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Je me suis acheté 27.000 followers sur Twitter

Temps de lecture : 8 min

Ça m’a coûté 202 dollars. Est-ce que ça en valait la peine?

New kids on the block / Peggy2012CREATIVELENZ via FlickrCC Licence by
New kids on the block / Peggy2012CREATIVELENZ via FlickrCC Licence by

Je fais un usage assez égoïste de Twitter. J’adore errer de tweet en tweet afin de ne rien perdre des derniers scoops, opinions diverses et GIFs de bébés animaux... mais comme 40% environ des utilisateurs de Twitter, je suis plus passif qu’actif sur le réseau.

Pourtant, avoir une horde de «followers» ne pourrait que m’être bénéfique sur le plan professionnel. Cela ferait de moi un journaliste plus influent et boosterait sans conteste mon (oui, je sais…) personal branding. Cela fait longtemps que je jalouse le nombre d’abonnés qu’ont certains de mes collègues de Slate.com, comme Farhad Manjoo (25.000), Dave Weigel (77.000) ou John Dickerson (1,38 million!).

Comment faire pour augmenter mon petit groupe de 1.100 abonnés? Je pourrais sans doute gagner des adeptes en proposant des liens pertinents, en m’engageant dans des débats intellectuels pointus ou en élaborant des bons mots éblouissants qui ne dépasseraient pas les 140 caractères.

Le problème est que, même si j’aimerais beaucoup m’enthousiasmer pour ce genre de choses (et il m’arrive de temps à autre d’attraper brièvement le virus Twitter), j’ai du mal à y trouver un véritable intérêt. Pour l’auteur freelance que je suis, cela ressemble un peu à du travail non rémunéré.

Donc, au lieu de cela, j’ai fait l’acquisition d’une audience de 27.000 followers auprès d’un site assez sommaire sur Internet. Coût total: 202 dollars.

Je n’essaie de duper personne. J’affiche ma supercherie au grand jour. A vrai dire, le fait est que j’ai surtout voulu savoir ce qu’était toute cette histoire d’abonnés achetés. C’est en juillet dernier, lorsque l’équipe de campagne de Mitt Romney a rejeté les accusations disant qu’elle avait acheté des followers sur Twitter, que j’ai découvert (tout comme la plupart des gens autour de moi) qu’il était possible d’acheter des abonnés et, surtout, qu’il y avait des personnes intéressées par cela.

Qui acheter?

En août dernier, le New York Times a révélé qu’il s’agit en fait d’une pratique des plus répandues chez «les célébrités, les politiciens, les start-ups, les aspirants rock-stars, les candidats d’émissions de TV-réalité qui souhaitent se faire remarquer... à vrai dire, quiconque veut profiter d’une plus grande empreinte sur les réseaux sociaux».

Pour comprendre d’où venaient mes abonnés nouvellement acquis, j’ai appelé Al Delgado, propriétaire de l’entreprise FanMeNow.com, basée à Brooklyn (ce n’est pas l’un des sites auprès desquels j’ai acheté mes followers, mais c’est le seul qui m’a répondu).

Il m’a indiqué qu’il existe deux sortes d’abonnés à acheter. Les «abonnés ciblés» sont de véritables personnes qui semblent à même d’être intéressées par les sujets de vos tweets. Les sociétés de marketing facturent d’importantes sommes pour identifier ces twittos compatibles avec vous et les persuader de vous suivre (en vous retweetant ou par d’autres moyens). Ce n’est pas bête. Mais ce n’est pas ce que j’ai acheté. Pour ma part, j’ai fait l’acquisition de faux «comptes créés», des zombies produits en masse qui n’ont d’autre but que de gonfler mon audience.

Des grossistes indiens

Delgado m’a dit acheter ces faux comptes auprès de grossistes en Inde. Ce sont des techniciens du sous-continent qui «fabriquent» toutes ces personnes virtuelles, en s’assurant que les comptes semblent juste assez réels pour ne passer pour des robots.

Lors d’une journée classique, Delgado dit enregistrer 30 à 35 commandes, demandant généralement entre 1.000 et 5.000 abonnés zombies.

«Certaines personnes m’en achètent un million, affirme-t-il, ce qui leur coûte alors 1.300 dollars. Parfois, ce sont des gens connus. La plupart de mes clients sont des musiciens, mais je vends aussi beaucoup aux mannequins, aux comédiens et aux stars du porno

Disons le clairement: les twittos zombies sont totalement inertes face à leur ordinateur. J’ai envoyé des tweets à plusieurs d’entre eux pour voir si je pouvais les réveiller et je n’ai eu aucun retour. Acheter de faux abonnés ne permet pas d’avoir plus de retweets, de réponses à vos traits d’esprit ou de fréquentation vers les liens que vous postez. Cela permet juste d’afficher un plus grand nombre de followers à côté de son nom.

