Pendant la campagne présidentielle américaine, Slate évoquait «Gum Election», ce projet de street-art lancé par un publicitaire américain, qui consiste à voter avec son chewing-gum. Sur des posters figurant les deux candidats à la présidentielle alors en lice, Mitt Romney et Barack Obama, le message suivant expliquait au passant le mode d'emploi: «Qui est le plus nul? Votez avec votre chewing-gum.»
C'est un peu puéril, le débat de fond n'en sort pas grandi, mais c'est tout de même rigolo. Rapidement, l'idée de transposer ce concept à la politique française a jailli dans la tête de jeunes graphistes désoeuvrés d'activistes de rue, qui ont placardé dans Paris des posters de Jean-François Copé et de François Fillon en proposant aux passants d'indiquer leur préférence en couvrant de chewing-gum la tête du candidat le moins aimé...
Copé ou Fillon? Au chewing-gum, Paris fait entendre sa voix. twitter.com/AntoineMaes/st…
— Antoine Maes (@AntoineMaes) Octobre 31, 2012
Et là, surprise... Si les couleurs ne bougent pas (bleu à gauche et rouge à droite, c'est aussi celles du logo de l'UMP), c'est Copé qui a pris la place d'Obama, alors que, plus extrême dans ses prises de position pendant la campagne interne de l'UMP, il a plutôt été comparé à Romney —par l'animatrice télé Roselyne Bachelot de manière explicite ou, plus implicitement, par l'ancien ministre de l'Economie François Baroin.
USA: Bleu=démocrate / Rouge=républicain
France: Bleu=droite / Rouge=gauche
Cela s'explique par le fait que la valeur politique associée aux couleurs est inversée en France: la droite est bleue (couleur qui lui est associée depuis la victoire écrasante des conservateurs et anciens combattants lors des législatives de 1919, la «chambre bleu horizon») et la gauche rouge —comme le PCF et le Front de Gauche— ou rose —pour le PS. A l'inverse, aux Etats-Unis, depuis les années 2000, le bleu est la couleur des Démocrates, le rouge celle des Républicains.
On parle ainsi de «vague bleue» lorsque la droite remporte largement une élection en France, alors qu'un Etat américain ultra-démocrate est désigné comme un blue state. Sur ce poster, on ne compare donc pas Copé à Obama: au contraire, on associe le bleu au candidat jugé le plus droitier des deux, ce qui est conforme à la tradition française.
Tout le monde n'est pas d'accord
Même attribution des couleurs du logo de l'UMP dans les cartes de l'élection interne, dont le résultat définitif n'était toujours pas connu lundi 19 novembre en fin d'après-midi.
Voici tout d'abord la carte du résultat de la présidentielle française (trouvé sur Le Figaro.fr), associant le rose foncé aux départements gagnés par Hollande et le bleu à ceux remportés par Sarkozy.
Et voici la carte, publiée sur le blog iPolitique du journaliste politique de La Croix Laurent de Boissieu, des résultats de l'UMP par fédération (qui ressemble en partie à la précédente...)
Sauf qu'en fait, tout le monde n'est pas d'accord. Sur BFM TV, où la chronique du drame politique nous est narrée avec force détail de coulisses minute par minute, on pense l'inverse: bleu-gauche pour Fillon, rouge-droite pour Copé.
Mais oui, vous les voyez dans le petit coin en bas à droite... Regardez ci-dessous:
«Jean-François Bush» et «François Gore»
Vous êtes perdus? C'est normal. Et même dans la comparaison Copé/Romney/républicains face à Fillon/Obama/démocrates, ça se mélange un peu: il suffit pour cela de remonter dans le temps. En référence au psychodrame de la Floride en 2000, Arrêt sur images parlait ce matin de «Jean-François Bush» et «François Gore» (ce qui laisserait entendre que, dans l'affaire, le lésé sera Fillon, et que Copé s'autoproclamant vainqueur serait une manoeuvre à la Fox News en 2000).
Mais Marc-Philippe Daubresse, un des lieutenants de Copé, a inversé la perspective en comparant les Alpes-Maritimes à la Floride (Etat grâce auquel Bush avait remporté la présidentielle pour quelques centaines de voix, sur fond de suspicions de fraude), faisant donc de Copé le Al Gore français:
«Je vous renvoie au match Bush/Al Gore où il y a eu le même problème en Floride. Eh bien, chez nous, c’est dans les Alpes-Maritimes.»
Avec tous ces mélanges de couleur et de direction, il aurait fallu 300.000 caméléons ambidextres parmi les militants de l'UMP pour comprendre clairement les positionnements de chacun et éviter un scénario embrouillé comme celui de dimanche soir, non?
Heureusement que le PS, lui, reste fidèle au rose... sauf que, en fait, ce n'est pas le cas: comme Bruno Tur l'a écrit en avril sur Slate à propos du bleu en politique, l'usage de cette couleur n'est pas l'exclusivité de la droite. Et le mimétisme avec la campagne d'Obama a pu pousser les socialistes français à transiger avec leur socle de couleur pendant la campagne victorieuse de François Hollande.
Jean-Laurent Cassely et Jean-Marie Pottier