Life

Véronique, une femme comme les autres?

Temps de lecture : 4 min

Au troisième jour de l'audience, la solidarité exprimée avec l'accusée n'était qu'intra-familiale. Au quatrième, vendredi 12 juin, elle a gagné l'ensemble des femmes venues témoigner au motif qu'elles avaient bien connu Véronique et Jean-Louis à Séoul entre 2002 et 2006. Il y a eu aussi des témoignages d'hommes, moins prolixes mais toujours convergents. Devant les jurés de la cour d'assises d'Indre-et-Loire, une nouvelle Véronique Courjault est née.

Oubliée la «paresseuse», l' «effacée», la «timide», la «cloîtrée», la «prostrée». Oubliée la femme incapable de manifester de la tendresse, de prendre au quotidien des décisions pratiques, de s'occuper de ses deux enfants. Où est celle qui végétait à l'ombre d'un mari hyperactif, présentant souvent une apparence «négligée», oubliant de prendre sa contraception? Déposés sous serment les souvenirs des membres de la communauté française de Séoul permettent de brosser de l'accusée un portrait aux antipodes. Le portrait d'une mère modèle, une «maman-poule» qui ne cessait alors de rire et de jouer avec Jules et Nicolas, de surveiller leurs travaux scolaires. L'apparence vestimentaire? «Assez décontractée, jean et tee-shirt, si vous voyez ce que je veux dire» dit une amie-témoin. Le président : «Vous avez dit une tenue «négligée» lors de votre interrogatoire... ». «Négligée» ? Non, c'est pas cela. Je voulais dire sans chichis».

Fin 2002 cette solitaire lie vite connaissance avec d'autres mères françaises expatriées, souvent elles aussi mariées à des ingénieurs et dont les enfants vont dans la même école. Un petit groupe se forme. On s'invite les uns chez les autres. On partage des cafés, des repas. Avec une amie devenue très proche, Véronique visite Séoul, découvre des musées, des magasins, de petits restaurants. A cette époque, elle se porte aussi volontaire bénévole pour s'occuper des enfants dans les nombreuses activités extra-scolaires proposées par l'Ecole française de la capitale coréenne. Elle y déploiera une grande activité, prendra des intitiatives, y rencontrera, quotidiennement ou presque, plusieurs des femmes qui témoignent aujourd'hui.

Peu de temps après son arrivée - nous sommes alors en octobre 2002 - elle choisit de s'inscrire avec son amie à des cours de yoga. Une coïncidence qui permet utilement de compléter le dossier dans la description clinique de syndrome potentiel de déni de grossesse.

Véronique suivra régulièrement des cours de yoga, deux fois par semaine, de début d'octobre 2002 à la fin de juin 2003. Une dizaine de femmes y participent sous la direction d'un professeur coréen. Il n'y a pas de vestiaire individuel et toutes se déshabillent dans une pièce commune. «Deux fois par semaine nous nous retrouvions en petite culotte et soutien-gorge. Cela nous faisait d'ailleurs beaucoup rire... » Le président: «Vous pouviez donc voir durant cette période le ventre de Véronique Courjault ?». L'amie-témoin: «Oui, bien sûr et à aucun moment je ne l'ai vue enceinte». Le président: «Pas de prise de poids ?» «Disons qu'elle avait tendance à faire du yo-yo, sans plus. D'ailleurs j'en fait autant...» Et l'amie-témoin ajoute que Véronique l'a soutenue psychologiquement durant toute cette période où elle savait qu'en France son père allait mourir d'un cancer.

Une autre amie-témoin conserve cet étonnant souvenir: en octobre 2003, lors d'activités communes de rangement, Véronique, habillée d'un jean et d'un tee-shirt, était assise en position de tailleur sur le sol. «Je lui ai fait la remarque qu'elle était particulièrement souple pour pouvoir sans mal prendre une telle position», dit-elle. Véronique accouchera en décembre. «Je me souviens aussi qu'il nous arrivait de manger des fruits de mer, dit le témoin. C'est bien la preuve qu'elle ne pouvait pas être enceinte puisqu'en Corée on déconseille les fruits de mer aux femmes enceintes». Une autre encore, avec force: « Je veux dire que je comprends ce qu'à fait Véronique et que dans certaines circonstances j'aurais parfaitement pu agir de la même façon ».

Tous ces témoignages complétés par ceux des collègues de travail du mari donnent une autre image du couple Courjault. Depuis le premier jour, le président Domergue multiplie les questions sur le «mode de fonctionnement du couple»; ce que de nombreux témoins ne comprennent guère. Pour le dire autrement, il aimerait savoir s'il y avait un «dominant», (aujourd'hui libre sous contrôle judiciaire et qui aurait voulu un famille nombreuse) et une «dominée» aujourd'hui accusée de trois «assassinats».

Et bien non dira un «enquêteur de personnalité». Si Véronique au foyer pouvait apparaître réservée le couple semblait complémentaire. Pas de manifestations publiques de tendresse mais pas de désaccords majeurs non plus. Pas de «domination» ou d' «ascendant» même si Jean-Louis était celui qui prenait les décisions les plus importantes; sauf toutefois celle de partir travailler en Inde que Véronique refusa.

Jean-Louis Courjault? Des amies de sa femme l'avaient surnommé «professeur Tournesol» ou «Géo Trouvetou», un bon vivant bricoleur, toujours un peu dans les nuages.

Et puis un frisson dans la salle d'audience. Il se murmure que l'un des derniers témoins va apporter la preuve que Véronique Courjault avait eu un amant et que cela expliquerait bien évidemment le premier accouchement-infanticide. Jean Sanchez arrive à la barre. Il a 47 ans, connaît le couple depuis le début des années 1980, quand ils étaient étudiants à Tours. C'est même lui qui les a présentés l'un à l'autre.

Le président Domergue: «Vous avez donc avancé l'idée ... d'adultère...» Le témoin: «Non! C'est le policier qui m'a demandé si cela pouvait être une idée à retenir. Surtout compte-tenu du fait que Véronique vivait souvent seule à Villeneuve-la-Comptesse, en Charente. Je sais que ce coin perdu n'est vraiment pas très drôle. Alors quand on a appris l'accouchement et la disparition de 1999 certains ont pensé que ...peut-être elle avait ... connu quelqu'un ...».

Suit une discussion assez confuse d'où il ressort que M. Sanchez accuse le policier rédacteur du procès-verbal d'avoir transformé une simple discussion en questions-réponses qui ne correspondent nullement à ce que lui pensait.

Question centrale: les jurés estimeront-ils, dans moins d'une semaine, qu'il y a ici «déni de grossesse»? Et, si oui, ce dernier fait-il ou non disparaître la «préméditation»? C'est dire toute l'importance des prochaines dépositions des spécialistes de la psyché féminine.

Jean-Yves Nau

Crédit photo: Arrivée de Véronique Courjault au Tribunal cachée à la vue des photographes Reuters

Lire du même auteur: L'accusée devient victime; Véronique Courjault entre les pleurs et les mots; Le terrible récit de Jean-Louis Courjault; Qui est Véronique Courjault?; Le procès des «bébés congelés» sera public; Enceinte, moi? Jamais, de la vie!

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