Mardi 9 juin. Onze heure vont bientôt sonner à la cathédrale Saint-Gatien de Tours. Le procès de l'affaire Courjault connaît déjà, deux heures après son ouverture, son premier coup de théâtre.
Tout jusqu'alors avait été parfaitement orchestré. Il nous avait bien sûr fallu subir quelques solides et gentilles rebuffades des policiers préposés à l'accréditation. Puis nous avions dû longuement patienter avant de pouvoir entrer dans la salle d'audience. Puis accepter de nous plier aux règles imposées par un considérable dispositif de sécurité. Quelques vieux chroniqueurs judiciaires ici présents et dont le cuir semblait ne plus jamais pouvoir être traversé étaient surpris. Il est vrai que le quotidien judiciaire n'a pas tous les jours trois «infanticides» requalifiés en «assassinats» à se mettre sous la dent.
La justice, on le sait, est aussi -est surtout- spectacle. L'accusée est entrée après le départ des photographes et autres cameramen. On l'a placée (pourquoi ?) dans une cage en verre. La femme est petite. Petit gilet beige sur chemise bleutée, cheveux noirs tenus sur la nuque par une barrette fantaisie. Visage fermé, sinon émacié, du moins beaucoup plus mince que celui visible sur les photographies diffusées ces dernières années. Et toujours ces iris, ces prunelles, ce regard impénétrable. Même lorsqu'elle croise celui de celui qui reste son indéfectible mari, « ingénieur d'application; libre, sous contrôle judiciaire ».
Ils ont réappris à s'aimer, croient savoir quelques gazettes hebdomadiares. Mais quelques conseurs observatrices croient percevoir que celle qui a privé d'oxygène trois de ses enfants semble bien, en ce matin tourangeau, avoir quelques difficultés à respirer.
Oui elle est bien Véronique Courjault, née Fièvre, le 19 octobre 1967 à Parnay dans le Maine-et-Loire voisin. Oui elle a bien, un moment été assistante maternelle.
9h15. Ouverture de l'audience criminelle. 9 h 30. Les 9 jurés ont été tirés au sort sur les quarante a priori désignés.. Le ministère public comme la défense ont récusé (pourquoi?) toutes les femmes ; ou presque. Au total sept hommes et deux femmes. Quelques broutilles procédurales. Nous allons enfin commencer. C'est alors que se lève Me Pascale Brémant avocate défendant les enfants du couple Courjault (deux garçons de 12 ans et demi et 14 ans) et partie civile au nom de l'Association départementale d'aide aux victimes d'infraction pénales (Adavip 37). Elle réclame le huis-clos.
Le huis-clos? «Les deux enfants vivent l'étalage médiatique comme une injustice supplémentaire, nous dit-elle. Ils sont, comme tous les pré-adolescents incapables de prendre du recul sur l'info qu'ils prennent en pleine figure comme un coup de poing. Rien ne leur a été épargné, rien n'est resté dans l'ombre. Il y a eu ici une surinformation, une hypermédiatisation. Il y a eu des dérapages individuels considérables, Et Internet n'a fait qu'amplifier à la vitesse de la lumière la diffusion de ces dérapages.»
Me Brémant: «Je demande à la presse de réfléchir aux conséquences de la campagne de médiatisation sur ces deux enfants». Via Me Henri Leclerc, l'un de ses défenseurs, la mère dira qu'elle aussi réclame le huis-clos que demandent ses deux enfants.
A la fois bonhomme et solennel l'avocat général dira que la famille Courjault peut «faire face» à cette situation, que « l'intérêt supérieur de la publicité des débats» devait prévaloir, que la justice, en France, est rendue au nom des Français et devant les Français. Il dira aussi, à peine entre les lignes, que si les médias ont certes causé du tort aux deux enfants il ne pourront guère leur faire plus de mal. Internet ou pas, le mal serait donc fait.
Après s'être retirée quelques dizaines de minutes, la cour tranche: rejet de la demande. Tonique, le président reconnaît volontiers que les enfants Courjault ont pu souffrir des informations diffusées pendant l'instruction. Mais il a juge aussi, priorité des priorités, que ce procès a pour objectif d'évoquer «dans le respect de l'ordre et des moeurs les faits reprochés». Nous allons donc, jusqu'au 17 juin, tenter de comprendre l'incompréhensible.
Jean-Yves Nau
(A suivre)
Photo: Au Tribunal de Tours Reuters
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