Après celui de la famille le médecin de la campagne est bien mort. L’annonce en a été faite, peu avant l’Angélus, par Marisol Touraine, ministre de la Santé. C’était à Scorbé-Clairvaux dans le département de la Vienne. Un nom bien ingrat pour un bien gentil village. Ici les vieux, nombreux, disent encore salle des fêtes au lieu de salle polyvalente. Les habitants du bourg, pour regarder les gendarmes sur leur Toyota ouvrant le cortège de la ministre, se cachent derrière leurs rideaux. La boucherie-charcuterie a baissé le sien, semble-t-il pour toujours. Depuis dix ans la Halle aux grains est un bâtiment historique. Surdimensionné, le Champ de foire est devenu place Etienne-Chérade-de-Montbron. Le château antique est toujours vertical.
Le patron du Café de la Place ne se souvient plus la date de fermeture de l’école privée qui lui fait face. Entre les bières et quelques smartphones, les témoignages convergent: c’était il y a longtemps. Avant mai 1981, à coup sûr; ou juste après. La croix de l’école demeure, massive. Le nom de Sainte Néomaye du Poitou, patronne des bergers, commence à s’y effacer. Aucune urgence, depuis les Romains, Scorbé-Clairvaux en a vu d’autres.
Nous campons là sur les vieilles frontières de la Touraine et du Poitou. Non loin d’ici les hystériques possédées de Loudun regardèrent griller le gentil Urbain Grandier. Plus près de nous, Marie Besnard bien vivante regarda mourir son chapelet d’époux, tous arseniqués dit-on. Et ne parlons pas du docteur Théophraste Renaudot, régional de l’étape, inventeur du mont-de-piété et du journalisme réuni, un prophète en son pays.
Dans la salle des fêtes plurivalentes tout est en place. Bientôt Mme la ministre et chère Marisol dévoilera son plan de lutte contre les déserts. Pour l’heure c’est Mme la présidente et chère Ségolène qui tient le micro. Elle ne le lâchera qu’à regret.
Douze «engagements»
On peut aisément résumer son propos: la lutte contre la désertification médicale a été conçue en Poitou-Charentes, elle y est née, elle y prospère et y prospèrera. Rien n’est définitivement gagné, certes, mais la bataille ne pouvait être mieux engagée. Ce modèle régional est une maquette gagnante-gagnante pour le national. On trouvera ici l’essentiel de son propos départemental et régional.
Tout à l’heure, Marisol louera son savoir-faire local, ses visions prophétiques et son combat en faveur de la démocratie participative. La ministre de la Santé aura eu auparavant le temps de détailler sa stratégie militaire pour contrer les déserts. Soit un plan peaufiné depuis des mois qui se décline en trois chapitres de quatre points. Douze actions à venir chacune solidaire et potentialisatrice des autres. Douze engagements en somme, que l’on découvrira ici.
Ces engagements ont un nom: «Pacte Territoire-Santé». Rien de bien spectaculaire au final, si ce n’est la volonté ténue de faire en sorte que les futurs médecins généralistes reviennent irriguer les territoires ruraux.
Ils devront donc apprendre à découvrir cette médecine omnipraticienne qu’ils ne connaissent pas mais à laquelle ils sont devenus massivement allergiques. Tous devront faire un stage aux champs. Certains (1.500 d’ici à 2017) recevront une bourse d’engagement. Quelques-uns (200) auront un revenu garanti par l’assurance maladie (dès 2013 et pour deux ans). On parlait ces jours derniers de 4.000 euros mensuels, mais aucun chiffre n’a été donné. Sans oublier les premières expérimentations de télémédecine (en dermatologie) et le désormais célèbre et présidentiel «accès aux soins d'urgence garanti en moins de trente minutes d'ici 2015».
On sent bien que le cabinet et les services de la ministre ont peiné pour parvenir au douze mythique qui renvoie bien évidemment à la métaphore du désert. Le discours est aussi teinté de politique. A petites touches.
Tout va beaucoup plus mal depuis dix ans dans le monde de la santé. Et la désertification galope surtout depuis 2007, date à laquelle les hôpitaux ont de plus en plus été gérés comme des entreprises avec pour seule logique la rentabilité.
La carotte, pas le bâton
«Le discours sur les déserts médicaux n’est pas nouveau, dira Marisol Touraine. Je suis la première ministre de la Santé à m’y attaquer. Depuis dix ans, mes prédécesseurs ont systématiquement échoués. Jamais ils n’ont pris la mesure de l’enjeu. En multipliant les dispositifs ponctuels et éphémères leur démarche était condamnée d’avance.»
«Etre de gauche» c’est comprendre que «tout à changé», que les «maladies sont devenues chroniques», que les «patients formulent de nouvelles attentes», que les «aspirations de professionnels ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans». C’est «négocier pied à pied les accords sur les dépassements d’honoraires», c’est «sanctionner les abus» et «permettre à des millions de Français d’avoir accès à un médecin au tarif de la sécurité sociale».
Pour Marisol Touraine c’est, aussi, faire une croix sur l’ordre ancien sans pour autant oublier de célébrer la mémoire de ces médecins de campagne qui œuvraient nuit et jour sans compter leurs heures sur les routes et par tous les temps dans la plus extrême solitude.
C’est encore annoncer que ni le Président ni le gouvernement ne feront dans la coercition. La carotte oui, le bâton, non. Convaincre toujours. Et ne jamais contraindre les jeunes généralistes à visser leur plaque dans des déserts qui n’en seront plus. Une sorte de social-démocratie médicale à la française qui reste à inventer. Non plus un «médecin par village» mais un «pôle de santé par territoire». Si possible en adéquation avec une communauté de communes et dans le respect durable de l’environnement.
Voilà pour le fil rouge qui guidera jusqu’en 2017. Mais un fil rouge dans un paysage assez désespérant. Les Français sont inquiets de l’avancée de ces déserts, de voir leurs médecins vieillir, de ne plus voir de spécialistes de la vue, des nouveaux parcours du combattant qu’on leur impose parfois. Leurs hôpitaux les plus proches ne cessent de fermer, les femmes ne peuvent plus accoucher à proximité immédiate de leur domicile, les inégalités entre territoires sont flagrantes. Sans parler de ceux d’outre-mer.
Au Café de la Place, une affiche verte annonce un prochain lâcher de truites du côté de Lencloître. Dans la salle des fêtes, Marisol Touraine dit que rien ne remplace le contact humain d’une manière générale, en médecine tout particulièrement. Elle ne citera qu’un auteur: Saint-Exupéry. Celui qui écrit «La nostalgie, c’est le désir d’on ne sait quoi». Pour ajouter: «Je ne suis pas de nature nostalgique.» Elle dira aussi que si elle engage, avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le combat contre les déserts médicaux, «ce n’est pas pour restaurer l’ordre ancien». Les notables applaudissent.
Midi est à peine passé, mais déjà le jour tombe. Les motards pressent. Il faut vite regagner Poitiers pour ne pas rater le prochain TGV. Dans la Grand-Rue, plus personne derrière les rideaux. On ne voit de la lumière qu’à la pharmacie et à la maison de santé pluridisciplinaire. Et aussi au Café de la Place, où l’on sert de la bière et d’où l’on sort pour fumer dans la nuit qui gagne.
Jean-Yves Nau