Louis Gallois préfère parler de «choc de confiance» que de «choc de compétitivité». Ce, pour essayer de désamorcer un peu la polémique née autour de son rapport, avant même sa remise au Premier ministre ce lundi 5 novembre. Mais surtout pour élargir l’horizon et s’adresser non seulement au gouvernement mais aux partenaires sociaux.
C’est l’aspect ignoré des fuites dans la presse et la polémique: l’objectif de Louis Gallois est loin de se résumer au simple transfert de cotisations sociales pour alléger les coûts du travail et rendre à l’industrie une partie de sa compétitivité perdue.
Ce chapitre existe: l’ancien patron d’EADS préconise bien un transfert des 30 milliards d’euros «sur un an ou deux, pas plus» du financement des prestations familiales sur la CGG, les TVA réduites et diverses taxes. Allègement «incontournable», dit Gallois.
Le pacte social
Mais à ses yeux, l’effort doit être beaucoup plus large, national, il concerne l’Etat, les entreprises, toute la population, les chercheurs et les salariés. Gallois parle d’un «pacte social», clairement à l’allemande, dans lequel les partenaires sociaux s’engageraient, comme outre-Rhin, à une modération salariale pour plusieurs années. En échange, les salariés obtiendraient des représentants au conseil d’administration des groupes de plus de 5.000 personnes (1/3 des sièges des conseils).
Ce volet ignoré risque de déplaire lui aussi à la gauche traditionnelle et aux syndicats. On l’imagine bien: la publication du rapport va renforcer la polémique plutôt que de l’apaiser! Après le débat sur la hausse de la CSG (car elle risque de peser sur la consommation) voilà une nouvelle polémique sur le pouvoir d’achat! Gallois dit non à sa hausse dans l’industrie, au nom de sa sauvegarde.
Et, puisqu’on en est aux propositions qui vont faire mal à la gauche, Louis Gallois demande aussi qu’après 2013 le gouvernement choisisse la baisse des dépenses publiques pour réduire les déficits plutôt que les hausses d’impôts. L’inverse en somme de ce qui a été fait dans le budget de l’an prochain...
Les entreprises ne gagnent pas assez
Et ce n’est pas fini. A la racine de la perte de compétitivité, il y a les marges trop faibles des entreprises industrielles, dit Gallois. Il tranche le débat sur les causes du mal: pour la droite ce sont les coûts trop lourds, pour la gauche ce sont les facteurs hors-coût, la recherche insuffisante, les produits trop «moyenne gamme», la mauvaise stratégie des patrons comme ceux de Peugeot, etc.
Le patron d’EADS dit son camp: les marges faibles, c’est-à-dire que les entreprises ne gagnent pas assez d’argent en France! Et c’est ce manque de moyens qui limite leurs investissements de recherche et qui les bloquent dans leur montée en gamme. Voilà la racine selon Gallois qui ne donne pas raison aux «hors-coût» de la gauche.
Ce diagnostic amène la solution. Les investissements sont la clé, écrit l’auteur, l’industrie française doit en faire sa priorité absolue. L’autre clé est la simplification de la vie des entreprises, Gallois propose la nomination d’un commissaire à la simplification. Beaucoup de dispositifs doivent être revus avec cette consigne: le crédit impôt recherche, les lois Dutreil sur la transmission, les contributions territoriales, les incitations à l’emploi des jeunes et à l’investissement des PME...
Pour défendre les entreprises françaises, le seuil d’obligation de lancer une OPA doit être abaissé de 30% à 20%. L’intelligence économique doit être renforcée. Le Conseil d’analyse stratégique transformé en Commissariat à la prospective.
Comment payer
Les 30 milliards de transfert dont il est question, sont «un ballon d’oxygène», pas plus, souligne Gallois. Cette somme ne représente que la moitié de la perte de marge de entreprises depuis 2001. Le gouvernement a déjà dit qu’il ne suivra pas l’auteur sur ce terrain et pourtant même s’il le faisait il n’en sera pas quitte. La moitié du chemin! C’est dire la hauteur du handicap qui frappe l’industrie nationale. Encore un point que la gauche tradi n’appréciera pas.
L’allègement de charges devrait concerner les salaires jusqu’à 3,5 smic, dit Gallois pour favoriser l’industrie. C’est l’exact opposé de ce que souhaite Pierre Moscovici qui ne veut alléger que les bas salaires, car c’est la baisse la plus efficace en termes d’emplois. Mais Gallois vise lui à redresser l’industrie, un objectif différent.
Comment le payer? Par 3 à 5 milliards de rehaussement des TVA réduites (comme les restaurateurs), 4 à 6 milliards de hausses de taxes écologiques ou immobilières, et par... 22 milliards de hausse de la CSG. Précisément ce dont le gouvernement ne veut pas.
Que faire d’autre? Le rapport donne une liste de propositions. On en cite dix.
- 1. relancer les recherches sur les méthodes d’extraction des gaz de schiste (et non pas l’extraction elle-même comme les fuites l’ont laissé croire). Gallois demande au passage que le principe de précaution serve à stimuler les recherches et non pas les tuer! Flèche pour les écolos cette fois-ci...
- 2. faire passer un Small Business Act pour obliger les administrations à acheter aux PMI.
- 3. faire grossir des entreprises moyennes par une politique des filières.
- 4. doubler la formation en alternance.
- 5. aider au financement de l’industrie, volet qualifié de «complément indispensable au choc». Pistes évoquées: stabiliser la fiscalité sur l’assurance-vie, les PEA, le capital-risque.
- 6. innovation: Gallois prône de développer les «technologies génériques», celles qui irriguent l’industrie. Ce sont le numérique, les nanos, le bio, le photovoltaïque et les nouveaux matériaux. Cette proposition permet de sortir clairement des antiques débats sur la «politique industrielle»: il ne faut pas une politique sectorielle (aider l’automobile ou les télécoms) mais une politique de soutien aux technologies génériques.
- 7. favoriser la transition énergétique mais en respectant nos forces dans le nucléaire.
- 8. L’Europe: pousser les Grands programmes, réviser les principes de la politique de la concurrence et demander une réciprocité dans les échanges. Ce volet plaira, lui, à la gauche qui a les mêmes revendications.
- 9. l’euro ne doit pas être trop fort. On ne sera pas étonné: l’ancien patron d’EADS avait fait son cheval de bataille contre Boeing de la parité euro/dollar.
- 10 enfin «le pacte social», pas de surcoût salarial comme a on vu, l’entrée des salariés au conseil d’administration et la sécurisation des parcours professionnels, un sujet connu, en discussions entre le Medef et les syndicats.
On le comprend, Louis Gallois ne tergiverse pas. Il y a urgence, l’industrie française est prise dans «un étau» entre l’Allemagne et la Chine, elle a perdu beaucoup de terrain, la politique doit radicalement changer. Les solutions proposées doivent être d’ampleur, concerner tous les volets et viser la simplicité.
Eric Le Boucher