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Beaujolais nouveau: comment ne plus boire idiot

Temps de lecture : 5 min

Ce rituel bachique et industriel arrive au bout du rouleau. Pourquoi? Comment lui redonner un sens? Un caviste parisien s’y emploie. Voici sa leçon.

Le beaujolais nouveau, en 2005 à Paris.  	REUTERS/Franck Prevel
Le beaujolais nouveau, en 2005 à Paris. REUTERS/Franck Prevel

Jeudi 17 niovembre 2016, le Beaujolais nouveau arrive. A cette occasion, nous republions cet article.

Le Beaujolais nouveau, c’est pour les gogos? On ne peut pas l’exclure.

«La véritable arnaque commence après 12-13 euros le col; 20 euros au restaurant. Mais attention il y d’autres arnaques, pire: à moins de 6 euros mieux vaut fuir!»

Bruno Quenioux est un guide précieux pour qui entend s’enfoncer dans les jungles du beaujolais nouveau. Né il y a cinquante ans aux marches de la Sologne viticole, il est tôt monté à Paris. Il venait de poser le pied dans la capitale quand nous le croisâmes un midi au Rubis de Léon Gouin, rue du Marché-Saint-Honoré. C’était alors un établissement pour espions et journalistes, équidistant du Monde des Italiens et de l’ambassade de Grande-Bretagne. La vie, alors, était assez belle. Nous ne nous connaissions pas. Puis nous finîmes un Corton 1976 signé Michel Mallard.

Par la suite, Quénioux ne chôma guerre. Il lança quelques vignerons ligériens aujourd’hui intouchables, fonda Lafayette Gourmet, fureta dans tous les vignobles. Plus récemment, il prit les vagues du bio et de la dynamie tout en se protégeant des bûchers. C’est un exemple assez rare de caviste humaniste par temps de guerre de religions.

On le retrouve trente ans plus tard dans sa jeune cave Philo Vino, rue Claude-Bernard non loin des tumultes de l’Eglise Saint-Médard. L’homme est d’attaque: il vous reconnaît dans la seconde et se souvient aussitôt du Rubis. Il rentre de chez Jean-Paul Brun, vigneron de Charnay avec qui il a élaboré vingt-cinq hectolitres de beaujolais nouveau, une fête industrialisée qui s’étiole d’année en année. Quenioux fait partie du petit cénacle des professionnels qui disent la cruelle vérité tout en démontrant que rien n’est perdu. Ses explications en huit points.

1. Peut-on encore boire du beaujolais nouveau sans passer pour un has been?

Pour le coup c’était vraiment «mieux avant». Depuis trente ans, la production de masse a conduit à mettre chaque année sur le marché des vins tellement médiocres que les clients amateurs ont progressivement fui ce rendez-vous.

Ce qui durait hier encore plusieurs semaines se réduit bien souvent à quelques jours. C’est injuste pour quelques vignerons: ceux qui font tout pour élaborer des beaujolais nouveaux exceptionnels.

2. Pourquoi toujours le «troisième jeudi de novembre»?

C’est une décision de marketing: une date fixe est plus facile à retenir et elle peut plus facilement devenir une institution dans la mémoire collective.

L’inconvénient, c’est que cette date est par définition aléatoire, pouvant varier de trois semaines et ce sans que l’on tienne compte de la date des vendanges, elle aussi éminemment variable. Ces aléas de calendrier poussent certains producteurs à recourir à des techniques artificielles pour accélérer leur vinification.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a soixante ans, un arrêté imposa que les vins d'appellation d'origine ne puissent être vendus qu'à partir du 15 décembre suivant les vendanges. Ceci irrita les syndicats viticoles qui surent se faire entendre pour commercialiser plus tôt ce qui devint le beaujolais primeur, puis le beaujolais nouveau. Il y a quarante-cinq ans, en 1967, la date fut fixée au 15 novembre. Puis en 1985 on passa au troisième jeudi: il fallait peut-être éviter la proximité du 11 novembre et, surtout, le risque des fermetures du week-end.

3. Comment est-il fabriqué?

Environ 80% des beaujolais nouveaux d’aujourd’hui résultent de techniques qui ont pour but d’accélérer les processus de vinification.

Il s’agit de la «macération à froid», du recours aux «levures artificielles», puis de la «thermovinification à 70°C» en fin de fermentation. Tout ceci a pour but de conférer une apparence de fruité suave au vin. Mais tout ceci a un prix: on ne s’intéresse plus au terroir d’où les raisins sont issus, on fait une croix sur les caractéristiques du climat de l’année qui les a vu naître et mûrir.

