Nous sommes moins de trois ans après les faits. Et la spectaculaire, l'incompréhensible affaire des «bébés congelés» arrive déjà à son terme judiciaire. Mardi 9 juin, Véronique Courjault, mère de deux enfants, sera présentée devant la cour d'assises d'Indre-et-Loire, à Tours, pour avoir tué trois de ses enfants dans les heures (minutes?) qui ont suivi les trois accouchements. Et l'on parlera du «déni de grossesse».
Rappel des principaux éléments d'un dossier hors du commun qui a suscité une intense émotion tant en France qu'en Corée du sud. A Séoul, le 23 juillet 2006, Jean-Louis Courjault, un ingénieur travaillant pour l'équipementier automobile Delphi, découvre par le plus grand des hasards dans un tiroir de son congélateur les corps de deux nouveaux-nés. Il alerte la police. Des tests ADN effectués à Séoul le désignent comme étant le père; d'autres diront que son épouse est la mère.
De retour en France, le couple est entendu par la police tourangelle puis relâché. M. Courjault nie que sa femme ait pu accoucher de ces nouveaux-nés ne serait-ce que parce qu'elle a subi une ablation de l'utérus en décembre 2003. Le premier avocat du couple se gausse publiquement des compétences des médecins légistes coréens Avant que des tests ADN pratiqués en France confirment les premiers résultats.
Octobre 2006: le couple est placé en garde à vue et Mme Courjault avoue un double infanticide par «strangulation». Elle affirme aussi que son mari n'était au courant de rien. Puis elle avoue un troisième infanticide commis en juillet 1999, en France cette fois., précisant qu'elle n'avait pas alors congelé mais brûlé le corps de son nouveau-né. Mise en examen elle est écrouée à Orléans (Loiret), poursuivie pour «assassinats».
L'enquête démontrera que dans leur entourage proche, à Séoul, personne n'avait -ne serait-ce qu'un instant- soupçonné que cette femme ait pu être enceinte. L'autopsie des deux nouveaux-nés révèlera bientôt qu'ils étaient morts par «asphyxie» et non par «étranglement». Le mari sera mis hors de cause par la justice.
«Déni de grossesse»?
Devant la Cour d'assises d'Indre-et-Loire, on va, dans les prochains jours, immanquablement l'invoquer. Me Hélène Delhommais, l'avocate de l'accusée espère que le procès ne se résumera pas à ce nouveau concept. «J'attends que cette femme puisse s'exprimer sereinement dans le calme, si possible, a-t-elle déclaré à l'Agence France Prese. L'agitation autour d'elle pourrait la gêner. Or le principal, c'est que devant les jurés, elle puisse exprimer ses émotions, et elle a beaucoup de choses à dire. Elle peut raconter beaucoup plus de choses qu'au départ du dossier parce qu'elle a travaillé avec des psychiatres. Elle est dans une souffrance différente et aujourd'hui elle peut l'exprimer. Je ne pense pas que le « déni de grossesse » va alimenter tous les débats sinon, à mon
sens, ce serait une erreur. Mais il est certain que nous allons en parler, que les experts vont en parler. Pour autant le cas de Mme Courjault ne se résume pas à cette notion et j'ai peur qu'elle devienne l'emblème d'un thème, une espèce d'étendard de thèse, qui ne lui correspond pas.»
Les craintes de Me Delhommais sont tout sauf infondées. «Déni de grossesse»? Longtemps la médecine a ignoré le problème. Tel n'est plus le cas aujourd'hui. Notamment parce qu'une jeune association française milite pour que l'on reconnaisse enfin officiellement que le corps humain puisse avoir ses raisons que la raison ignore. Le corps féminin en l'espèce.
«Déni de grossesse»? Parlons simplement d'une chose qui ne l'est guère. Le déni de grossesse correspond au fait qu'une une femme enceinte n'a pas conscience de l'être. «L'une des idées fausses circulant sur ce déni est qu'il ne peut concerner que de très jeunes femmes ou des femmes «attardées» font valoir les membres de cette association. Rien n'est plus faux, comme le prouve une étude française récente menée pendant de sept ans auprès de 2 550 femmes ayant été hospitalisées dans les maternités de Denain et Valenciennes.
Les auteurs ont observé et décrit 56 cas de déni qui se partagent pratiquement à égalité entre ceux qui prennent fin avant le terme de la grossesse («déni partiel») et les dénis qui se poursuivent jusqu'à l'accouchement («déni total» : 29 cas).
Et encore: «Cette étude fait surtout ressortir que près de la moitié des femmes victimes d'un déni est déjà mère d'un ou de deux enfants (26 femmes sur les 56 étudiées). Le fait d'être déjà mère ne protège donc pas contre le déni, et ne permet pas de facto à la femme de «reconnaître», d'avoir conscience de son état de grossesse. Autre information de poids: tous les milieux sociaux sont concernés. Le déni n'a donc pas une explication «sociale» mais, comme les principales affections psychiatriques, il est répartie au hasard dans la population.
Dans tous les cas le corps de la femme ne présente aucun des signes caractéristiques de la grossesse. Il n'y a pas de «ventre», pratiquement pas de prise de poids, ni de «masque de grossesse» Quant aux femmes elles diront plus tard ne pas avoir senti bouger leur bébé. Jusqu'à l'absence des règles, souvent transitoire quant elle n'est pas totalement absente. Le symétrique, en somme, de la «grossesse nerveuse».
Ce «déni» doit-il pour autant excuser l'infanticide effectué, on ose l'imaginer, de sang-froid ? Pourquoi «dénier», tuer et congeler ce qui deviendra alors immanquablement des «pièces à conviction»? La Cour d'assises d'Indre-et-Loire répondra-t-elle à ces terribles questions ?
Jean-Yves Nau
(A suivre)
Photo: Des agents de police sud-coréens transportent les corps des deux bébés congelés Reuters