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Israël-Palestine: le pari de Khaled Mechaal

Temps de lecture : 5 min

Le leader en exil du Hamas emboîte le pas de Yasser Arafat avec un double discours belliqueux et pragmatique. Peut-il devenir l'homme d'un compromis historique?

Khaled Mechaal à l'Université islamique de Gaza le 7 décembre 2012. Suhaib Salem / Reuters
Khaled Mechaal à l'Université islamique de Gaza le 7 décembre 2012. Suhaib Salem / Reuters

Le chef du mouvement islamiste palestinien Hamas, Khaled Mechaal, qui avait choisi l’exil à la suite de la Guerre des Six jours en 1967, est retourné pour la première fois dans les territoires palestiniens.

Il s’est rendu à Gaza à l’occasion du 25e anniversaire de son mouvement pour y faire une déclaration inattendue revendiquant la totalité de la Palestine du mandat britannique.

Ces propos nous ramènent plusieurs années en arrière:

«La Palestine, de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain, du nord au sud, est notre terre et notre nation, dont on ne peut céder ni un pouce ni une partie. Nous ne pouvons pas reconnaître de légitimité à l'occupation de la Palestine ni à Israël.»

Double discours

Les dirigeants israéliens interprètent ce discours comme une déclaration de guerre qui leur fait regretter de l’avoir sauvé de l’empoisonnement en 1997 alors qu’il se trouvait à Amman. Khaled Mechaal a pris de surprise la classe politique israélienne car sa rupture avec Bachar el-Assad, son départ de Damas et son installation au Qatar avaient été interprétées comme une volonté d’adopter une position moins belliqueuse.

Certains dirigeants israéliens, avec les encouragements du Qatar, avaient acté son éventuelle arrivée à la tête du peuple palestinien réunifié préférant traiter avec un homme fort, de la mouvance des Frères musulmans, capable de neutraliser les extrémistes islamistes. La chaîne libanaise du Hezbollah El-Manar a par ailleurs expliqué que l’émir du Qatar avait imposé ses conditions au Hamas:

«Si vous souhaitez obtenir de l’aide économique et financière, vous devez rompre votre alliance avec l’Iran, l’ennemi de l’islam et des musulmans et commencer des négociations avec l’entité sioniste sans conditions préalables.»

En fait, Khaled Mechaal ne fait que suivre la stratégie historique des dirigeants palestinien qui consiste à l'extérieur à tenir un discours pragmatique et à l'intérieur à tenir des propos enflammés et belliqueux.

Khaled Mechaal est entré à Gaza avec sa famille par le terminal égyptien de Rafah pour participer au «fruit de la victoire de la résistance sur l’occupant» après l’opération «Pilier de défense».

Cette «victoire», qui a affaibli militairement la branche armée du Hamas et qui a entraîné de sérieuses destructions de bâtiments civils et militaires, a poussé les islamistes du Hamas à se rapprocher de l’Egypte et à s'éloigner de l'Iran. Le président égyptien Mohammed Morsi a conduit les négociations de cessez-le-feu au nom du Hamas tout en éloignant du théâtre des opérations Téhéran, allié indéfectible de la Syrie.

Les observateurs avaient attribué la nouvelle stratégie de Khaled Mechaal à une volonté d’acquérir une stature internationale afin de pouvoir prendre à terme la présidence de la Palestine et d'évincer Mahmoud Abbas et le Fatah affaiblis et discrédités. Il avait même accepté le principe de l’existence d’Israël en prônant une trêve à long terme en échange du repli d’Israël sur les frontières de 1967 avant donc de changer de revenir en arrière.

Pousser Netanyahou à la faute

Les Israéliens expliquent ce revirement avant tout par la lutte pour le pouvoir entre les différents clans palestiniens y compris au sein du Hamas. «On a affaire à des gens qui dirigent un groupe terroriste», explique un expert et leur vision est celle d'un combat pas d'une stratégie à moyen terme. Ils ne comprennent pas le besoin de créer des tensions au sein du mouvement au moment où le Hamas a acquis une existence légale inespérée à la suite des négociations de cessez-le-feu avec les Israéliens en Egypte.