J’ajoute le recours à la «co-inoculation» qui consiste à introduire des bactéries qui vont transformer l’acide malique en acide lactique en même temps que des levures transforment le sucre en alcool. Ceci accélère de presque quinze jours la production. Il existe aussi un grand nombre d’enzymes autorisées dans la vinification en général.

A l’opposé de cette industrialisation en cul-de-sac, il existe d’autres vignerons qui font le choix de privilégier le terroir et l’année. Attention! Cela ne fait pas obligatoirement un bon vin mais c’est bien dans cette catégorie et pas dans l’autre que l’on trouvera les vins qui ont fait la grandeur du beaujolais.

4. Pourquoi a-t-il (ou pas) un goût de banane, de fraise, de pamplemousse, de cerise burlat, de griotte...?

C’est simple: ces «goûts» résultent de l’action des levures étrangères aux raisins de cépage gamay que l’on introduit dans les cuves; avec en outre des enzymes artificielles utilisées pour formater, encadrer accélérer le processus de fabrication. Les vins qui en résultent n’exhalent pas les arômes, les goûts, les fragrances du terroir où vivent les vignes.

Ils renferment bien malgré eux des molécules pouvant conférer de pénibles acescences qui vont très vite vous entêter. Et ces molécules résultent précisément de levures, de ces intrants exogènes.

C’en est bien fini de la magie non pas naturelle mais respectueuse. Produire un bon vin, c’est certes déjà beaucoup. Mais produire un vin qui porte l’histoire d’hommes, de femmes, de familles, d’un endroit et d’une année, c’est d’un autre ordre. C’est véritablement de la magie à boire! Ou ce n’est qu’un produit pour gondole.

5. Peut-on imaginer un beaujolais nouveau et bio?

Mais bien sûr! Il en est du beaujolais nouveau comme de tous les vins. Mais bio ne veut pas dire expression. Le nouveau cahier des charges de l’Union européenne qui peut pour la première fois s’appliquer aux futurs vins millésimés 2012 ne fournit aucune garantie quant au respect de l’expression du terroir. Pour ma part j’ai, avec un vigneron, choisi de revenir à la cuvaison dite «bourguignonne».

Il s’agit d’une méthode qui consiste à mettre la vendange dans une cuve sans couvercle puis de fouler (piger) cette vendange au pied. Ceci offre le considérable avantage de mieux dégrader la matière végétale pour chercher et obtenir tout l’éclat du fruit dans le verre. Et c’est précisément, là dans cet éclat, dans cette bouche que se situent toutes les expressions des terroirs.

Le résultat saute aux papilles quand ces papilles ne sont pas affûtées: la brillance et la finesse des arômes rappellent la structure et le dessin des bourgognes rouges de la Côte chalonnaise voisine. Rien de vraiment étonnant: avant que la macération carbonique envahisse le Beaujolais (pour donner des vins fruités mais sans profondeur), cette région vendait ses vins comme des vins de Bourgogne. C’est si vrai que si vous plantez du cépage pinot noir en Beaujolais, votre vin s’appellera «Bourgogne Pinot Noir».

6. Combien de temps pourra-t-on boire le beaujolais nouveau 2012?

Tout dépend de la façon dont il aura été élaboré. Vinifié à la bourguignonne (une pratique aujourd’hui quasi disparue) il peut se garder plusieurs années.

Dans le cas de la macération carbonique avec son cocktail levures, bactéries et autres intrants, l’espérance de vie artificielle dépassera rarement les trois mois. Souvent moins.

7. Comment distinguer le «vrai» beaujolais nouveau du «faux»?

Tous les professionnels font cette distinction. Sinon il faut une certaine expérience.

Mais il faut aussi compter avec d’éventuelles pratiques illégales. Le vin ainsi étiqueté peut ne pas venir du Beaujolais, ou pire, le producteur a pu utiliser des substances interdites. Dès lors comment faire? Votre seule chance est de trouver un revendeur à la fois scrupuleux et talentueux. Il en existe. Mais le plus important, le plus précieux, me semble-t-il est encore de ne jamais oublier ses propres sensations, son «ressenti personnel». C’est vrai pour le beaujolais nouveau comme pour tous les vins. Faites-vous confiance!

Jean-Yves Nau

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