Un tourisme vantant les grands espaces vierges... et l'exploitation des sables bitumineux, qui implique, notamment, de raser la forêt boréale.
Tel est le Canada, tout à la fois amoureux de la nature et hautement dépendant de l'exploitation de ses ressources naturelles. Une nation empêtrée dans des contradictions qui l'ont amenée à dénoncer, en décembre 2011, le protocole de Kyoto –sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre– auquel elle avait pourtant adhéré.
Alain Deneault, lui, a tranché:
«Il faut en finir avec la rhétorique d'agence de voyages: le Canada n'est pas un enfant de choeur.»
Ce docteur en philosophie, enseignant à l'Université de Montréal est le co-auteur, avec le Français Willian Sacher de Paradis sous terre, aux éditions Rue de l'échiquier (France) et Ecosociété (Canada). Un livre en forme de réquisitoire qui n'est pas une première pour les deux compères: ils avaient déjà publié en 2008, avec Delphine Abadie, le livre Noir Canada, pillage, corruption et criminalité en Afrique, finalement retiré des librairies au terme d'un long conflit avec la société minière Barrick Gold Corporation qui s'estimait diffamée.
Mais cette fois-ci, ce ne sont pas les abus de l'industrie minière dans les pays pauves que les auteurs condamnent. C'est le rôle du Canada dans l'industrie minière internationale qu'ils se proposent de mettre en exergue. Un rôle similaire, expliquent-ils, à celui que la Suisse joue dans dans la finance internationale.
Un aimant à industrie minière
Un thème passionnant, et souvent méconnu, mais auquel le ton de cet ouvrage, malheureusement, porte préjudice: à trop être polémiques, les auteurs oublient d'être pédagogues. Certes, leur raisonnement est toujours étayé, mais le lecteur non spécialiste s'y trouve rapidement perdu. Et vite fatigué par le style par trop virulent. Dommage, car le sujet n'a rien d'anecdotique. Au contraire.
Le Canada n'est pas en effet simplement un grand pays minier. Bien au-delà de ses propres ressources, il attire comme un aimant l'industrie minière internationale: 75% de l'industrie minière mondiale est localisée au Canada, et 60% de sociétés minières côtées en Bourse le sont à la Bourse de Toronto.
Qu'elles soient américaines, européennes, ou sud-américaines, toutes, loin s'en faut, ne vont pas au Canada pour y extraire or, pétrole, ou métal: plus de 1.500 sociétés sont ainsi enregistrées dans l'Ontario, qui ne compte que 43 mines. Non: l'essentiel des entreprises enregistrées là-bas exploitent des mines autre part dans le monde, qu'il s'agisse du Mali, du Chili ou de la Papouasie Nouvelle Guinée. Utilisant donc le Canada comme «base».
Las capitaux affluent
Car le Canada est devenu, estiment les auteurs, «un paradis minier». Ici, les capitaux affluent vers le secteur, notamment via la Bourse de Toronto. Non seulement les investisseurs du pays apprécient les mines, mais le cadre fiscal est particulièrement favorable. Telles les actions «accréditives» qui permettent de transférer des avantages fiscaux non utilisés par les sociétés minières elles-mêmes vers leurs investisseurs. Les règles de transparence sont aussi plus légères qu'ailleurs, n'obligeant à dévoiler des informations que lorsqu'elles peuvent avoir une influence sur le cours de l'action. La Bourse de Toronto est, autrement dit, un lieu de financement idéal pour ce secteur.
Mais ce n'est pas tout: les entreprises canadiennes peuvent compter sur la force du pays en matière minière pour qu'il «exporte» tout ou partie de son code minier dans d'autres régions du monde. Or ce dernier est très favorable aux sociétés extractives: «il ne faut pas oublier, expliquent les auteurs, que le Canada est une ancienne colonie.» Tout a donc été fait pour faciliter l'exploitation de ses ressources naturelles par le colonisateur.
Enfin, le cadre juridique canadien rend, si l'on en croit les auteurs, difficile de poursuive une société canadienne pour ses actions à l'étranger. Or l'activité minière est souvent source de contentieux avec les populations locales.
Un problème international
Bien sûr, opinion publique et partis politiques canadiennes tentent régulièrement de mieux encadrer l'activité du secteur minier. Mais l'industrie est tellement puissante que ces réformes se retrouvent souvent vidées de leur contenu, expliquent les auteurs.
Bien sûr aussi, les exigences de transparence à l'égard des sociétés cotées s'intensifient partout dans le monde, et notamment chez le voisin américain avec sa loi Dodd-Frank.
«Mais l'existence du Canada crée un effet de dumping dans l'industrie minière (...) C'est pourquoi le rôle du Canada en matière minière n'est pas un problème canado-canadien, mais bien international.»
Une conclusion bien dérangeante qui mériterait d'être étayée par d'autres recherches et ouvrages sur le sujet.
Catherine Bernard