Le sida le démontre à l’envi: face aux maladies sexuellement transmissibles, les progrès thérapeutiques ne sont pas synonyme d’éradication.
Depuis une dizaine d’année, l’efficacité spectaculaire des traitements antirétroviraux a progressivement modifié la perception collective de cette épidémie. Ces mêmes traitements commencent en outre, depuis peu, à être préconisés avant même l’infection, à titre préventif en cas de relation sexuelle à risque.
Maladie infectieuse aiguë aux conséquences mortelle, elle est aujourd’hui une affection chronique dont on meurt de moins en moins fréquemment.
Dans le même temps, on observe un désintérêt pour la prévention et une augmentation des contaminations dans les milieux homosexuels. Les incitations au dépistage généralisé de la population lancées il y a deux ans par le gouvernement ont été sans effet.
Tels sont les principaux enseignements rendus publics à la veille de la Journée mondiale contre le sida dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’Institut de veille sanitaire (InVS).
1. On meurt de moins en moins du sida en France
Alors que le nombre de nouveaux diagnostics d’infection à VIH reste stable depuis 2007 (environ 6.100 cas en 2011), on observe une nette évolution dans les causes de décès des personnes séropositives.
Les derniers chiffres disponibles sont fournis par l’étude «Mortalité 2010» de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Ce travail a été dirigé par Caroline Roussillon, Geneviève Chêne et Philippe Morlat (Inserm, Université de Bordeaux).
Il conclut qu’en 2010 l’âge médian des personnes infectées décédées était de 50 ans et que 75% étaient des hommes. La première cause de mortalité est due à des affections cancéreuses (non liées au VIH) devant le sida (25% en 2010 contre 36% en 2005 et 47% en 2000) et les atteintes cardiovasculaire (10% des cas).
«En 2010, le sida ne représente plus qu’un quart des causes de décès des patients VIH+ (mais plus d’un tiers dans les DOM). La majorité des patients décède désormais de causes diverses alors que leur infection VIH est contrôlée sous traitement», observent les auteurs.
«Cette proportion reste importante dans un pays où les personnes ont majoritairement un meilleur accès au système de soins qu’aux Etats-Unis, par exemple», estiment pour leur part, dans l’éditorial du BEH, Jean-François Delfraissy directeur de l’ANRS et Francis Barin responsable du Centre national de référence du VIH (Université François-Rabelais, CHU Bretonneau, Tours).
2. La séropositivité est 200 fois plus élevée chez les homosexuels que chez les hétérosexuels
Deux groupes demeurent tout particulièrement concernés par la contamination par le VIH: les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et, par voie hétérosexuelle, les personnes «nées à l’étranger» (dans 75% des cas dans un pays de l’Afrique subsaharienne). Ces deux groupes représentent chacun 40% des découvertes de séropositivité en 2011.
«La transmission du VIH est toujours importante parmi les HSH, qui constituent le seul groupe où le nombre de découvertes de séropositivité est en augmentation depuis 2003, observe-t-on à l’InVS. Chez les hétérosexuels nés à l’étranger, le nombre de cas diagnostiqués diminue depuis 2003, de façon plus marquée chez les femmes que chez les hommes.»
Par ailleurs, une stabilité de séropositivité est observée dans les autres groupes, c'est-à-dire chez les hétérosexuels (depuis 2003) et chez les «usagers de drogue» (depuis 2008).
«Les outils utilisés dans le cadre de la surveillance nationale du VIH ont permis de montrer que l’incidence de l’infection VIH au cours des dernières années ne diminuait pas dans la population des HSH, soulignent Jean-François Delfraissy et Francis Barin. Elle y est 200 fois plus élevée que chez les hétérosexuels français.»
Depuis 1985, des enquêtes dénommées «Presse Gays» sont réalisées régulièrement auprès des HSH grâce à un financement public. Elles s’intéressent aux modes de vie, à la santé et aux comportements sexuels de cette population à travers des questionnaires encartés dans la presse identitaire gay. Elles ont été complétées par une enquête «Presse Gays et Lesbiennes» (EPGL).
«L’édition de 2011 marque un tournant, en raison d’un mode de passation du questionnaire principalement par Internet, de l’utilisation des réseaux sociaux pour le recrutement et de la participation, pour la première fois, des femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes (FSF)», précise l’InVS. Plus de 60 sites Internet communautaires ont donc participé à l’édition 2011 et un site Internet spécifiquement dédié à l’enquête a été créé.
Au total, plus de 11.000 HSH et près de 4.000 FSF ont participé avec un recrutement nettement plus diversifié, à la fois plus jeune et moins parisien.
