En révélant le nom de l’homme qu’elle croyait responsable de la fusillade qui a eu lieu vendredi matin dans une école primaire du Connecticut, la police a déclenché sans le savoir un million de recherches sur Facebook et Twitter. En quelques minutes, tout Internet s’est mis à disséquer les goûts, les photos et les tweets de jeunes hommes dont le nom et l’État correspondaient avec ceux du suspect.
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Les internautes ont pu y trouver de quoi confirmer tous les stéréotypes possibles. Ryan Lanza est un solitaire. Il porte un trench-coat. Il joue à des jeux vidéo violents. Il écoute du heavy metal. Il est déprimé. Il s’est fait jeter par une fille. Son nom de profil Twitter contient une grossièreté. Il a des tendances misogynes (il y a trois jours, il a tweeté «Amber est une grosse salope»). Il est profondément déprimé, puisqu’il a récemment tweeté: «En fait, j’aimerais bien que le monde disparaisse dans 2 semaines.» Plus effrayant encore, le matin de la fusillade, il a tweeté: «Aujourd’hui, on joue!».
Les «Ryan Lanza» sont innocents!
Mais... attendez... Arrêtez les rotatives virtuelles! Il s’agissait en fait d’au moins deux Ryan Lanza différents. En quelques minutes, ils se sont tous deux mis à hurler leur innocence. D’un côté, nous avions un Ryan Lanza affirmant sur Facebook que ce n’était pas lui. De l’autre, un autre Ryan Lanza qui clamait son innocence sur Twitter. Et ailleurs encore, quelqu’un d’autre sur Facebook affirmait que le suspect ne s’appelait même pas Ryan Lanza.
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Devenus les méchants de service, les Ryan Lanza se sont retrouvés inondés de commentaires haineux venant de gens qu’ils ne connaissent pas. Leur nombre d’abonnés sur Twitter s’est multiplié, mais leurs vrais amis se sont retirés de leurs listes d’amis Facebook et ont arrêté de les suivre sur Twitter pour éviter d’être harcelés par les médias. Un Ryan Lanza innocent a même eu le droit de voir son visage apparaître sur une chaîne nationale dans un reportage consacré à la tuerie (pour tout avouer, Slate.com a également tweeté un lien renvoyant vers la page Facebook de l’un de ces Ryan Lanza, mais il a été retiré peu de temps après). Et tout ça pourquoi?
Voici ce dont nous sommes sûrs: une tuerie a eu lieu dans une école primaire vendredi. Beaucoup de gens, notamment des enfants, sont morts. Cela devrait nous donner assez matière à réfléchir, discuter, pleurer, nous disputer et tweeter en attendant d’avoir plus d’informations sur le tueur qui, comme cela s’est avéré, ne s’appelait même pas Ryan Lanza.
Impossible d'attendre
Mais la nature humaine est ainsi faite que nous voulons savoir immédiatement qui et quoi accuser, afin de donner un certain sens à l’information de départ et mieux pouvoir la ranger dans les jolies petites boîtes de notre cerveau. Et puisque Facebook et Twitter nous ont appris que nous sommes tous des reporters-citoyens, tous des journalistes d’investigation, tous de fins limiers, nous ne pouvons nous empêcher d’utiliser les outils à notre portée –Google, Facebook, Twitter, etc.– pour essayer d’en savoir plus.
Et c’est normal. Cependant, avant de diffuser des informations fausses, il serait appréciable que les personnes qui utilisent ces outils (et je parle ici aussi bien des amateurs que des médias) prennent le temps de réfléchir un instant à leurs limites. Il ne suffit pas de découvrir des choses pour être un bon enquêteur. Le bon enquêteur sait aussi que certaines choses qu’il découvrira se révèleront fausses.
Les informations rapportées par le public au travers des médias sociaux peuvent avoir une valeur inestimable, notamment lors de situations comme le printemps arabe, le tremblement de terre à Haïti ou l’ouragan Sandy, durant lesquelles des informations capitales sur ce qu’il se passe et ce qu’il faut faire circulent au sein de la population.
La vérité n'est pas toujours à un simple clic
Mais, comme nous l’avons également vu à la suite de la tuerie d’Aurora, nous avons tendance à trop attendre d’Internet pour nous révéler l’identité et les motivations des criminels. Dans ces cas de figure, l’information est généralement concentrée dans les mains de seulement quelques personnes, dont la plupart sont déjà en contact avec les autorités.
Il serait fantastique de pouvoir trouver immédiatement les réponses aux questions que l’on se pose, mais il faut prendre gare aux conclusions trop hâtives, qui peuvent également faire de lourds dégâts. La vérité est peut-être ailleurs parfois... mais elle n’est pas à un simple clic de souris.
Will Oresmus
Traduit par Florence Delahoche