Le prochain qui s’attellera à la biographie de Nicolas Sarkozy disposera sans nul doute de la documentation la plus volumineuse de la Vème République. Jour après jour, heure par heure, les actes et les mots de l’ancien président, tout au long de son quinquennat et particulièrement lors de sa campagne tempétueuse de 2012, continuent d’être révélés dans leurs moindres détails par une armada de conseillers, journalistes et observateurs de tout poil.
Près de six mois après la défaite du président sortant contre François Hollande, l’engouement éditorial ne se dément pas, avec trois nouveaux livres sortis en octobre, très différent dans leur style et leur temporalité: Scènes de la vie quotidienne à l'Elysée (Plon) de Camille Pascal, conseiller chargé des médias et des discours à l'Elysée en 2011-2012, La Nuit et le Jour (Plon) d'Henri Guaino, plume en chef du chef de l'Etat, et Ca m'emmerde ce truc (Grasset), des journalistes Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne.
Du dernier grand remaniement de l'automne 2010 au soir de la défaite, voici quelques instantanés, importants ou dérisoires, extraits de ces livres. Et dont le premier rôle, flamboyant, colérique, émotif, impatient, déterminé, déboussolé, apparaît toujours et encore comme un homme insaisissable et impulsif, joueur et passionné: un président que la France adore(ait) détester.
1. Exit Borloo (novembre 2010)
Omniprésent au cours du quinquennat, le spécialiste des études d'opinion Patrick Buisson, qui jouera plus tard un grand rôle dans la campagne, auditionne Jean-Louis Borloo avec Jean-Michel Goudard, conseiller en com' et «G» de l’agence de communication Euro RSCG, quand le président envisage un changement de Premier ministre en novembre 2010. Selon Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne, il rendra un avis final négatif:
«Jean-Louis Borloo est l’élu de Valenciennes et il n’est même pas perçu comme le défenseur des victimes de la mondialisation.»
2. Quand «Bianca» décroche les petits candidats (octobre 2011—février 2012)
C'est la confirmation officielle d'un secret de polichinelle: le rôle de l'Elysée dans le retrait de petits candidats de droite. «Après les sénatoriales, Olivier reçut pour mission de "décrocher", les uns à la suite des autres, les candidats déclarés ou putatifs à l'élection présidentielle, mais là c'était moins drôle», écrit Camille Pascal après avoir narré comment Olivier Biancarelli, le conseiller parlementaire de l'Elysée, a géré les listes pour les sénatoriales à la rentrée 2011. Jean-Louis Borloo, Christine Boutin, Hervé Morin et Frédéric Nihous se retireront successivement de la course entre le 2 octobre et le 22 février, évitant au président-candidat de perdre des points précieux au premier tour.
3. PSA: «repousser» ou «éviter»? (novembre 2011)
La scène n'est pas datée dans le livre de Camille Pascal, mais le conseiller de l'Elysée la situe la veille d'un discours de Sarkozy pour l'anniversaire du FSI, soit le 16 novembre 2011. Le président apprend de son cabinet l'annonce «imminente» d'un plan social chez PSA «que les ministères [...] avaient très largement sous-estimé ou à tout le moins gravement édulcoré».
Il tente alors en vain de joindre Philippe Varin, le patron du constructeur automobile, retenu à un dîner-débat, et n'arrive qu'à joindre sa secrétaire, auquel il signifie ironiquement et très poliment sa colère («Vous êtes encore à votre bureau à une heure où la majorité des Français sont déjà chez eux. [...] M. Varin n'est pas disponible pour parler au président de la République, cela tombe mal mais c'est ainsi. [...] Pour moi, madame, vous êtes ce soir la personne la plus importante du groupe»). Plus tard, il passe un savon au dirigeant, lui expliquant qu'il considère son plan comme inacceptable pour les Français, «ces gens qui achètent vos voitures, ou, plus exactement, qui achetaient vos voitures».
