Il est probable que la 100e finale de coupe Davis, que disputent la République tchèque et l’Espagne à Prague, du 16 au 18 novembre, ne laissera pas une trace significative dans les livres d’histoire en raison du «casting» proposé. Privée de Rafael Nadal, blessé, l’Espagne sera représentée par deux joueurs de simple peu charismatiques, David Ferrer et Nicolas Almagro, face à une République tchèque emmenée par Tomas Berdych, trop inconstant et changeant jusqu’ici pour avoir réussi à s’attirer une vraie sympathie du public. A charge donc au scénario de la rencontre de la rendre mémorable…
Comme chaque année, les vainqueurs se verront remettre ce drôle de trophée, dont on ne sait trop s’il est beau ou laid, ce saladier d’argent appelé coupe Davis, l’une des récompenses les plus identifiées et «originales» du sport comme peuvent l’être également la coupe aux grandes oreilles de la Ligue des champions, la si peu affriolante veste verte du Masters de golf ou l’horrible Bouclier de Brennus si cher au monde du rugby.
Posé sur un double socle sur lequel sont inscrits les noms des joueurs et capitaines ayant participé aux finales année après année, ce saladier en argent massif pèse 6,750kg, a une hauteur de 33cm et aurait bien pu se contenter de finir sa vie dans un vaisselier si la compétition auquel il est associé n’avait pas pris son essor depuis sa naissance en 1900.
Ce bol à punch, car c’était de cela dont il s’agissait, a même carrément changé la face du tennis français, car sans coupe Davis, il n’y aurait pas eu de Roland-Garros. En effet, c’est grâce à la première victoire de la France, en 1927, à Philadelphie, grâce à René Lacoste, Henri Cochet, Jean Borotra et Toto Brugnon, connus sous le pseudonyme illustre des Mousquetaires, qu’a été construit le stade de la Porte d’Auteuil, à Paris, afin d’accueillir la finale de 1928.
La coupe Davis est née avec le XXe siècle, en 1900, année où elle s’appelait encore «International Lawn Tennis Challenge Trophy. Presented by Dwight D.F. Davis, 1900». Un jeune homme de bonne famille, né dans le Missouri et étudiant à Harvard, en eut l’idée. Il s’appelait donc Dwight Filley Davis et n’avait que 20 ans. En 1900, les rencontres de tennis par équipes n’existaient pas.
Le tournoi de Wimbledon avait 23 ans, les Championnats Nationaux des Etats-Unis, qui ne s’appelaient pas encore l’US Open 19 et ne concernaient évidemment que quelques rares joueurs locaux. A cette époque, le tennis émergeait à peine outre-Atlantique par le biais des meilleures universités de la cote Est des Etats-Unis à commencer, bien sûr, par celle de Harvard où étudiait Davis.
Lors du printemps 1899, Dwight Davis et trois amis issus comme lui de Harvard, Holcombe Ward, Malcolm Whitman et Beals Wright embarquèrent pour une tournée de tournois en Californie. C’est là-bas, galvanisé par l’âpreté des matches, que Dwight Davis, également inspiré par les joutes en voile de l’America’s Cup, eut l’idée d’inventer la première compétition internationale liée à ce sport. Idéaliste, convaincu que le sport pouvait rapprocher les peuples dans le sillage du Baron Pierre de Coubertin —les premiers Jeux olympiques modernes venaient d’avoir lieu à Athènes en 1896— Davis, qui terminera secrétaire d’état…à la guerre entre 1923 et 1925 sous la présidence de Calvin Coolidge, commanda son trophée avant même que son projet ne soit concrétisé dans les faits.
Dwight Davis. Librairie du Congrès. Non daté.
Il s’adressa à un joaillier de Boston, Shreve, Crump and Low, pour une valeur de 1.000 dollars de l’époque, Davis étant très à l’aise financièrement car issu d’une lignée fortunée. Quelques années plus tard, fort du succès de sa coupe, il regrettera même de ne pas avoir choisi l’or aux dépens de l’argent.
Comme le rapporte le journaliste australien Alan Trengove dans «The Story of the Davis», une lettre datée du 16 janvier 1900 fut envoyée à la LTA, la fédération britannique de tennis, avec ces mots écrits de la main du président de l’United States National Lawn Tennis Association (USNLTA).
Cher Monsieur,
Je fais appel ici à votre attention, en tant que secrétaire général de Fédération britannique, afin de vous soumettre le projet d’une expérimentation qui pourrait accroître l’intérêt pour le tennis. L’un de nos joueurs ici a offert un trophée qui serait une sorte de coupe internationale. (…)
Je souhaiterais tellement que quelques-uns de vos meilleurs joueurs nous visitent l’été prochain. (…) En espérant que cette formule de compétition devienne un succès.
