Avec un troisième enfant en route et un appartement de 100 mètres carrés à Brooklyn avec une seule salle de bain, mon mari et moi discutons régulièrement de la manière dont nous pourrions nous payer un appartement confortable pour notre famille. J’ai 35 ans, il en a presque 40 et aucun d’entre nous n’arrive à envisager de prendre un emprunt ou de payer un loyer supérieur à celui que nous payons déjà pour encore cinq ans.
Au printemps 2018, nos trois enfants seront scolarisés et les 5.000 dollars [environ 3.830 euros, NDT] que nous dépensons tous les mois en frais de garde cesseront de quitter notre compte en banque. J’aurai 41 ans, mon mari en aura 46 et nous pourrons alors peut-être envisager l’installation d’un deuxième W.C. dans notre logement.
Ces 5.000 dollars économisés n’iront pas exclusivement dans la transformation de notre logement. Pour pouvoir payer la crèche, nous avons cessé de contribuer à notre plan d’épargne retraite il y a des années de cela. En 2018, il faudra que nous remettions de l’argent dedans —on va faire comme si nous aurons un jour la possibilité de prendre notre retraite— et puis il va aussi falloir que nous économisions pour payer les études supérieures des enfants, n’est-ce pas?
Allez, comme je vous vois me faire les gros yeux, je vais en effet vous le dire: en comparaison du niveau de vie moyen des Américains, nous sommes riches. Mon mari et moi avons des boulots stables, avec un bon salaire et nous avons la chance d’avoir les moyens de vivre dans une des villes les plus riches du monde parce que nous le voulons. Comme Hamilton Nolan, de Gawker, l’a écrit il y a peu:
«Nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes pauvres au motif qu’il ne nous reste plus beaucoup d’argent une fois que nous avons tout dépensé.»
Mutations épigénétiques dues à l’âge
Voilà pourquoi je ne me plains pas. Mais vous savez ce que je fais? Je me mets à repenser à tout ça. Et je me dis que si nous avions commencé à faire des gamins cinq ans plus tôt que nous ne les avons eus, peut-être que je ne retrouverais pas dans la situation de voir, à 40 ans, ma chambre à coucher séparée de celle de mes fils par un faux mur.
Et c’est précisément ce à quoi je me suis remis à penser en voyant la couverture du numéro du mois de décembre de la New Republic, représentant une photo d’une couple aux cheveux grisonnants entourant leur rejeton avec ce titre ô combien efficace: «Nous avons des enfants de plus en plus tard. Et nous n’avons aucune idée de ce qui nous attend.»
Cet excellent article, sous la plume de Judith Shulevitz, évoque de manière générale les «conséquences effrayantes» de la parentalité tardive et plus spécifiquement la plus forte probabilité de troubles mentaux et psychiques chez les enfants issus de parents âgés. Shulevitz cite ainsi une étude sur les pères âgés dont on a beaucoup parlé cette année et qui établit que «le nombre de mutations génétiques potentiellement transmissibles par un père augmente de deux chaque année de sa vie et double tous les 16 ans, ce qui fait qu’un homme de 36 ans a deux fois plus de chances qu’un homme de 20 de transmettre des mutations de novo.»
Elle évoque également les mutations épigénétiques dues à l’âge –soit la manière dont l’environnement, et en particulier l’âge, peut avoir une influence sur l’ADN du sperme, et par là un impact sur la taille ou les capacités intellectuelles de nos enfants:
«Les sociologues ont passé de nombreuses heures à démontrer que les parents plus âgés sont généralement plus riches, plus intelligents, plus aimants, globalement, que les jeunes parents. Mais l’ironie tragique du phénomène épigénétique, c’est que ces mêmes parents plus sages et plus mûrs ont également bien davantage absorbé des particules nocives présentes dans l’air, des perturbateurs endocriniens, des pesticides et des herbicides.
Ils ont été soumis à davantage de stress, dû à la pauvreté ou au surcroît de travail ou au manque de reconnaissance sociale. Et toutes ces attaques contre nos cellules fabricant l’ADN du sperme viennent ajouter des épimutations aux mutations régulières.»
«Aucune idée de ce qui nous attend»
Une autre question se pose: celle de notre degré de connaissance (ou de méconnaissance) des effets sur le long terme des traitements de fertilité, traitements que Shulevitz a dû subir quand elle a tenté d’avoir son premier enfant à 37 ans. Comme un professeur de l’Université de Columbia le résume:
«Nous n’avons de cesse de développer ces merveilles technologiques sans prendre même la peine de rassembler quelques données de base qu’il serait pourtant bon de posséder avant qu’elles ne se répandent à la surface du globe.»
