A défaut de pourvoir s’écharper au sujet de la crise de l’Euro, c’est carrément sur une éventuelle sortie de l’Union européenne que le débat politique s’est concentré depuis quelques mois au Royaume-Uni.
Et les excellents résultats enregistrés fin novembre par le United Kingdom Independence Party (UKIP), dont la principale – pour ne pas dire la seule - raison d’exister est de faire sortir le pays de l’Union, lors de trois élections partielles à la Chambre des communes ont donné lieu, ces derniers jours, à une nouvelle avalanche de réactions et de commentaires.
Même si se sont les travaillistes qui dans chaque cas ont emporté le scrutin, les candidats de l’Ukip ont tout de même créé la surprise en se plaçant systématiquement devant ceux du Lib Dem (les démocrates libéraux, actuellement au gouvernement aux côtés des Conservateurs) et surtout en triplant à chaque fois le score obtenu par l’Ukip lors des élections générales de 2010.
12 eurodéputés
Si bien que Nigel Farage, le charismatique chef de file du parti, se considère désormais à la tête de «la troisième force politique» du pays et que l’hebdomadaire The Economist se met, dans ses colonnes, à envisager sérieusement (et avec un certain émoi) la possibilité d’une sortie de l’Union, tout en considérant l’idée bien imprudente. Même le Premier ministre David Cameron s’y est mis.
L’Ukip, qui milite depuis longtemps pour qu’un référendum sur la sortie de l’Union européenne soit organisé par le gouvernement, se voit aussi en grand vainqueur des prochaines élections au parlement européen, son scrutin de prédilection jusqu’ici. Absent du parlement britannique, le parti compte actuellement une douzaine de députés européens.
L’Ukip est un parti encore relativement jeune, puisqu’il a vu le jour en 1993, au moment du débat autour de la ratification du traité de Maastricht. Il avait d’ailleurs, dans un premier temps, été éclipsé par d’autres formations politiques exploitant aussi le filon nationaliste.
Les élections européennes de 2004 avaient été l’occasion d’un retour au cœur de la scène politique, le parti arrivant en troisième position devant les Libéraux démocrates et raflant pas moins de 12 de sièges de députés (contre trois seulement en 1999). Cette performance avait encore été améliorée en 2009, le parti arrivant, cette fois, en deuxième position.
Un casse-tête pour les Tories
Ce retour en force des idées anti-européennes par la voie de Nigel Farage et de ses supporters ne fait toutefois pas l’affaire de l’ensemble des eurosceptiques. David Cameron, qui s’était lui-même qualifié d’eurosceptique (mais «pragmatique», «sensé» et «raisonnable») à l’issue d’un sommet européen en 2010, est jusqu’ici resté plutôt discret.
Car si la mouvance anti-européenne a toujours été transverse au spectre politique britannique (rappelez-vous; en 1983, la sortie de l’alors CEE faisait partie du programme travailliste aux élections générales et ce sont encore les travaillistes qui en 1975 avaient organisé un premier référendum sur une sortie de l’Union européenne), certains sondages récents montrent que ce sont avant tout les conservateurs qui pâtissent de la montée en puissance de l’Ukip dans les intentions de vote.
Celui réalisé juste avant les élections partielles du 30 novembre par la société Opinium montrait ainsi une augmentation significative (3 points) des intentions de vote en faveur du Ukip, à 13%. Mais surtout elle montrait que cette progression se faisait principalement au détriment du Parti conservateur qui, lui, chutait de trois points, tandis que les travaillistes n’en perdaient qu’un seul et que les Lib Dems en reprenaient un.
To pact or not to pact?
Certains dans le camp conservateur envisagent sérieusement une alliance avec l’Ukip. L’un d’eux, le parlementaire Michael Fabricant, avait d’ailleurs publié, quelques jours avant les dernières élections partielles, un document intitulé «The Pact?», dans lequel il considérait que les récents déboires électoraux n’étaient pas seulement dûs à la mauvaise conjoncture mais aussi à l’essor de l’Ukip.
Pour Michael Fabricant, il était donc temps d’envisager une alliance avant les élections générales de 2015. Une idée très vite rejetée officiellement par les deux camps.
Nigel Farage lui-même s’est déclaré le mois dernier en «guerre électorale» contre les conservateurs. Sans doute n’a-t-il pas encore digéré les paroles de David Cameron, qui en 2006 avait publiquement qualifié les militants de l’Ukip d’être principalement «un tas de cinglés, de tarés et de racistes cachés» («loonies, fruitcakes and closet racists»).
Quid de l’Europe?
Mais si les enjeux électoraux sont clairs, sur le terrain idéologique, cette guerre à droite de la droite est nettement moins facile à comprendre. Les récents faits d’armes de David Cameron dans les sommets européens, sa défense forcenée des intérêts de la City face aux velléités régulatrices de ses partenaires du continent et ses attaques contre le budget européen ou la zone Euro, incapable de résoudre ses problèmes de gouvernance, auraient dû contribuer à ramener au bercail la frange la plus anti-européenne de l’électorat conservateur.
Mais out se passe en fait comme si le mécontentent anti-européen (l’Europe coûte trop cher, la crise européenne est en grande partie responsable de la mauvaise santé économique du pays, l’Europe veut tuer la City…) était devenu si grand que les gesticulations nationalistes ne suffisaient plus et qu’il était temps de passer vraiment à l’acte.
Et c’est là que les choses se corsent, car si une partie des parlementaires conservateurs soutiennent ouvertement l’organisation d’un référendum sur la permanence dans l’Union, l’idée d’une éventuelle sortie donne, en revanche, de l’urticaire à un grand nombre d’autres élus.
Le volte-face de Boris Johnson
Ce n’est pas qu’ils soient particulièrement «europhiles» (ceux-là sont devenus rares), mais, en général, ils craignent surtout les répercussions d’une sortie du Marché commun (l’Europe reste de très loin le premier partenaire commercial du pays) et la perte d’influence sur la scène européenne et internationale d’un Royaume-Uni isolé.
De ce point de vue, la volte-face du très volubile Boris Johnson, maire de Londres, étoile montante du Parti conservateur et que l’on dit souvent proche des milieux financiers, est assez intéressante. Celui qui depuis longtemps prêchait pour une ligne très dure sur la question européenne, critiquant à mots couverts l’attitude ambigüe de David Cameron, ne se prononce plus en faveur d’un référendum sur la permanence au sein de l’Union mais plutôt en faveur d’une question sur l’adhésion au marché commun uniquement. L’idée, selon lui, serait alors de faire évoluer les relations entre le Royaume-Uni et ses partenaires vers quelque chose ressemblant plus à celles de l’Union avec la Suisse ou la Norvège.
Si le nationalisme et l’euroscepticisme restent des recours toujours pratiques en politique – Cameron et les eurosceptiques «pragmatiques» savent d’ailleurs très bien en jouer pour tenter d’arracher des concessions de Bruxelles et de leurs partenaires – se lancer dans un processus radical de sortie de l’Union constitue en revanche une véritable prise de risque. Le dilemme pour le gouvernement est que l’approche «pragmatique» commence à lui coûter électoralement.
Yann Morell y Alcover