Les plus hautes personnalités mondiales de la lutte contre le dopage se rassemblaient ce lundi 12 novembre dans les locaux de l’Assemblée nationale à Paris pour une grande conférence internationale sur la coopération entre les acteurs de la lutte antidopage, au premier rang desquels l’Agence mondiale antidopage (AMA), et les entreprises de l’industrie pharmaceutique, qui fabriquent les produits dont l’usage est détourné à des fins de manipulation des résultats sportifs.
Que la France soit l’hôte d’une telle conférence n’est pas anodin. C’est à la suite du plus grand scandale de dopage sur le Tour de France, l’affaire Festina en 1998, que le grand public et les autorités ont pris conscience de l’ampleur et de la sophistication du dopage dans le cyclisme. Quelques mois plus tard, l’AMA voyait le jour.
Aujourd’hui, la conférence intervient un mois à peine après la décision de l’Union cycliste internationale (UCI) de retirer à Lance Armstrong ses sept titres de vainqueur de la Grande boucle après la mise au jour de ce que l’agence antidopage américaine qualifie de «programme de dopage le plus perfectionné, le plus professionnel et le plus efficace jamais vu dans le sport».
Difficile de dire si le dopage est plus ou moins présent dans le sport aujourd’hui qu’il y a treize ans, et si les autorités sportives, tous sports et organisateurs d’événements confondus, ne jouent pas sur les deux tableaux. Mais si une chose a évolué depuis, c’est bien la prise de conscience de l’ampleur du problème. Il suffit pour s’en rendre compte de lire la liste des personnalités qui se sont déplacées. Outre la ministre des Sports française, Valérie Fourneyron, la secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, le directeur général adjoint de l’Unesco ou encore le président du CIO, Jacques Rogge, sont intervenus.
Les dopés toujours en avance sur les gendarmes?
Les grands thèmes actuels de la lutte antidopage ont été abordés: les liens entre ceux qui développent et fournissent les produits dopants et d’autres activités illégales comme les paris truqués ou le trafic de drogues récréatives –Jacques Rogge parle de «cartels du dopage»–, le développement du dopage dans le sport amateur et chez les jeunes ou encore le sentiment que le dopage est devenu plus acceptable qu’avant dans la société et que la règle du «pas vu pas pris» semble primer un peu partout.
Mais le thème central de la conférence reflète une récente évolution pleine de promesses qui touche au nerf de la guerre: la course à la connaissance scientifique. Avec au centre des débats, la volonté de mettre fin à l’idée répandue selon laquelle les dopés seront toujours en avance sur les gendarmes en intégrant les laboratoires, qui connaissent mieux que quiconque les produits en question puisqu’ils les fabriquent (dans un but tout à fait légitime et médical).
En 2004, des rumeurs circulaient sur l’utilisation d’un produit qui n’était encore qu’en phase d’essais cliniques, la Cera (pour Continuous erythropoietin receptor activator), commercialisée sous le nom de Mircera et également appelée EPO de troisième génération, comme dopant sur le Tour de France. L’affaire a mis les autorités anti-dopage devant un véritable casse-tête: comment déceler dans le corps des athlètes un produit dont on ne connaît même pas la composition ni les effets exacts?
L’AMA a alors décidé contacter le fabricant du produit, le laboratoire Roche, pour lui fait part des rumeurs et lui demander sa coopération. Celui-ci a accepté de fournir les détails techniques à l’AMA et au Laboratoire suisse d’analyse du dopage et même de participer à la mise au point d’un test de détection efficace. Plusieurs coureurs, dont l’Italien Riccardo Ricco, seront testés positifs à la Cera sur le Tour 2008, et six cas seront détectés quelques semaines plus tard aux JO de Pékin.
Partage des informations confidentielles
Le délai de quatre ans entre les rumeurs d’utilisation de la Cera sur le Tour et les premiers coureurs attrapés montre que même avec l’aide des laboratoires, les tricheurs gardent bien souvent un temps d’avance sur les gendarmes.
C’est là que les laboratoires ont un rôle déterminant à jouer: identifier leurs médicaments en cours de développement qui ont un potentiel dopant. En juillet dernier, l’AMA a lancé avec les représentants de l’industrie pharmaceutique l’opération «2 fields 1 goal» créant un cadre qui encourage la collaboration des laboratoires dans l’identification de produits pouvant être détournés afin d’améliorer la performance sportive.
Mais une fois les molécules identifiées, le plus dur reste à faire: permettre aux agences antidopage d’accéder plus rapidement et plus efficacement aux informations sur les médicaments, avant même leur commercialisation. Problème, les informations concernant les médicaments en cours de développement sont hautement confidentielles et jalousement gardées secrètes par les laboratoires.
Si certains laboratoires ont commencé à envoyer des informations confidentielles sur leurs médicaments en cours de développement potentiellement dopants à l’AMA, la pratique n’est pas encore monnaie courante. Mais les bénéfices en termes d’image d’être associé à la défense des valeurs positives du sport sera peut-être le déclic qui fera basculer définitivement les laboratoires pharmaceutiques, qui souffrent dans beaucoup de pays comme en France d’une image négative, dans la participation active à la lutte contre le dopage.
Le laboratoire britannique GlaxoSmithKline a mené une campagne nationale d’affichage et de spots télévisés au Royaume-Uni cet été pour promouvoir son rôle central dans le contrôle anti-dopage lors des JO de Londres. Le laboratoire y était responsable des tests en collaboration avec l’université de King’s College et le CIO, une première pour une entreprise privée dans l’histoire olympique. Résultat: 107 concurrents ont été déclarés inadmissibles au cours des contrôles pré-compétition, et 5.132 tests ont été effectués pendant les deux semaines de Jeux. Un record.
Grégoire Fleurot