Mais au-delà de tous ces excellents passages consacrés à la science, une partie inquiétante du titre de l’article, en couverture du journal, continue de planer: «Nous n’avons aucune idée de ce qui nous attend».
«Une des expressions que j’ai régulièrement entendue au cours de mes conversations était celle "d’expérience naturelle", écrit Shulevitz. Comme si nous étions en fait en train de procéder à une immense étude empirique sur une population dont la taille va au-delà de l’imaginable: tous les enfants conçus par des parents âgés, ces mêmes parents et leurs grands-parents (qui doivent attendre de plus en plus pour avoir des petits-enfants).»
Et j’y pense tout le temps. Il y a naturellement des scénarios qu’aucun parent ne souhaite envisager, comme la possibilité que mon âge ou celui de mon mari puisse contribuer à faire de l’un des mes fils un enfant autiste, dépressif ou schizophrène. Mais une bonne partie des conséquences moindres peuvent être, elles, envisagées avec beaucoup plus de précision.
Il est possible que je n'assiste à rien
Soyons clairs: je ne me retrouverai pas sans enfant sous mon toit avant d’avoir 54 ans, et c’est la limite optimiste. Il me faudra sans doute prendre soin de la santé défaillante de mes parents alors que je serai encore en train de m’occuper d’élever mes enfants.
Et j’aurai sans doute 60 ans bien tapés et peut-être près de 70 ans quand mes propres enfants commenceront à avoir des enfants (s’ils en font), et plus de 70 ans quand il sera intéressant de discuter avec mes petits-enfants et qu’ils cesseront de porter des couches.
Mes grands-parents m’ont vue arriver au baccalauréat, me marier et fonder une famille. Il est, à l’inverse, fort possible que je n’assiste à rien de tout cela pour les enfants de mes enfants.
Et puis, il y a ce dernier point: «Ce qui me hante quand je pense à mes enfants, écrit Shulevitz, ce n’est pas tant leur embarras quand leurs amis scrutent mes rides ou les tempes poivre et sel de mon mari. C’est le risque, bien réel, que je meure avant qu’ils ne soient en mesure d’affronter le monde tous seuls.»
Et elle se met à énumérer ces statistiques ô combien rassurantes: une mère âge de 35 ans à la naissance de son enfant a de bonne chance d’être encore de ce monde quand il aura 46 ans. Celle qui est âgée de 45 ans sera probablement morte quand son enfant en aura 37.
Ce ratio est légèrement moins favorable pour les pères: un père ayant eu son enfant à 35 ans peut espérer le voir atteindre 42 ans de son vivant. Le père de 45 ans peut espérer voir son enfant atteindre 33 ans.
Ce n'est pas vraiment comme ça que j’aimerai que les choses se passent. Et je ne sais pas non plus pourquoi je tente de m’y préparer.
Se «concentrer sur sa carrière»
Je me suis mariée à l’âge de 26 ans. Nous avons attendus cinq ans avant d'avoir des enfants parce que… nos amis n’en faisaient pas non plus. Comme on dit: «J’avais décidé de me concentrer sur ma carrière.» Et c’était chouette d’être jeune, mariée et de ne pas avoir trop de responsabilités à assumer.
Et si j’ai adoré mes années de jeune mariée, elles ne constituent pas une sorte de réserve de bons souvenirs dans laquelle je pourrais à présent puiser, quand je suis ennuyée de ne pas pouvoir sortir après le travail sans avoir trouvé un baby-sitter deux semaines à l’avance.
Sans parler des avantages physiques à être une jeune maman —j’aurais infligé bien moins d’atroces souffrances à mon pauvre dos de vieille femme. Et pour ce qui concerne ma carrière, je n’ai aucun moyen de savoir à quoi elle pourrait aujourd’hui ressembler si j’avais eu des enfants à 27 ans. Peut-être que je serais en train d’errer dans les rues, sans profession et dans un froc informe —ou pas.
«Une des caractéristiques les plus remarquables de la nouvelle parentalité, écrit Shulevitz, c’est à quel point les femmes semblent s’en réjouir. Elle est considérée comme un triomphe du féminisme.» Je n’en suis pas sûre. Vous vous souvenez de ce gamin, quand vous étiez en primaire, ce gamin dont les parents étaient teeeeeeeeeellement vieux que c’était bizarre et même un peu flippant? Et bien aujourd’hui, c’est nous tous. Aïe…
Allison Benedikt
Traduit par Antoine Bourguilleau