Il va falloir «repenser» la prévision de croissance (fixée à 0,8% par le gouvernement), a déclaré le ministre de l'Economie ce 14 février 2013. «Nous constatons que le chiffre de la croissance n'est pas bon pour 2012, autour de zéro, et donc nous savons aussi que la croissance 2013 devra être repensée», a dit Pierre Moscovici sur France 2. Comment prévoit-on la croissance? Grégoire Fleurot se penchait sur le sujet en octobre 2012.
Début septembre, la chaîne de télévision et de radio BFM Business dévoilait sa prévision de croissance de la France pour l’année 2013, un zéro pointé. Un mois plus tard, le 11 octobre, c’est l’agence Reuters qui donnait son pronostic, de 0,3%, pour l’année prochaine. Le gouvernement a quant à lui fondé son budget 2013 sur une hypothèse de croissance de 0,8%. Comment prévoit-on la croissance d’un pays, et depuis quand les médias produisent-ils leur propre hypothèse de croissance?
Il existe de nombreuses méthodes, plus ou moins rigoureuses et scientifiques, pour tenter de prédire la croissance, d’où les écarts fréquents entre les prévisions des différents organismes qui s’essayent à l’exercice. En France, la prévision de référence est celle de l’Institut national des statistiques (Insee), où une équipe d’une quinzaine de personnes travaille sur la question et produit une prévision à chaque trimestre. Celle-ci se base sur des enquêtes de conjonctures réalisées auprès des chefs d’entreprise des grands secteurs de l’économie (industrie, services, commerce de détail et de gros, bâtiment…), de toutes tailles et de toutes les régions.
Ceux-ci évaluent les différents indicateurs d’activité de leur entreprise comme l’évolution de la production, des commandes, des prix par rapport au mois précédent ou encore la situation des stocks et le taux d’utilisation des capacités de production.
Correction, recoupements et écarts
Les économistes de l’Insee effectuent ensuite une correction des variations saisonnières, une technique statistique classique qui permet d’éliminer l'effet des fluctuations saisonnières normales (vacances, fêtes de fin d'année) sur les données, de manière à en faire ressortir les tendances fondamentales. Avec les données collectées, ils arrivent à un indicateur du climat des affaires, sorte de synthèse de l’état de santé de l’économie. Plus il est élevé, plus les industriels considèrent que la conjoncture est favorable.
L’institut recoupe cet indicateur avec les politiques économiques menées ou annoncées par le gouvernement comme le budget, la fiscalité ou les évolutions règlementaires (sur la concurrence par exemple) et les évolutions des marchés financiers, puis teste ses résultats avec un outil comptable pour s’assurer qu’il correspond bien aux grandes règles du calcul du PIB.
Enfin, les statisticiens prennent en compte les écarts entre les précédentes prévisions et les chiffres définitifs publiés pour identifier d’où viennent les différences (ou au contraire comprendre le bon travail qui a mené à une prévision précise). L’Insee dispose de moyens considérables pour effectuer ses prévisions, ce qui explique le grand crédit donné à ses calculs, que même le gouvernement cite comme point de référence dans ses communications.
La Banque de France, une approche par l'offre
La Banque de France produit également des prévisions tous les mois (contre une par trimestre pour l’Insee) à travers son bureau des statistiques. A l’image de l’Insee, elle dispose d’un service de plusieurs dizaines de personnes qui étudient en permanence la conjoncture économique du pays. En revanche, ses calculs se basent sur une approche de l’offre, en ne prenant en compte que ses propres enquêtes de conjoncture auprès de chefs d’entreprises français, là où l’Insee prend en compte une palette d’indicateurs et de facteurs plus larges.
Les patrons qui participent volontairement à l’enquête de la Banque de France remplissent un questionnaire qualitatif par téléphone: ils doivent évaluer le niveau de chaque indicateur sur une échelle de -200 à 200, 100 étant la moyenne de long terme. La Banque de France utilise ensuite son propre outil de prévision de la croissance (l’Indicateur synthétique mensuel d’activité, ou Isma) pour aboutir à une prévision.
Si les économistes de la Banque de France peuvent parfois effectuer des ajustements en cas d’erreur ou d’évènement exceptionnel qui n’a pas été pris en compte dans leurs calculs, le mécanisme se veut le plus automatique possible pour éviter toute tentation d’interprétation ou d’aiguillage politique de la prévision.