Il s'agissait pour le dirigeant historique du Hamas de regonfler le moral des troupes qui ont subi un déluge de feu israélien, ont vécu douloureusement la destruction de leurs bases et ont découvert l'efficacité du «dôme de fer» contre leurs missiles. Un échec militaire que ne masquent pas totalement les proclamations de victoire continues des dirigeants du Hamas.

Il fallait aussi adresser une mise en garde à l’intention des Israéliens sur le risque d’une éventuelle troisième Intifada. Et cela même s'il n’entre nullement dans les intentions de Mahmoud Abbas et de son parti le Fatah d’entrer dans le cycle de la violence parce que l’Autorité sait le prix économique et politique qu’elle devra payer.

Khaled Mechaal semble aussi vouloir jouer la carte risquée de la chute de Benjamin Netanyahou comme naguère, le 29 mai 1996, quand le favori travailliste Shimon Pérès avait été battu de justesse.

La violence des propos de Khaled Mechaal est donc tout sauf fortuite. Il veut pousser Netanyahou à la faute pour le disqualifier en Israël et à l'étranger. Une stratégie qui a peu de chance de succès. Le Premier ministre israélien semble aujourd'hui assuré d’être réélu face à un vide politique qu’aucun dirigeant de l’opposition n’est capable de combler. L’opposition israélienne est trop divisée par le jeu des ego pour modifier le cours des élections.

Les pays occidentaux, qui avaient ouvertement soutenu Israël durant la bataille de Gaza, commencent à prendre leurs distances avec un gouvernement israélien qui persiste à poursuivre la construction de 3.000 logements dans les territoires et qui étouffe financièrement l’Autorité palestinienne en bloquant des fonds perçus par la douane pour le compte des Palestiniens.

Un interlocuteur?

Benjamin Netanyahou a objectivement facilité la tâche à Khaled Mechaal après la décision du gouvernement israélien de relancer les constructions en Cisjordanie et surtout dans la zone E1 pour créer une continuité entre Jérusalem et l’implantation de Maalé Adoumim. Le doute s’est un peu plus inséré sur la volonté israélienne de relancer le processus de paix.

Cela dit, les Israéliens semblent persuadés que s'ils cherchent un interlocuteur, Khaled Mechaal pourra être celui-là. Il a la personnalité et le charisme suffisants pour imposer ses vues au peuple palestinien et ils attendent de lui des propositions concrètes, originales et courageuses. Mais cela ne sera pas pour cette fois.

Reste à savoir si le leader du Hamas prendra le risque de préparer son peuple à une révision politique et à suivre les conseils de son mentor, le Président égyptien Mohamed Morsi:

«La résistance est un moyen et non une fin. Toutes les formes de lutte, politique, diplomatique, juridique et de mobilisation sont légitimes pour recouvrer ses droits.»

En tout cas, Khaled Mechaal fait souffler le chaud et le froid et cherche aussi à se positionner en rassembleur et en appelle à Mahmoud Abbas. «Il est temps de tourner la page de la division. La division a été imposée au moment où certains ont refusé les élections de 2006, mais c'est du passé», a-t-il déclaré. Il ose même se référer aux accords d’Oslo de 1993, signés par l’OLP, qu’il a toujours combattus et reniés:

«Nous sommes une seule Autorité et notre référence est l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont nous voulons l'unité. De Gaza, à mes frères du Fatah en Cisjordanie, au frère Abou Mazen [Mahmoud Abbas, NDLE], nous disons: venez à la réconciliation et à l'unité nationale, construire notre patrie et reconsidérez la résistance, qui est honorable et un choix stratégique.»

Les Palestiniens de Cisjordanie sont cependant aujourd'hui très réservés vis-à-vis de ce leader «qui n’a pas du tout le charisme d’un Yasser Arafat». Ils l’estiment incapable de fédérer son peuple dont la majorité reste attachée à la laïcité et à la liberté qui sont refusées aux habitants de Gaza. Sera-t-il capable de changer de dimension et de devenir l'homme qui incarnera et rendra tangible un Etat palestinien?

Jacques Benillouche

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