Le lendemain, Philippe Varin annonce sur RTL qu'il n'y aura pas de plan social, imité par Sarkozy, qui le reçoit à l'Elysée dans l'après-midi. Le 25 octobre dernier, François Fillon a affirmé lors de son débat avec Jean-François Copé que le président avait demandé que le plan social soit «repoussé», avant de préciser le lendemain qu'il voulait même qu'il soit «évité». PSA a finalement annoncé le 12 juillet 8.000 suppressions d'emplois en France.
4. «Expert-comptable» contre «gestapiste»
A l'orée de la campagne, la presse affirme que René Ricol, président d’honneur de l’ordre des experts-comptables et commissaire général à l’investissement pendant le quinquennat, est envisagé pour la diriger —le rôle sera finalement occupé par Guillaume Lambert, le chef de cabinet de l'Elysée. Raillerie de Buisson, selon les auteurs de Ca m'emmerde ce truc: «On ne va quand même pas faire une campagne d’expert-comptable.» Réplique de Ricol: «On ne va pas faire la campagne d’un gestapiste.» La ligne de fracture de la campagne à venir est (caricaturalement) plantée.
5. «Ne me faites pas chier, Emmanuelle» (février 2012)
Quelques jours avant d'officialiser son entrée en lice, le président amorce la mue dans la peau du candidat par une grande interview au Figaro Magazine où il propose deux référendums, l'un sur les droits et obligations des chômeurs, l’autre sur l’immigration pour que la juridiction administrative soit seule compétente en la matière.
Cette dernière perspective alarme sa conseillère Emmanuelle Mignon, boîte à idées de la campagne 2007, inquiète des risques juridiques. Réplique du président, selon Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne:
«Ne me faites pas chier Emmanuelle, c’est une manière de dire qu’il y aura un référendum sur l’immigration.»
6. «Bayonne a créé un climat plus dur» (1er mars 2012)
Sarkozy est officiellement en campagne depuis quinze jours quand une visite à Bayonne tourne mal: le président-candidat est hué par des militants indépendentistes. Un épisode qui aura une influence sur le ton de la campagne, selon Henri Guaino:
«En 2007, nous avions théorisé la quête du silence dans les réunions publiques. [...] En 2012, il s'est davantage laissé porté et parfois emporter par l'enthousiasme des militants et des sympathisants. Ca a donné un ton différent qui, à la télévision, avait l'air plus agressif, plus violent. C'était peut-être à cause de qui s'était passé à Bayonne. Ca a créé un climat plus dur.»
7. «Je n'y arriverai jamais, jamais, jamais» (19 mars 2012)
Au petit matin de ce lundi de printemps, un homme casqué à moto a abattu trois enfants et un parent d'élève devant l'école juive Ozar-Hatorah, à Toulouse. A 15h57, une alerte AFP annonce, de source proche du dossier, que l'arme utilisée est la même que celle qui a servi à assassiner trois parachutistes dans la Ville rose et à Montauban, les 11 et 15 mars.
A l'Elysée, tous les participants à la réunion rituelle de l'après-midi sont au courant. Tous, sauf Nicolas Sarkozy qui, quand il l'apprend, entre dans une colère glacée narrée par Camille Pascal:
«Je n'y arriverai jamais, jamais, jamais. Je suis trahi par les miens et jusque dans ma propre maison. [...] La France est peut-être victime d'une attaque terroriste et vous, la seule chose que vous trouvez à faire, c'est m'attendre au milieu des dorures de l'Elysée pour m'annoncer que l'AFP a été informée avant moi des avancées de l'enquête? [...]
Vous savez ce que vous êtes devenus? Des notables, oui, des notables égoïstes et incapables. Alors, je vais vous dire une chose, je n'ai pas besoin de vous. Non, vous pouvez rentrer chez vous, je vais me débrouiller tout seul.»