La Direction du Trésor, plus politique
C’est tout le contraire du troisième grand producteur national de prévisions de croissance, la Direction générale du Trésor, dont les chiffres sont par définition plus politiques, que ceux de l'Insee et de la Banque de France, dont l’indépendance vis-à-vis du gouvernement est inscrite dans la loi. De sa prévision dépend notamment le niveau attendu des recettes fiscales et donc le solde budgétaire et celui des comptes publics.
Le budget 2013 du gouvernement est basé sur une prévision de 0,8% pour l’année prochaine, un chiffre supérieur, comme c’est très souvent le cas, au consensus des économistes et à la plupart des autres prévisions. Si le gouvernement avait tablé sur une croissance plus faible, il aurait dû mettre plus de rigueur dans son budget, ou alors réduire son ambition de baisse des déficits publics.
Le gouvernement doit à la fois rester proche des prévisions des autres acteurs privés ou publics pour rester crédible tout en gardant à l’esprit l’impact psychologique de l’hypothèse qu’il choisit de retenir. Annoncer une croissance trop faible pour l’année prochaine plomberait un peu plus la confiance déjà atteinte des entreprises et des ménages.
Centres de recherche et institutions internationales
Mais les organismes publics ne sont pas les seuls à s’intéresser à la conjoncture économique française et à ses évolutions. S’ils ne peuvent pas vraiment rivaliser en termes de moyens et de précision avec l’Insee, des organismes privés se prêtent aussi au jeu des prévisions.
Celles du Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode), proche du patronat, ont un certain poids dans les milieux économiques (le centre a récemment annoncé une croissance de 0,2% pour 2013), tout comme celles de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un centre de recherche universitaire réputé keynésien, créé en 1981 par Raymond Barre.
Au niveau international, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne publient eux aussi des chiffres surveillés de près par tous les acteurs économiques.
Médias
Enfin, des médias publient eux-mêmes leurs prévisions. Parfois, simplement par agrégation: l’agence de presse Reuters, par exemple, demande à 29 économistes de lui donner un chiffre, puis fait une moyenne pure et simple.
En France, le premier média qui a publié sa propre prévision de croissance est L’Expansion, qui produit ses propres prévisions depuis la fin des années 1980. L’ancien directeur du centre de prévision du magazine économique, Emmanuel Lechypre, a importé la pratique chez son nouvel employeur, BFM Business, qui a donc publié en septembre sa première prévision économique, une croissance française à 0% pour 2013.
La chaîne de télévision et de radio économique est très loin d’avoir les moyens et la rigueur statistique des prévisions de référence comme celles de l’Insee ou du FMI, et n’emploie que deux personnes qui travaillent sur les analyses. Pour se démarquer, elle utilise notamment des indicateurs qu’elle a elle-même développés et qui donnent selon elle des informations qui n’existent pas ailleurs. Par exemple, le grand groupe de restauration français Flo lui donne tous les trois mois le ticket moyen dépensé par client dans ses restaurants et la fréquentation, ce qui donne une indication de l’état de la consommation des ménages.
Au final, la prévision de BFM Business est plus un pronostic que le résultat d’un calcul savant. Mais cela ne veut pas dire que ses prévisions ne visent jamais juste. En 1992, L’Expansion avait tablé sur une croissance de seulement 1% pour 1993, écrivant que cette prévision n’était «même pas pessimiste», alors qu'elle était bien en-dessous du consensus des économistes de l’époque. La France avait finalement connu une récession avec une baisse du PIB de 0,9% sur l’année, à la surprise générale.
Pour savoir qui, de l’Insee, la Banque de France, le Trésor, l’OFCE, BFM ou autres aura été le plus proche de la vérité pour 2013, rendez-vous autour du… 15 mai 2016. Il faut en effet trois ans à l’Insee pour publier son «compte annuel définitif», qui peut varier jusqu’à presque un point de croissance par rapport à la première estimation, publiée au mois de février suivant l’année en question.
Grégoire Fleurot
L’explication remercie Eric Dubois, directeur des études et des synthèses économiques à l’Insee, Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France et Emmanuel Lechypre, directeur de BFM Business Prévisions.