C’est un symptôme éclairant de l’état d’extrême tension qui prévaut aujourd’hui autour du système français de distribution des soins. En quelques heures, un drame privé (un accouchement prématuré suivi de la mort du nouveau-né) s’est transformé en une affaire d’Etat, la lutte contre les «déserts médicaux» devenant une grande cause nationale.
Quels sont les faits, du moins tels qu’ils peuvent être connus en l’absence de toute investigation officielle? Une femme âgée d’environ trente-cinq ans a, vendredi 19 octobre, perdu son nouveau-né en le mettant au monde dans son véhicule automobile conduit par son compagnon. Le couple circulait sur l’autoroute A20 vers une maternité de Brive (Corrèze). La femme venait de consulter, à Figeac (Lot), son gynécologue-obstétricien qui lui avait conseillé une admission dans une maternité pouvant prendre en charge une grossesse délicate et un accouchement potentiellement à risque. Enceinte de sept moins, elle résidait non loin de Figeac où la maternité a été fermée en 2009. Appelés et arrivés en urgence les pompiers n’ont pu que constater la mort du nouveau né.
Ces faits ont vite trouvé un large écho et pris une dimension nationale. Les réactions politiques et professionnelles se multiplient de même que les accusations visant les responsables d’une politique sanitaire qui a conduit – paradoxalement pour des raisons sanitaires— à fermer de nombreuses petites maternités.
Clôturant le 20 octobre à Nice le congrès de la Mutualité française, François Hollande s’est emparé de ce fait divers, demandant à Marisol Touraine, ministre de la Santé, de diligenter une enquête. Il aussi rappelé l’un de ses engagements de campagne: «aucun Français ne doit se trouver à plus de 30 minutes de soins d'urgence».
Dans le même temps, la coordination nationale pour la défense des hôpitaux et maternités de proximité a demandé un moratoire sur la fermeture des maternités. Même tonalité chez le syndicat national des gynécologues obstétriciens (Syngof). Son président, le Dr Jean Marty, a aussitôt déploré «la dégradation globale de la périnatalité», secteur selon lui «très mal géré». Il a estimé que l'accouchement de la veille et la mort du nouveau-né était «une conséquence de la politique de démobilisation et de concentration des moyens de services de santé autour des capitales régionales». «On a fermé beaucoup de maternités privées et publiques, et le bilan a déjà été tiré par la Cour des comptes: le résultat est mauvais, sur le plan économique, car on a déplacé les accouchements vers des lieux où c'est plus cher.» Concernant les déclarations de François Hollande, il a eu ce commentaire: «On n'a pas quitté la maladie des effets d'annonce».
«La maladie des effets d'annonces»
Interrogé sur Europe1, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France a saisi l’opportunité de ce «nouveau drame» pour fustiger violemment la politique sanitaire française. «C'est un drame comme il arrive très souvent depuis des années, a-t-il accusé, sans citer de chiffres sur le nombre de ces drames. Au début des années 200, il y avait 700 maternités en France, et il n'en reste que 535. 535 pour 65 millions d'habitants et pour un pays qui a la plus forte fécondité en Europe.»
Le Dr Pelloux a par ailleurs tenu à soutenir son confrère gynécologue qui avait encouragé la femme à se rendre à l'hôpital de Brive. «On travaille avec les moyens qu'on a. Il ne pouvait pas faire autrement, il n'y a plus rien», a-t-il commenté tout en justifiant pourquoi une assistance du Samu n'était pas évidente. «Quels étaient les critères de gravité? Une menace d'accouchement. Ce n'est pas un signe de gravité, donc on n'envoie pas forcément une unité mobile hospitalière», a-t-il jugé. L’enquête administrative devra dire ce qu’il en est précisément.
Cette affaire et l’engagement réitéré du président de la République surviennent alors que plusieurs services hospitaliers de maternité et de périnatalité sont confrontés à des difficultés de fonctionnement. Une cartographie actualisée est fournie par La Montagne. Dans le Lot (170.000 habitants), on ne compte qu'une maternité à Cahors, depuis la fermeture en 2009 de celle de Figeac et de celle de Gourdon quelques années plus tôt.
Comme c’est presque toujours le cas dans ce type de situation, de nombreux médecins et agents hospitaliers avaient manifesté contre la fermeture de la maternité de Figeac, attirant l’attention des pouvoirs publics contre les risques de désertification médicale. Les professionnels de la grossesse et de l’accouchement dénoncent généralement ici l’insuffisance de formation de gynécologues-obstétriciens, de sages-femmes et d’infirmières ainsi que la constitution de grosses maternités anonymes, véritables «usines à bébés».
La concentration des maternités n'a pas que des désavantages
A l’inverse les autorités sanitaires font prévaloir les avantages de cette politique qui permet d’améliorer la sécurité des parturientes et des nouveau-nés, notamment en cas de prématurité et d’accouchements à risque. La même logique prévaut pour les services d’urgence et de chirurgie. Les avantages de cette concentration sont incontestables. Ils permettent de réunir les moyens matériels et les compétences et, surtout, d’entretenir ces dernières grâce à un flux suffisant de patients.
Pour autant, pour des raisons politiques (les maires sont les présidents des conseils d’administration des hôpitaux) et économiques (maintien de l’emploi) chaque projet de fermeture se heurte à de fortes oppositions locales. Dans le cas de petites maternités, on fait valoir les vertus de l’accouchement à proximité immédiate du domicile familial.
Des solutions sont possibles qui permettraient de dépasser les difficultés actuelles. On pourrait notamment, comme dans certains pays d’Europe du Nord, encourager les accouchements aidés à domicile pour les grossesses sans complications. Ce qui suppose une surveillance systématique de qualité de l’ensemble des grossesses (elle existe déjà pour une large part) ainsi que la prise en charge spécialisée des grossesses et des accouchements à risque dans des maternités spécialisées.
Ceci est d’autant plus réalisable que la France est dotée d’un système d’aide et de transports médicaux d’urgence (Samu, pompiers, centres 15) parmi les plus denses et les plus performants au monde. Dans ce contexte il n’est pas certain que l’engagement du président de la République (tel qu’il est formulé, en termes de demi-heure) soit le plus opportun pour lutter contre l’extension des «déserts médicaux». Où, en l’espèce, le plus à même de prévenir un drame comme celui survenu le 19 octobre sur l’autoroute A-20 entre Figeac et Brive.
Jean-Yves Nau