8. «Les petits blancs» (après le 22 avril)
Pour la droite, c'est la divine surprise du premier tour: certes devancé par François Hollande, Nicolas Sarkozy réalise cependant un score correct (plus de 26%) et dispose d'importantes réserves de voix avec les 18% de Marine Le Pen. Du pain bénit pour Patrick Buisson, qui développe dans les jours qui suivent sa stratégie de séduction du «prolétariat du tertiaire», selon Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne:
«Il faut réunir le bourgeois de Versailles et la technicienne de surface des supermarchés. Les ménages en difficulté dans les territoires rurbains et ruraux ont le sentiment d’être abandonnés, c’est là que se situe la vraie misère, pas en Seine-Saint-Denis, où les subventions de l’Etat sont nombreuses et l’économie souterraine florissante. Ces classes moyennes ne sont plus définies par le revenu, mais par une appartenance ethnico-culturelle: c’est ce qu’on appelle le petit Blanc.»
9. Le dossier jaune de DPDA (26 avril 2012)
Quatre jours après le premier tour, Nicolas Sarkozy succède à François Hollande dans Des paroles et des actes sur France 2. Sur la table, un dossier jaune qui contient une note de la DCRI: le verbatim d’une réunion publique à laquelle participait Tariq Ramadan, le 11 mars à Lyon.
Elle doit fournir devant les caméras de la télévision publique la preuve que ce dernier s’est mobilisé pour Hollande et pour faire perdre Sarkozy. Car depuis que l’équipe du candidat UMP a utilisé un article de presse à la fiabilité douteuse pour accuser Ramadan de faire campagne pour le PS, la polémique n’a pas désenflé.
Mais l’équipe de campagne hésite sur l’attitude à adopter: faut-il sortir publiquement un document destiné à rester confidentiel? Utiliser à des fins électorales un document des services de l’Etat? Finalement, rapportent les auteurs de Ca m'emmerde ce truc, il est décidé que Sarkozy évoquera la note dès que la question lui sera posée, en se contentant de menacer d’en révéler le contenu, sur le mode «Retenez-moi ou je fais un malheur»...
Mais lorsque la question lui est posée, il n’en fera rien. Le soir même, le contenu de la note sera publié sur le site Atlantico, dont le directeur de la publication a travaillé sur LCI avec Buisson, dont il est un proche selon les auteurs.
10. «En province, on va trouver cela mal élevé» (2 mai 2012)
Lors du grand débat télévisé qui oppose les deux finalistes dans l’entre-deux-tours (et auquel Nicolas Sarkozy est arrivé en prononçant la phrase qui donne son titre au livre de Ludovic Vigogne et Eric Mandonnet), «le premier cercle» suit l’affrontement depuis une loge située dans le studio de la Plaine Saint-Denis.
Le débat tourne à l’avantage d’Hollande, plus offensif que son adversaire. Carla Bruni s’en inquiète auprès de Nathalie Kosciusko-Morizet, la porte-parole du président, laquelle lui lance:
«Hollande peut agacer en lui coupant sans cesse la parole. En province, on va trouver cela mal élevé.»
11. «Il ne faudrait pas que l'écart se resserre encore» (6 mai 2012)
«La partie est jouée, je l'ai perdue, mais maintenant il ne faut pas que l'écart se resserre encore car la pression sur moi deviendrait beaucoup trop forte. Beaucoup trop.» C'est la réaction étonnante, selon Camille Pascal, de Nicolas Sarkozy, au soir du 6 mai, quand il apprend que sa défaite ne sera pas infâmante, avec un score dépassant les 48%.
La suite était déjà en grande partie connue: dans le Salon vert de l'Elysée, le chef de l'Etat présente à sa garde rapprochée son discours de retrait de la vie politique. Cris d'orfraie et réplique du candidat défait:
«Très bien, alors il y a un autre cas de figure, être candidat aux législatives en juin et à la présidence de l'UMP en novembre. Qui sait, peut-être que je serai élu... Je vous rassure, ce n'est pas le cas de figure que j'ai choisi».
A la Mutualité, il prononcera finalement un discours moins définitif, globalement salué par la presse. Commentaire d'Henri Guaino:
«A cet instant, pour les Français, il avait cessé d'être le souverain. Il était redevenu comme eux».
Fin. To be continued?
Jean-Laurent Cassely et Jean-Marie Pottier