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Ce qu’il faut savoir sur le sommet mondial de l’Internet

Temps de lecture : 9 min

Ce vendredi se termine une conférence onusienne où 193 Etats devaient s'accorder sur un traité international qui influera la gouvernance de l'Internet, mais la France (entre autres) a refusé de signer. On vous explique tout.

WCIT 2012 - Day 9 /ITU Pictures via Flickr CC License By
WCIT 2012 - Day 9 /ITU Pictures via Flickr CC License By

Une alliance de pays occidentaux, comprenant entre autres les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, a rejeté ce jeudi 13 décembre un nouveau traité international sur l'Internet. La France a également refusé de le signer. Depuis le 3 décembre, et jusqu’à ce vendredi, les représentants des gouvernements du monde entier sont réunis à Dubaï pour la «conférence mondiale des télécommunications internationales», abrégée en CMTI 12 (WCIT 2012 en anglais), où ils doivent s’accorder sur un nouveau règlement de la gouvernance de l’Internet.

La conférence est extrêmement critiquée par des acteurs non étatiques comme des ONG spécialisées dans les droits numériques ou des géants de l’Internet comme Google, qui s’opposent à son principe-même: que le futur d’Internet soit décidé par des Etats plutôt que le système «multi-acteurs».

On pourrait penser qu’une gestion d’Internet par les Nations unies serait le système le plus démocratique, mais dans un système où chaque Etat a un vote et où des Etats qui votent censurent et traquent leurs citoyens sur Internet, ce n’est pas le cas. D’autant plus que la conférence s’est préparée et se tient d’une manière peu transparente.

Pour comprendre ce dont il s’agit au juste, suivez le guide:

Qui est présent à la conférence?

193 délégations représentant 193 Etats participent à ce sommet organisé par l’Union internationale des Télécommunications (UIT), une agence de l’ONU en charge des technologies de l’information et de la communication.

En plus des Etats, l’UIT compte aussi des membres des secteurs public et privé comme des universités ou des entreprises technologiques. Ces membres ont été invités à participer aux discussions préliminaires à la conférence, mais ils ne peuvent pas voter pour ou contre le nouveau traité.

Les membres non étatiques peuvent en revanche faire partie des délégations de chaque Etat, qui choisit le nombre de délégués et leur nature librement (les Etats-Unis comptent par exemple 125 membres dans leur délégation, dont des représentants de Google).

Quel est le but de la conférence?

Les délégations sont à Dubaï pour adopter un nouveau traité, qui viendra remplacer le Règlement des télécommunications internationales, un document qui date de 1988.

Ce document, assez court, affirme entre autres que les Etats membres doivent faire en sorte de fournir une qualité de service satisfaisante sur le «réseau international» des télécommunications, et s’efforcer de mettre ces services à la disposition de leur population. Le traité discute également des taxes à percevoir sur les clients de ces services de télécom.

Il date donc de 1988, une époque où l’Internet était principalement un réseau d’universitaires et où Mark Zuckerberg avait 4 ans, comme le résume le site spécialisé Cnet. Pour les Etats membres, il est temps de le réviser avec une version plus moderne qui prend en compte tous les changements technologiques des vingt dernières années.

Les délégations se parlent donc depuis une semaine et demie pour mettre au point des propositions de changements sur lesquels tout le monde peut s’accorder. Ils révisent encore et encore le traité, mettant chaque article entre [crochets] tant qu’il ne récolte pas le consensus, l’objectif étant d’arriver à un texte sans crochets, c’est-à-dire que tous les Etats sont prêts à accepter, résume Sarah Parkes, en charge des relations presse à l’UIT.

Ils devaient au plus tard arriver à un consensus ce jeudi 13 décembre au soir, pour une signature du traité le vendredi 14.

Qu’est-ce qu’il y aura dans le traité?

On ne sait pas encore, mais un brouillon de propositions datant du début de la conférence (avant toutes les discussions) est disponible ici en français. Y apparaissent notamment le spam, la nécessité pour les Etats de faire en sorte que les opérateurs informent le public de façon transparente sur les taxes et des prix (notamment en cas de déplacement à l’étranger), de faire protéger les données des utilisateurs. Le brouillon dit également que les Etats devraient travailler avec le privé pour prévenir la cybercriminalité, le tout en «respectant la vie privée et la liberté d’expression».