Le 7 mars 1900, la LTA annonça qu’elle acceptait de relever le défi à Boston. En réponse, James Dwight, le président de l’USNLTA, annonça les règles de la compétition qu’il avait édictées en compagnie de son ami, Richard Obey, ancien conseiller du Président des Etats-Unis, Grover Cleveland.
Quatre simples, un double
L’épreuve devait consister en quatre simples et un match de double, tous au meilleur des cinq manches, avec cette clause importante: les deux capitaines des deux équipes auront le droit de conseiller leurs joueurs, «du bord du terrain», lors des changements de côté (à l’époque, les joueurs ne s’asseyaient pas). Cette règle fut adoubée quelques semaines plus tard par les Britanniques qui ajoutèrent l’obligation dans le règlement que ce tournoi soit ouvert à tous les pays.
Il n’empêche. Cette première édition ne concerna que les Etats-Unis et ce qui était appelé alors les Iles Britanniques. Au terme de leur traversée, les Britanniques débarquèrent à New York le 4 août 1900, mais au lieu de rallier Boston, surprirent l’organisation en souhaitant faire un crochet par les chutes du Niagara au Canada. Mais le 8 août, après leur petit circuit touristique, ils étaient bien présents sur les courts en gazon du Longwood Cricket Club de Boston, deuxième club de tennis ayant vu le jour aux Etats-Unis après le New Orleans Tennis Club.
Disputés dans une chaleur suffocante, les deux premiers simples furent joués en même temps sur deux courts adjacents. Les Britanniques avaient envoyé Arthur Gore, Edmund Black et Herbert Barrett pour les représenter tandis que les Etats-Unis s’appuyaient sur Dwight Davis, Malcolm Whitman et Holcombe Ward. Whitman fut le premier vainqueur de l’histoire de la coupe Davis face à Gore (6-1, 6-3, 6-2). Davis corsa ensuite l’addition pour les Britanniques aux dépens de Black (4-6, 6-2, 6-4, 6-4). Le lendemain, Davis et Ward scellèrent le premier succès américain (3-0) aux dépens de Black et Barrett (6-4, 6-4, 6-4).
Pas loin de considérer les Américains encore comme des ploucs, les Britanniques, qui étaient persuadés de s’imposer, se montrèrent alors mauvais joueurs en critiquant le piètre état des courts, et la longueur du gazon, non conforme d’après leurs «canons jardiniers». Barrett écrira: «Le filet était indigne. (…) Les balles n’en parlons pas. Elles étaient horribles. Notre équipe a été clairement désavantagée.» Echaudés, les Britanniques ne relevèrent d’ailleurs pas le défi en 1901, année où il n’y eut donc pas de compétition avant la tenue de la deuxième édition en 1902. Ils venaient tout simplement de découvrir l’avantage du terrain en coupe Davis.
L'avantage du terrain
Avantage non négligeable comme constaté à de nombreuses reprises dans l’histoire de cette épreuve jusqu’à la finale de cette année où les Tchèques ont choisi une surface ultra rapide pour accueillir les spécialistes espagnols de la terre battue.
Au-delà de la passion qu’elle a engendrée depuis 1900 à l’image de la finale de 1991 entre la France et les Etats-Unis à Lyon qui reste l’un des plus grands moments de cette longue saga, la coupe Davis a connu quelques moments délicats.
Entre 1908 et 1912, elle servit de… vase pendant quatre ans à l’épouse de Norman Brookes, l’un des grands joueurs australiens de l’époque à une période où l’Australie triomphait régulièrement. Pendant neuf ans, elle fut conservée dans une banque de Melbourne alors que l’Australie, toujours elle, avait gagné en 1914 et 1939 à la veille des deux interruptions dues aux deux guerres mondiales. En 1959, elle fut carrément mais brièvement volée lors d’un voyage au Pérou. En 1963, elle fut lessivée sous l’orage par une équipe américaine complètement ivre après sa victoire et qui l’avait oubliée dans un jardin. En 2002, à Paris, elle servit même de «verre» à Boris Eltsine, toqué de tennis et ravi de boire de la vodka dans ce bol à punch histoire de célébrer la première victoire russe acquise aux dépens de la France.
Parfois, elle fut au cœur d’enjeux politiques, comme lors de la finale de 1937 pendant laquelle Adolf Hitler appela son compatriote Gottfried von Cramm pour presque lui ordonner de battre l’Américain Donald Budge.
En 1974, elle n’eut pas de vainqueur en raison du refus de l’Inde d’affronter l’Afrique du Sud à l’heure de l’apartheid. En réalité, au cours de ses 99 précédentes éditions, la coupe Davis a peu changé, la formule étant restée la même depuis la première édition à l’exception de la réforme de 1972 qui ne permit plus au vainqueur d’être qualifié automatiquement pour la finale de l’année suivante avec à chaque fois l’avantage du terrain.
Parfois critiquée, elle a toujours bon pied bon œil et reste au cœur des passions. Ce week-end, le public pragois va encore se déchaîner pour elle…
Yannick Cochennec