Comment parler à vos enfants écoliers d'un massacre qui vient d'avoir lieu au sein d'une école primaire? J'ai posé la question au docteur Alan E. Kazdin, directeur du Yale Parenting Center. Selon lui, l'explication repose sur deux principes fondamentaux: le réconfort et l'information. Les parents doivent être prêts à répondre honnêtement aux questions de leurs enfants, mais en restant au niveau de leurs interlocuteurs, et en leur donnant le moins de détails possible.
Si pour une raison ou pour une autre votre enfant n'a pas encore entendu parler de cette tragédie et qu'il ne vous en parle pas, le docteur Kazdin vous conseille de ne pas aborder le sujet. Vous pouvez le tenir dans l'ignorance pour son propre bien en limitant son accès aux médias d'information. Il m'a expliqué que les pédopsychiatres avaient inventé un nouveau terme après les évènements du 11-Septembre, pour décrire l'expérience déstabilisante vécue par de nombreux enfants exposés aux innombrables images de l'attentat à la télévision: le «terrorisme secondaire».
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Mais si votre enfant en a entendu parler, et qu'il veut savoir ce qui s'est passé, ou s'il a peur que son école soit la cible d'évènements semblables, le docteur Kazdin vous recommande de répondre honnêtement, mais sans vous étendre sur les détails. Utilisez des phrases simples, déclaratives et adaptées à son âge. Exemple: «Quelqu'un est entré dans une école et a fait du mal à quelques enfants. Nous ne savons pas pourquoi».
Contact physique et étreinte
Vous pourrez ensuite le réconforter en lui disant que son école n'est pas menacée, et qu'elle demeure l'un des lieux dans lesquels il est le plus en sécurité. «Oui, mais comment tu le sais?», pourrait-il alors vous demander. Le docteur Kazdin vous conseille de répondre en ces termes: «Parce qu'il ne s'est jamais rien passé de tel dans ton école. Ni dans celles de maman et de papa».
Le pédopsychiatre explique que le contact physique et l'étreinte peut rassurer un enfant de manière plus efficace que les mots. Il recommande toutefois de ne pas le rassurer de façon plus ostensible qu'à l'accoutumée - vos enfants savent repérer tout comportement sortant de l'ordinaire. Il est tout aussi important de respecter les rituels familiaux. Lorsque les parents auront répondu aux questions de leurs enfants, ils devront reprendre les rênes de la conversation et la ramener sur le terrain de la normalité: «Hey, on ne va pas tarder à dîner. Tu viens m'aider à mettre la table?». Si vous respectez les habitudes de tous les jours, vos enfants sauront que leur univers n'est pas menacé.
Toujours selon le docteur Kazdin, si vous êtes amené à parler de cette tragédie à vos enfants, les informations factuelles sont loin d'être les choses les plus importantes à communiquer. Lorsqu'ils sont inquiets ou perturbés par quelque chose, et qu'ils viennent vous poser une question à ce sujet, vous devez être en mesure de leur répondre - tout en apaisant leur anxiété. Le pédopsychiatre rappelle que l'angoisse est une étape normale de notre développement; souvenez-vous des fois où il a fallu montrer à vos enfants qu'il n'y avait pas de monstres sous leur lit.
Pas de détails superflus
Il s'agit donc de faire attention à ne pas leur fournir de détails superflus, qui ne feraient que renforcer leur tendance à l'angoisse. Et oubliez l'idée d'expliquer les choses directement, sans prendre de gants. Votre enfant de huit ans n'a pas besoin de savoir que le monde regorge de monstrueux personnages.
Cette tragédie est bouleversante, et il est possible que votre enfant vous voit pleurer. Là encore, répondez-lui brièvement et avec franchise. «Ce qui est arrivé à ces familles me rend vraiment très triste». Mais comme l'a expliqué le chef d'établissement d'une école primaire d'Arlington (Virginie) aux parents d'élèves par email, les parents devraient s'adresser à d'autres adultes pour apaiser leur propre peine et leurs propres angoisses.
Imaginons que votre enfant apprenne qu'un homme est entré dans l'école et qu'il a tiré sur les enfants; il vous dit avoir peur de voir le tueur attaquer sa propre école. Vous pouvez lui dire que cet homme est mort. Point final. Si votre enfant vous demande comment il est mort, vous pouvez lui répondre qu'il a été abattu, sans autre précision. Là encore, Kazdin explique qu'il est important de lui fournir des informations franches, concises, mais vagues -adaptées à ses questions et à son âge.
«Je sais de quoi vous êtes en train de parler»
Ma fille est aujourd'hui âgée de dix-sept ans, mais elle venait d'entrer à l'école maternelle (à Washington D.C.) lorsque les attentats du 11-Septembre ont frappé l'Amérique. Son établissement comprenait une école primaire et un collège. L'administration a expliqué les évènements aux élèves plus âgés, mais n'a rien dit aux plus jeunes -attitude que nous avons particulièrement appréciée.
Je suis passée la chercher à l'école avant la sortie des classes. Lorsqu'elle est arrivée à la maison, mon mari et moi cessions de parler des évènements et éteignions la télévision dès qu'elle venait nous voir. Elle semblait parfaitement insouciante. Mais le monde extérieur n'a bien évidemment pas tardé à avoir raison de ces précautions.
Quelques semaines plus tard, nous nous sommes tus au beau milieu d'une énième conversation sur le terrorisme à la seconde où elle est entrée dans la pièce. «Je sais de quoi vous êtes en train de parler», a-t-elle dit. Nous lui avons demandé à quoi elle pensait. Elle a mimé un avion d'une main, un immeuble de l'autre, et a lancé «l'avion» contre «l'immeuble»: «Boum!». Nous lui avons dit qu'elle avait raison, et lui avons demandé comment elle l'avait appris. Les autres enfants, répondit-elle; tout le monde en parlait. Elle avait même vu les images à la télévision. Nous lui avons demandé si elle avait des questions; elle n'en avait aucune. Elle nous a dit qu'elle voulait bien qu'on en parle devant elle; que ça ne la dérangeait pas. Elle savait que nous ne voulions pas lui en parler - et elle voulait nous faire savoir qu'elle le savait.
Emily Yoffe
Traduit par Jean-Clément Nau