Life

Véronique Courjault n'a pas pu étouffer ses enfants

Temps de lecture : 4 min

Pour le Professeur Israël Nisand, les morts sont survenues durant les accouchements.

La cinquième journée du procès de Véronique Courjault, lundi 15 juin, devait être une «journée clé». Nous allions, enfin, découvrir les profondeurs inconscientes de l'accusée et la réalité de ce phénomène troublant et méconnu - y compris des médecins - qu'est le «déni de grossesse». Or ce lundi 15 juin fut avant tout marqué par un spectaculaire rebondissement.

Résumons. L'horloge de la salle où siège la cour d'assises d'Indre-et-Loire a dépassé les dix-huit heures. L'audience vient d'être suspendue après les auditions de deux témoins cités par la défense; deux spécialistes réputés du déni de grossesse. Le Pr Israël Nisand tout d'abord, gynécologue-obstétricien au CHU de Strasbourg qui s'intéresse à ce phénomène depuis plus de trente ans. Sophie Marinopoulos ensuite, psychanalyste et psychologue exerçant à Nantes. Elle a déjà écrit sur ce thème un ouvrage qui fait référence.

Ces deux dépositions, comme d'ailleurs le matin celle du Dr Michel Dubec - psychiatre bien connu de la justice française cité, lui, par l'accusation- avaient amplement éclairci la donne. Si l'on ne parvient toujours pas véritablement à comprendre, encore moins à juger, du moins commence-t-on à prendre la mesure, pour reprendre une formule malheureuse du président Domergue de «la face immergée de l'iceberg».

Un peu plus de dix-huit heures donc. Profitant de cette suspension les avocats de la défense se rapprochent du Pr Nisand. Il est resté dans la salle pour entendre Mme Marinopoulos. Les avocats veulent à tout prix des éclaircissements sur l'un des points que cet obstétricien, pédagogue hors pair, a abordé dans sa déposition. On l'exhorte à revenir à la barre pour compléter ses dires. Il y consent volontiers.

Retour dans la salle du président Domergue et des jurés. Il était jusqu'ici acquis, y compris pour la défense de Véronique Courjault, que l'accusée avait étouffé les trois nouveaux-nés auxquels elle avait donné le jour en 1999 (en Charente), puis en 2002 et 2003 (à Séoul). Elle avait elle-même déclaré les avoir étranglés avant que les autopsies des deux derniers nouveau-nés démontrent que non. Etouffements oui. Etranglements non.

Le Pr Dominique Lecomte, directrice de l'Institut médico-légal de Paris avait, avec une rédoutable précision, exposé le 10 juin devant la cour d'assises les conclusions de ses autopsies. La mère avait, en substance ; apposé un «linge souple» sur le visage de ses deux nouveaux-nés après l'accouchement et exercé un pression suffisante pour les asphyxier après qu'ils aient criés, donc respiré. Et dans un cas cette pression avait été tellement brutale qu'elle avait causé une série de fractures osseuses majeures au niveau du visage.

Véronique Courjault n'avait pas, alors, contesté cette lecture retrospective qui lui vaut d'être aujourd'hui poursuivie pour assassinats avec préméditation. L'audience reprend. Le président Domergue relit au Pr Nisand les conclusions du Pr Lecomte. L'obstétricien explique que ces conclusions sont pleinement en accord avec son savoir et sa pratique. Mais il estime que l'on ne peut nullement en conclure que c'est la mère qui, après la naissance, a délibérément «étouffé» ses nouveaux-nés. Bien au contraire.

Comment comprendre? Si durant des millénaires des femmes ont aidé d'autres femmes à accoucher, c'est pour la très simple et très bonne raison, mécanique, que dans l'imense majorité des cas une femme ne peut pas accoucher seule.

«A la différence de tous les autres mammifères l'espèce humaine se caractérise par le fait que la taille du crâne de l'enfant à naître et quelques autres de ses dimensions anatomiques ne coïncident pas avec celles du bassin de celle qui le porte, explique-t-il. C'est pourquoi il faut toujours une aide. Il faut repositionner la tête de l'enfant vers l'arrière ce qu'une femme qui accouche seule ne peut mécaniquement pas effectuer. Elle ne peut qu'attirer la tête vers l'avant ce qui complique encore plus le dégagement des épaules. Et elle doit alors exercer un effort considérable de traction qui peut causer des dégâts majeurs. Il est alors pratiquement obligatoire que la tête de l'enfant, sortié, reste bloquée dans l'orifice vaginal. Si tel est le cas, c'est sans espoir.»

Mais alors pourquoi cet usage d'un «linge souple» dont parlait le Pr Lecomte ? Le Pr Nisand: «le recours à un tissu permet de mieux se saisir de la tête que l'on veut aider à sortir; une tête qui, à mains nues et du fait des viscosités, ne cesse de vous échapper.» Une tête, en somme que la femme n'aurait de cesse de vouloir «aider à sortir» alors qu'elle ne se sait (ou ne veut pas se savoir) future mère. Les professionnels parlent ici, tout simplement, d'«ambivalence».

Je connaîs le Pr Israël Nisand de longue date du fait, notamment, de petites divergences sur quelques sujets essentiels de bioéthique. Durant la suspension d'audience je lui rappelle que Véronique Courjault avait déclaré que les deux enfants avaient «criés». Il répond qu'il s'agissait plus vraisemblablement non pas d'un «cri»mais d'un «gasp». Comment comprendre? La chose se produit au moment où la tête est sortie du corps de sa mère alors même que le reste de son corps y est encore inclus. A ce stade il peut en quelques secondes engranger suffisamment d'oxygène dans ses alvéoles pulmonaires pour que l'on ait ensuite l'impression qu'il est bien né vivant. Mais dans ce cas est-il «né»? Est-ce au contraire un «mort-né» ? Quand commence-t-on à vivre aux yeux des hommes, aux yeux des juges ? Durant tout ces échanges Véronique Courjault est restée muette.

Jean-Yves Nau

Crédit photo: Véronique Courjault arrive au tribunal cachée par les policiers Reuters

Lire du même auteur: Dans la tête de Véronique Courjault; L'accusée devient victime; Véronique une femme comme les autres?; Véronique Courjault entre les pleurs et les mots; Le terrible récit de Jean-Louis Courjault; Qui est Véronique Courjault?; Le procès des «bébés congelés» sera public; Enceinte, moi? Jamais, de la vie!

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