«Bien que la moitié des répondants rapportent un test de dépistage du VIH dans les douze derniers mois, 14% déclarent encore “ne jamais avoir réalisé de test de dépistage au cours de leur vie”, indique l’InVS. En 2011, 17% des répondants HSH de l’enquête déclarent être séropositifs pour le VIH (contre 13% en 2004). Les comportements sexuels à risque ont également augmenté en 2011: 38% des HSH déclarant au moins une prise de risque dans les douze derniers mois avec des partenaires masculins occasionnels de statut VIH inconnu ou différent. Ces prises de risque sont déclarées plus fréquemment par les répondants qui se déclarent séropositifs que par ceux qui se déclarent séronégatifs.»
Soit, pour les responsables sanitaires, des résultats «très préoccupants».
Les homosexuels ne sont pas les seuls chez lesquels des symptômes inquiétants sont observés. C’est ainsi qu’en 2011, le nombre d’infections urogénitales à Chlamydia, la plus fréquente des infections sexuellement transmissibles, continue d’augmenter en France tant chez les hommes que chez les femmes. Il est vrai que cette augmentation reflète pour partie une plus grande fréquence des dépistages.
Il en va de même avec les infections à gonocoque qui continuent également d’augmenter depuis dix ans chez l’homme et la femme, et ce «quelle que soit l’orientation sexuelle». «Au chapitre de la syphilis, le nombre de cas récents est en augmentation chez les homo-bisexuels masculins, qui représentent toujours la grande majorité des cas rapportés, note l’InVS. Les données comportementales montrent que l’utilisation systématique du préservatif reste insuffisante, notamment lors des fellations.»
3. Plus de 5 millions de tests de dépistage sont effectués chaque année mais 30.000 personnes ignorent toujours qu’elles sont séropositives
Différentes techniques de modélisation statistiques permettent aujourd’hui aux épidémiologistes et aux virologues d’affirmer qu’au minimum 30.000 personnes ignorent en France qu’elles sont infectées par le VIH et donc qu’elles peuvent contaminer leur(s) partenaire(s) sexuel(s).
C’est l’utilisation de ces outils dans le cadre de la surveillance nationale du VIH qui a permis de montrer que l’incidence de l’infection VIH au cours des dernières années n’a jamais diminué chez les HSH.
Peut-on (et comment) résorber la taille de cette «épidémie cachée»? Son existence doit être mise en parallèle avec le fait que le dépistage de l’infection par les VIH est en France pratiquée de manière massive depuis une vingtaine d’année.
On pratique ainsi environ cinq millions de tests chaque année, pour l’essentiel de manière systématique chez les donneurs de sang et les femmes enceintes. Cette situation avait conduit la Haute autorité de santé (HAS) à formuler en 2009 une série de recommandations en incitant à un dépistage de l’ensemble de la population, jusqu’à 75 ans ou plus, qu’il existe ou pas des facteurs de risque connus. Les médecins généralistes devaient être les maîtres d’œuvre de cette opération d’envergure. Le gouvernement avait suivi en 2010 les recommandations de la HAS par la voix de Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé.
Les généralistes n’ont guère suivi ces recommandations: le nombre de dépistage n’a augmenté que de 4% entre 2010 et 2011.
«Il est encore trop tôt pour en observer l’impact sur l’augmentation des diagnostics d’infection à VIH notamment réalisés à l’occasion d’un bilan ou sur la baisse des découvertes de séropositivité à un stade tardif, observent de manière fort diplomatique Jean-François Delfraissy et Francis Barin. La proportion de découvertes de séropositivité à l’occasion d’un bilan systématique est stable depuis plusieurs années (20% en 2011). La proportion de découvertes à un stade tardif est de 29% en 2011, un chiffre également stable depuis 2008 qui concerne principalement les hétérosexuels.»
Deux arguments majeurs de santé publique justifient pourtant que l’on parvienne à réduire la taille de l’«épidémie cachée». Le premier est qu’elle constitue une réserve de nouvelles contaminations. Le second est qu’il est désormais bien établi (cela n’a pas toujours été le cas) que la mise en place d’un traitement le plus près possible de la contamination virale est de nature à allonger considérablement l’espérance de vie et à réduire le risque de contamination.
Dépister et soigner plus tôt sont deux mesures qui permettraient de réduire encore le nombre de décès liés au sida.
Peut-on améliorer l’efficacité et la rentabilité de l’actuel dispositif, coûteux, de dépistage? Peut-on réduire l’intensité de la dynamique virale au sein de la communauté homosexuelle? Tels sont les deux principaux défis à laquelle est désormais confrontée Marisol Touraine, ministre de la Santé. Des défis que n’ont pu, avant elle, relever ni Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot, Philippe Bas ou Philippe Douste-Blazy.
Faute de progrès à venir, devra-t-on en conclure que la puissance publique est allée au maximum de ce qu’elle pouvait faire dans la lutte contre cette maladie infectieuse apparue il y a trente ans?
Jean-Yves Nau