Voici la dernière version du traité proposée (PDF), celle que les Etats-Unis et d'autres pays refusent de signer.

Les lourdes critiques contre l’UIT

1. Manque de transparence et d’ouverture

«Le futur de l’Internet ne devrait pas être décidé dans une conférence fermée au public par des gouvernements, plutôt que des acteurs de la société civile», estime entre autres Brett Solomon, directeur de l’ONG Access, qui défend les droits numériques.

Plus généralement, les acteurs du secteur s’énervent de voir les gouvernements nationaux tenter de prendre le contrôle de la gouvernance de l’Internet. Certains Etats les soutiennent, le parlement américain a ainsi voté une résolution réaffirmant son attachement à un «Internet libre de tout contrôle gouvernemental», tout comme le Parlement européen. Le Kenya a également exprimé sa désapprobation.

La conférence a pour but la signature d’un traité entre Etats, et les Etats membres sont donc les seuls à pouvoir soumettre des propositions et à voter, répond Hamadoun I. Touré, le secrétaire général de l’UIT, dans une tribune sur Wired. Il souligne que les autres membres du secteur privé ou public ont été «activement encouragés à participer» et que beaucoup d’entre eux font partie des délégations étatiques.

Touré a également noté l’ouverture d’une page web dédiée à recueillir les commentaires du grand public, mais un groupement d’associations pour la liberté sur Internet a répondu dans une lettre ouverte que les délégations n’étaient même pas au courant des commentaires qui y étaient faits. Des chercheurs ont créé wcitleaks.org, un site qui accueille tous les documents tenus secrets de la conférence.

2. Le risque de censurer Internet

Les propositions tenant à la cybercriminalité, censées notamment faire reculer le spam, serviront aux pays autoritaires à censurer leurs citoyens, affirme Vinton Cerf, l’un des «pères de l’Internet» devenu «l’évangéliste d’Internet» chez Google (le moteur de recherche est fermement opposé à la conférence, et a même créé un site pour l’occasion).

«Les Etats membres ont déjà le droit […] de bloquer toute communication privée qui semble “dangereuse pour la sécurité de l’Etat ou contraire à ses lois, à l’ordre public ou à la décence”» d’après la Constitution de l’UIT, répond Hamadoun I. Touré, qui note que des gouvernements le font déjà pour «empêcher la circulation de pornographie ou de propagande extrémiste».

Par ailleurs cette Constitution, qui date de 1992 et a été amendée à plusieurs reprises depuis, précise déjà que chaque Etat se réserve également le droit de «suspendre son service de télécommunications internationales»... Même si les Etats membres se retrouvaient pris d’une envie d’affirmer le contraire dans le nouveau traité, ils ne le pourraient pas, puisqu’un traité ne peut pas outrepasser la Constitution.

3. Le poids des pays autoritaires

Plus généralement, des critiques s’élèvent contre les propositions d’alliances de pays autoritaires. Par exemple, vendredi 7 décembre, les Emirats Arabes Unis ont présenté une nouvelle proposition, soutenue par la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, l’Algérie et le Soudan, en pleine session de négociations.

D’après Ars Technica, qui tient ses informations de la délégation américaine, la proposition des EAU spécifiait entre autres que les Etats membres «ont le droit de gérer toutes les ressources d’identification, d’adresses, de noms et de chiffres utilisés pour les services de télécommunications dans leur territoire». Autrement dit, un droit sur les adresses IP et les noms de domaines, ce qui va complètement à l’encontre des pratiques actuelles, ces deux secteurs étant gérés par des organisations qui ne sont pas gouvernementales, l’ICANN et l’IANA.

Sarah Parkes m’a précisé que les Emirats Arabes Unis avaient finalement retiré cette proposition avant même qu’elle ne soit considérée comme un document officiel de la conférence, ce qui sous-entend un large manque de soutien de la part des autres Etats.

Le même genre de termes était dans une des propositions de la Russie au début de la conférence, et les Etats-Unis s’y sont très fermement opposé. D'un autre côté, de nombreux pays –et pas qu'autoritaires– estiment que derrière le système multi-acteurs actuel, les Etats-Unis ont la mainmise sur l'Internet.

