Une course de vitesse avec 200 millions de personnes d'inscrits, c'est forcément un peu impressionnant. Samedi 13 juin, à 6h01, heure française, Facebook ouvrira à la concurrence mondiale toutes ses URL. N’importe qui pourra réserver gratuitement une adresse du type www.facebook.com/votrenom. Mais attention, cette libéralisation du secteur de l’URL laissera de nombreux internautes à la porte: les premiers arrivés seront les premiers servis, et plus moyen de se retourner après. Dit comme ça, ça fait peur. Mais examinons froidement la situation pour voir s’il faut vraiment mettre son réveil samedi 13 juin.
A quoi sert-il d’avoir une adresse en www.facebook.com/votrenom qui renvoie vers son profil Facebook? La première réponse, la plus évidente, se trouve dans le nom du concept: les Américains ne tournent pas autour du pot et appellent cela les «vanity URL». Popularisé par Twitter et ses adresses épurées comme une carte de visite (type twitter.com/johanhufnagel), les «vanity URL» sont une forme de nouveau snobisme. En somme, j’aime que mon costume et mon brushing soient propres, pourquoi mon URL qui me définit en tant qu’être humain connecté ne le serait pas? Facebook et ses séries de chiffres pénibles (exemple: www.facebook.com/profile.php?id=538998528) devait changer de méthode pour plaire à ses internautes narcissiques.
Plus prosaïquement, les nouvelles adresses Facebook vont être une machine de guerre pour Google. Le moteur de recherche fait remonter les résultats plus ou moins haut en fonction du contenu de la page Internet mais aussi en fonction des mots contenus dans l’URL. Facebook espère que ses internautes choisiront des URL parfaites (facebook.com/prénomnom) afin de se positionner très haut sur le marché porteur de la recherche nominative: qui n’a jamais tapé, par exemple, le nom de son collègue sur Google pour en savoir plus sur son passé douteux? Sans compter les recruteurs pour qui Google est désormais un passage obligé pour en savoir plus sur les profils des candidats. Facebook encourage donc ses utilisateurs à ne pas prendre un pseudo dans leur URL, mais bien leur vrai nom.
Autre usage possible d’une URL propre: se la jouer sur sa carte de visite. La «vanity URL» s’y impose doucement au côté du numéro de téléphone et du mail. Dans la nouvelle économie, il devient un minimum d’avoir son adresse Twitter, YouTube, Flickr et LinkedIn sur sa carte de visite. Dans ces conditions, rien n’est plus beau que de décliner sa marque personnelle — son propre nom — sur tous les supports. Du genre twitter.com/johanhufnagel, youtube.com/johanhufnagel, linkedin.com/johanhufnagel… Reste à déposer cette marque en premier sur les différents sites permettant la «vanity».
Ce sera tout l’enjeu du samedi 13 juin. En fait, même si votre ego est resté bloqué sur votre belle voiture et que le concept de «vanity URL» vous échappe, un conseil tout de même: mettez le réveil à 6h. Car il suffit qu’un homonyme se lève plus tôt que vous ou qu’un ami vous veuille du mal pour perdre à jamais l’usage de votre adresse Facebook. Le site communautaire offre une concession à vie sur les URL, et il sera certainement très compliqué de récupérer une adresse volée, le jour où vous vous réveillerez en rêvant d’une URL à votre nom.
D’un autre côté, il faudra avoir bu un bon café avant pour ne pas réserver n’importe quoi. «Ça pourra finir comme ces tatouages qu’on regrette à vie si vous prenez une adresse comme «mileycyrusfanforerever»», plaisante le blog Techcrunch. Eh oui, car plus possible ensuite de revenir en arrière: un profil Facebook est liée à une et une seule adresse.
Sylvain Lapoix, journaliste chez Marianne2.fr, est un peu flippé. Deux jours avant la grande libéralisation des URL, un autre profil à son nom a été créé. Aucune photo, aucun ami, le profil est quasi vide. Visiblement, quelqu’un lui en veut et souhaite lui subtiliser l’URL en cliquant le premier à 6h01 sur le formulaire d’inscription. Dans mon cas personnel, c’est réglé. Dans sa grande magnanimité, Facebook m’a réservé mon nom deux jours avant tout le monde. Justification de ce privilège? Aucun. A priori la CIA ne va pas essayer de me subtiliser l'URL. Le site américain tente juste d’acheter les journalistes. Avant, on offrait des voyages de presse, maintenant on arrose les journalistes à coup d’URL. Quelques mois avant les happy few des médias, quelques grandes personnalités comme Barack Obama ou Nicolas Sarkozy avaient eu le droit à leur adresse personnalisée en exclusivité. L’URL, cette nouvelle aristocratie.
Les problèmes qui vont se poser à Facebook seront nombreux. Premièrement, les serveurs risquent d’exploser à 6h01 devant le nombre de requêtes d’internautes voulant réserver leur URL. Deuxièmement, le système d’URL à vie devrait causer du souci pour les femmes mariées qui souhaitent changer de nom. Subtilité de la vie numérique: à moins d'entreprendre des démarches compliquées, il faudra très certainement garder son URL de jeune fille. Enfin, et surtout, Facebook va devoir gérer le problème du cyber-squatting des marques, éternelle plaie du web.
Pour éviter la catastrophe, le site américain permet aux marques de pré-réserver leur adresse. «Le risque de squat existe, bien sûr, estime Cédric Manara, professeur de droit intellectuel à l’EDHEC Business School. Mais il porte moins à conséquence que pour les noms de domaine. Pourquoi? Parce que les noms de domaine relèvent de l'internet ouvert, alors que Facebook est une plateforme privée, fermée, et soumise à conditions générales d'utilisation par laquelle le maître des lieux se donne les pleins pouvoirs ou presque».
Le pouvoir discrétionnaire de Facebook sur son propre site devrait permettre de nettoyer progressivement le réseau et rendre les adresses squattées aux entreprises. L’enjeu est tout sauf minime. Une marque comme Apple n'est pas propriétaire de son URL sur trois réseaux majeurs: Myspace où un DJ lui a subtilisé la place, Twitter où un squatteur quasi muet s’est installé et YouTube où un utilisateur fait mine d’être «Apple, Inc.». Etes-vous prêt vous aussi à vous faire cyber-squatter pour faire une grasse mat’ samedi?
Vincent Glad (ou plutôt www.facebook.com/vincentglad)
(photo: Reuters)