuvre en tant que jeune propriétaire du PSG et initiateur de ce projet télévisuel. Et le moins que l’on puisse dire est qu’à l’époque, le petit mais richissime émirat du golfe s’était attiré quelques critiques.
Limogeage de Kombouaré
Dans les tribunes du Parc des Princes, le remplacement d’Antoine Kombouaré par l’Italien Carlo Ancelotti avait été vilipendé par de nombreux supporters et commentateurs qui n’avaient pas compris la stratégie des nouveaux propriétaires du PSG résumée dans cette formule de Leonardo, son directeur sportif:
«Ancelotti est l’un des plus forts au monde, il est du niveau de Guardiola ou Mourinho. Il a tout gagné, il a une expérience qui lui permet de connaître tous les systèmes.»
Sous entendu: Antoine Kombouaré n’a jamais été au niveau des projets à moyen et long termes des Qataris, notamment en ce qui concerne le recrutement de stars prestigieuses comme Zlatan Ibrahimovic. Dans le fracas de la polémique, les nouveaux patrons du PSG avaient été accusés, entre autres, d’amateurisme. A sa traditionnelle question quotidienne posée aux lecteurs, L’Equipe avait recueilli 82% de non à l’interrogation suivante:
«Approuvez-vous la décision du PSG de se séparer d’Antoine Kombouaré?»
Une arrivée «d'une violence inouïe»
Dans le Landerneau médiatique, la révélation de la création de cette chaîne sportive «made in Doha» avait été aussi largement critiquée par la voix, par exemple, de Rodolphe Belmer, l’un des responsables de Canal + qui y avait vu une sérieuse menace pour l’équilibre des finances de son groupe très impliqué dans les droits sportifs:
«Al Jazeera entre sur ce secteur, c’est son droit. Le seul souci, c’est de voir un acteur arriver sans aucune considération économique, avec les poches très très pleines. Cela déstabilise toute une industrie.»
Plus tard, dans le sillage du départ de quelques journalistes de Canal+ pour beIN Sport, Cyril Linette, le patron des sports de la chaîne cryptée, s’était emporté de la sorte:
«On subit une attaque d’une agressivité et d’une violence absolument inouïes, c’est une forme d’impérialisme qui semble presque surnaturelle. Cette attaque porte sur les acquisitions de droits, le débauchage massif de journalistes et la communication. Le nouvel entrant parle presque plus de nous que de lui-même. Il a en gros expliqué récemment, par l’intermédiaire de son patron de chaîne (Charles Biétry), qu’il envisageait quand même de laisser vivre Canal. C’est assez fort comme termes, ça prouve bien quelles sont ses intentions.»
Un an après
En décembre 2012, il n’y a plus vraiment lieu de sortir les fusils à l’approche du moindre Qatari. Grâce à l’argent venu du Golfe, le Paris Saint-Germain, passé en tête du championnat un an après le licenciement de Kombouaré, s’est vraiment installé dans une autre dimension par rapport à décembre 2011, n’en déplaise à ceux qui le critiquaient hier ou l’égratignent encore à chaque fois que le club francilien tousse face à Saint-Etienne ou à Rennes.
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, le Paris Saint-Germain ne deviendra pas non plus un grand d’Europe du jour au lendemain, mais le chemin est clairement tracé avec une vraie perspective.
Piètrement éliminé de la Ligue Europa à la même époque l’année dernière, le club de la capitale est aujourd’hui en huitième de finale de la prestigieuse Ligue des champions pour la première fois de son histoire (le PSG avait été demi-finaliste de la compétition en 1995, mais sans passer par les huitièmes de finale, qui n'existaient pas dans la formule d'alors), où il affrontera le FC Valence avec une réelle chance de se qualifier pour les quarts de finale.
Le Paris Saint-Germain, qui remplit les stades là où il se rend, agit comme un appel d’air pour les autres clubs. Mieux, il ne vampirise pas le championnat de France en raison de ses moyens colossaux, mais il en est le nouveau pouvoir d’attraction.
Hier ignorée, quand elle n’était pas carrément méprisée, la Ligue 1 est, grâce au PSG, désormais regardée avec au moins un peu de curiosité de la part des pays étrangers, intéressés notamment par les dernières performances d’Ibrahimovic, véritable coup sportif et d’image des Qataris qui a réalisé une première partie de saison de haut niveau.
Le coup de pouce du Qatar à Canal+
Ironie de l’histoire, ce rutilant Paris Saint-Germain est même devenu la tête de gondole de Canal+, qui peut compter sur lui pour générer d’excellentes audiences le dimanche soir en vivifiant aussi le Canal Football Club, l’émission de débats qui lance la soirée.
Depuis août, Canal+, qui a la priorité pour les rencontres de premier plan (chaque week-end, la chaîne diffuse deux matches en direct contre huit pour beIN Sport), affiche cette statistique au virage des matchs aller de la Ligue 1: 16 des 19 rencontres des Parisiens ont été retransmises sur ses antennes. Cyril Linette confiait il y a quelques jours à la Voix du Nord:
«C’est notre meilleur début de saison depuis quatre ans, les audiences sont meilleures sur le grand match de Ligue 1 du dimanche soir avec 1,7 à 1,8 million de téléspectateurs, mais aussi sur le magazine du Canal Football Club. Le match du samedi a aussi déjà dépassé plusieurs fois la barre du million de téléspectateurs. C'est très positif.»
Il y a peu, lors du choc PSG-Lyon, ce sont même 2,2 millions de téléspectateurs qui se sont réunis devant leur écran. beIN Sport n’a donc pas coulé ou abîmé Canal+, qui garde la main sur les meilleures oppositions du championnat et aura le privilège de diffuser le huitième de finale de la Ligue des Champions entre le FC Valence et le Paris Saint-Germain.
Gagnant-gagnant
Mais la chaîne des Qataris a réussi parallèlement sa percée auprès des aficionados de sport et revendique aujourd’hui plus d’un million d’abonnés après seulement six mois d’activité, même si Charles Biétry, son capitaine de vaisseau, en demande deux à trois millions de plus dans les années à venir afin de tenter de rentabiliser l’investissement initial.
La nouvelle narration du championnat, née de l’arrivée des Qataris avec notamment un match le vendredi soir et un autre le dimanche en début d’après-midi, n’a pas tourné à la confusion des esprits comme cela était prédit, mais s’est transformé en un feuilleton tout à fait digeste pour les plus passionnés.
La chaîne a également trouvé son ton en donnant leur chance à des journalistes méconnus et en développant sa propre originalité par le biais de l’expérimentation de son «pure live». La lutte à mort supposée entre les chaînes sportives, avec un émiettement anticipé des audiences, ne s’est pas davantage révélée comme un poison fatal pour d’autres réseaux spécialisés comme Eurosport, récemment valorisé à 850 millions d’euros par le biais de son rapprochement avec l’américain Discovery.
Dans les faits, le Qatar n’a ni tué Canal+ ni les 19 autres clubs de la Ligue 1, championnat qui va désormais pouvoir trouver des relais de croissance à l’international grâce au PSG. Dans le bon sens libéral du terme, il leur a même fait beaucoup de bien tout en se donnant les moyens de sa propre réussite. La concurrence quand elle est sérieuse et de premier plan est toujours fructueuse. Il n’y a que des gagnants.
Yannick Cochennec