4. La neutralité du Net

Les ONG et les grosses entreprises d’Internet craignent aussi les velléités des Etats membres d’agir sur la régulation tarifaire d’Internet. L’Etno, groupement des opérateurs européens, a proposé en septembre que le nouveau traité autorise une «qualité de service différenciée», expliquait à l’époque la Quadrature du net, qui traduisait: mettre fin à la neutralité du Net, en laissant par exemple les opérateurs à ralentir ou prioriser certains types de contenus.

L’Etno voudrait aussi que les sites comme Google ou YouTube payent les fournisseurs d’accès à Internet pour leur (forte) consommation de bande passante, note Numerama. Pour le groupement, la situation actuelle «fait courir des risques à la capacité d’investissement» des fournisseurs d’accès.

Peu de temps avant la conférence, l’UIT a approuvé des normes sur l’utilisation des Deep Packet Inspections (l’Inspection des paquets en profondeur permet d’analyser le contenu d’un paquet d’adresses IP par exemple, autrement dit de savoir ce qui s’échange). Il y est expliqué que ces DPI peuvent aboutir à la hiérarchisation, au blocage, à la modification et la planification des paquets en fonction de leur contenu, de leur origine ou de leur destination, raconte Numerama, ouvrant la voie à la possibilité de détecter le trafic venant de Skype pour bloquer les communications par exemple, ou de brider le trafic de sites de téléchargement illégaux.

La norme permet en plus de pouvoir «filtrer le contenu de façon à éviter d’offenser l’utilisateur», une porte ouverte à la censure.

Comment un nouveau traité peut-il être adopté?

C’est finalement dans cet aspect technique que réside la principale défense de l’UIT. Les porte-parole de l’Union rappellent d’abord dans de nombreux articles que l’agence n’est pas une grande méchante bureaucratie qui va prendre le contrôle d’Internet, parce que l’UIT n’est que la somme de ses membres. En clair, si vous avez un problème avec l’adoption d’un document, vous avez un problème avec les Etats Membres, pas avec l’UIT en tant que telle.

Et ces Etats membres décideront d’adopter, ou pas, un nouveau traité. Probablement pas par un vote, prévu par les textes de l’organisation mais très rare dans les faits, explique Sarah Parkes: «Ça n’aurait aucun sens de négocier un traité auquel 49% des Etats sont opposés», puisqu’il faut ensuite que ces Etats le ratifient et le transposent dans les lois nationales.

D’où le système de discussions pour arriver à un consensus, article par article (sachant que certains articles peuvent ne pas être modifiés et d’autres oui). Si on en venait à un vote, le traité serait adopté si plus de la moitié des Etats votaient pour. S’il était rejeté, on en reviendrait au traité de 1988, mais il est «hautement improbable», estime Sarah Parkes, qu’un accord ne soit pas trouvé, parce que «tout le monde a fait tout ce travail, personne ne veut que ça soit une perte de temps».

Les Etats peuvent aussi signer le traité mais avec des «réserves» sur certains articles, une pratique relativement commune d’après Sarah Parkes. Et ils peuvent aussi le signer puis se retrouver avec un parlement qui refuse de le ratifier.

Anthony Rutkowski, qui a été le chef des règles de télécommunication et des relations entre membres au secrétariat général de l’UIT entre 1987 et 1992, explique à Cnet que beaucoup d’Etats «écrivent également des déclarations disant en gros que, même s’ils signent [le traité], leurs intérêts nationaux priment. C’est-à-dire qu’ils pourraient diverger si leurs intérêts nationaux le dictent».

Que s'est-il passé à la veille de la signature?

Une alliance de pays occidentaux, comprenant entre autres les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, ont rejeté le nouveau traité international sur l'Internet, parce qu'il ne soutient pas le système multi-acteurs actuel. Des représentants de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède, des Philippines, de la Pologne et de la République tchèque ont également dit qu'ils ne pourraient pas signer le traité proposé en l'état.

PC Inpact note que «les autorités françaises n'ont toujours pas répondu à [ses] sollicitations destinées à connaître les positions défendues par la France». Mais notre pays a décidé de ne pas signer le traité, rejoignant 89 autres nations.

Cécile Dehesdin

Article mis à jour le 14/12/12 à 10h

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