France

Le tram fret: rêve de bobo anti-camion ou vrai mode de transport?

Temps de lecture : 4 min

Des tramways transportant des marchandises sont envisagés pour Paris, même si le projet n’avance qu’à l’allure d’un bus à l’heure de pointe. Mais s’agit-il vraiment d’une bonne idée?

A Paris, des simulations de tram fret sont réalisées en faisant circuler des rames classiques dont les fenêtres sont obturées par des affiches signalant l'expérience en cours - Photo APUR
A Paris, des simulations de tram fret sont réalisées en faisant circuler des rames classiques dont les fenêtres sont obturées par des affiches signalant l'expérience en cours - Photo APUR

La question des livraisons de marchandises dans les centres urbains est une préoccupation majeure, puisque les gens n’ont jamais été aussi nombreux à s’y entasser et qu’ils consomment de plus en plus.

Mais ces mêmes citadins n’ayant jamais été aussi hostiles au bruit et à l’odeur des camions qui viennent, jusque dans leurs rues, livrer, leur fish et leur pain de campagne, il y a comme un petit malaise…

Une idée qui est sur les rails depuis quelques années, stimulée par le retour en grâce du tramway dans de nombreuses agglomérations françaises, c’est l’adaptation de ce mode de transport à l’acheminement de marchandises.

Le concept n’est pas inédit puisque c’est à Dresde, en Allemagne orientale, qu’il est exploité avec succès depuis déjà onze ans par Volkswagen pour l’approvisionnement en pièces détachées d’une usine. Mais le contexte est là-bas un peu particulier s’agissant d’un projet industriel intégré où le constructeur dispose de son propre embranchement privé sur son site, une situation courante pour le fret ferroviaire classique.

En cherchant bien, on peut dénicher d’autres expériences en Europe, mais elles sont moins concluantes, comme celle d’Amsterdam où le tram a servi un temps à collecter les ordures mais a dû s’arrêter de jouer les éboueurs parce que ça coûtait trop cher.

A Paris, on parle toutefois de tester un dispositif du même genre pour l’approvisionnement des supermarchés situés sur le trajet des nouvelles lignes du réseau de tramway que la capitale a décidé de s’offrir parce que c’est moins cher que du métro.

«Tests de faisabilité concluants»

Hervé Levifve est, à l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), une émanation du Conseil de Paris, la personne qui coordonne le travail des différents acteurs publics de cette initiative –Hôtel de Ville, RATP, SNCF, Ademe, etc. et les «chargeurs» (les clients).

«Si ce projet était mené à bien, il permettrait d’éliminer de nombreux véhicules de la voirie puisque la capacité d’emport d’un tramway est d’environ 80 tonnes de marchandises contre une vingtaine pour un camion. Pour le moment, nous nous travaillons sur la ligne T3, qui dessert les boulevards des Maréchaux, soit le pourtour de Paris. En 2011, des tests de faisabilité ont donc été effectués entre le pont du Garigliano et la porte d’Ivry avec des rames normales, mais il s’agissait essentiellement de vérifier ce que le public en pensait et de contrôler si ça ne bouleversait pas le trafic des voyageurs avec des temps théoriques de déchargement des marchandises aux arrêts. Résultat: l’accueil est plutôt bon et l’insertion de rames marchandises n’est pas un problème

François Hébrard, le logisticien ayant suivi le projet pour le groupe Casino (avec son concurrent Carrefour), est évidemment intéressé par la possibilité d’approvisionner ses magasins de centre-ville via le tram et son entreprise est également pionnière sur les expériences de livraisons par la voie fluviale. Mais on sent bien que c’est un pis-aller lorsqu’on le pousse un poil dans ses retranchements:

— Les besoins des distributeurs sont de plus en plus importants parce qu’il existe de très nombreux petits points de vente dans Paris alors qu’il y a peu de "vrais" hypermarchés toutes enseignes confondues. En fait, le seul de toute la ville est un Casino, celui de Masséna et là, il y aurait certainement quelque chose à faire avec un embranchement privé de tram pouvant recevoir de gros volumes...

― Un embranchement privé? Ça serait un sacré investissement…

― Effectivement. D'autant plus qu'à l’heure actuelle, nous livrons ce site la nuit en poids-lourd puisque c’est autorisé et qu’il n’y pas trop de circulation. C’est efficace même si les choses s’amélioreront encore au plan environnemental lorsque des véhicules hybrides pourront assurer ce genre de missions…

― Mais ce qu’on ne comprend pas bien avec le tram, c’est comment vous livrerez les petits établissements en bordure des lignes actuelles: il faudra bien que les palettes soient déchargées pour être récupérées par le commerçant...

― Oui, c’est un problème, comme la rupture de charge au début de la ligne, lorsqu’il faudra transférer des lots arrivés en semi-remorque aux portes de Paris et qu’il faudra les fractionner.

― Ça prendra du temps et ça coûtera cher en manutention...

― Probablement.

Ça ne marchera jamais?

De fait, les difficultés que fait émerger le concept du transport de marchandises en tramway sont tellement nombreuses qu’on a du mal à imaginer qu’il ne reste pas lettre morte, même s’il est séduisant d’un point de vue écolo et en-dehors des considérations pratiques qu’aiment bien formuler les rabat-joie dans mon genre.

D’abord, apprend-on, la RATP n’a pas le droit, par statut, de transporter autre chose que des voyageurs. Ce point pourrait-être modifié, mais ce serait long et complexe. Ensuite, la possibilité de créer des embranchements privés comme sur le rail classique et d’y faire circuler des rames dédiées au fret gérées par des entreprises tierces style Veolia, toujours comme pour le fret ferroviaire, pourrait générer un certain nombre de frictions syndicales.

Enfin, la nature même des trams, dont les gabarits n’ont rien à voir avec les normes de conditionnement du transport de marchandises, aurait vraisemblablement un impact négatif sur la productivité si des conteneurs aux standards originaux sont utilisés pour un chargement par le haut de rames plates ou même en chargement latéral. Mais bon, les études de faisabilité, c'est un peu comme les rapports sur la compétitivité de l'économie française: on peut toujours les commander, ça ne mange pas de pain.

Hugues Serraf

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