Plus c'est grand...?

Pourquoi les gens font-ils cela? Je suppose que c’est en partie pour créer une illusion de célébrité, en espérant que le succès appelle le succès. C’est un peu comme se présenter à un rendez-vous amoureux dans une Mercedes décapotable de location alors que l’on roule au quotidien dans une Kia hors d’âge. Pour l’observateur lambda, votre fausse audience laisse croire que vous êtes une star des réseaux sociaux, une personne influente que l’on ne peut ignorer.

Il semble aussi que les faux abonnés puissent permettre d’en obtenir d’autres, plus réels. J’ai en effet remarqué qu’après avoir acheté mes followers zombies, mon audience s’est accrue de plus en plus rapidement.

Je me suis dit que, paraissant plus populaire, je devais apparaître plus facilement dans le cadre sur la gauche, où Twitter vous suggère des personnes à suivre. Je suis allé demander à une porte-parole de Twitter si c’était bien le cas.

«Pour l’instant, je ne peux que répondre que c’est compliqué, m’a-t-elle dit. Le nombre d’abonnés en lui-même n’indique pas automatiquement un compte à suggérer. C’est un facteur pris en compte, mais il y en a d’autres.»

Mais c’est tout de même un facteur. Et, pour autant que je sache, Twitter n’est pas particulièrement doué pour démasquer les faux followers (la société semble plus encline à estimer que tous ces comptes inertes sont en fait réels mais «inactifs»). Votre score Klout pourrait également être boosté par votre audience accrue, mais Klout affirme que son score repose plus la capacité des utilisateurs à obtenir réponses et retweets que sur leur seul nombre d’abonnés.

Le risque: que ça se sache

Il y a aussi des inconvénients à s’acheter une audience. Par exemple, il y a toujours le risque, plutôt embarrassant, de se faire coincer. Un site baptisé StatusPeople.com offre notamment une application «Fakers» qui propose de révéler quelle proportion des abonnés d’un compte Twitter donné sont des faux.

Toutefois, elle laisse encore un peu à désirer. Elle a, en effet, estimé que 4% seulement de mes followers étaient des faux, tout en leur attribuant un taux d’inactivité de 89% (ce qui peut correspondre à des personnes réelles qui se contenteraient de lire passivement sans jamais tweeter ou retweeter). Et lorsque je lui ai soumis d’autres comptes, elle m’a donné des résultats assez déconcertants. Fakers a ainsi estimé que 15% des followers de John Dickerson sont des faux et qu’ils sont inactifs à 46%... sauf que lui n’a jamais acheté de zombies. De même, Slate.com n’a jamais acheté d’abonnés pour son compte @Slate, mais Fakers l’accuse d’avoir une audience fausse à 12% et inactive à 38%.

Cependant, à moins que des gens vous en veuillent particulièrement ou se méfient de vous, il est assez peu probable que quelqu’un s’embête à enquêter de la sorte sur votre compte. Le commun des mortels pensera juste que vous êtes une star de Twitter. Et c’est cela que je trouve un peu gênant.

Fidèles

Pour tout avouer, durant le mois qui a suivi mon achat de followers (c’est-à-dire environ jusqu’à ce que je rende la chose publique), il m’est parfois arrivé de ressentir une petite poussée d’orgueil à l’idée que les gens allaient remarquer cet impressionnant nombre d’abonnés à côté de mon nom. C’est aussi flippant qu’absurde. Au contraire de mes talentueux collègues qui sont sur Twitter, je n’ai absolument rien fait pour mériter cette fierté, ce sentiment d’accomplissement. Ce n’est pas quelque chose que j’ai bâti.

Ma horde de followers zombies ne me quittera jamais. Pour m’en débarrasser, il faudrait que je fasse le tri dans mes 29.000 abonnés, un par un, en prenant garde à ne pas congédier de vrais twittos faits de chair et d’os.

Je le dis tout de suite: je ne le ferai pas. Mes zombies vont donc me suivre jusqu’à la fin de mes jours, un peu comme (pour paraphraser Eddie Murphy) l’herpès ou mes valises. Ils vont rester là, sans mot dire, à me rappeler constamment que j’ai péché, préférant la paresse au mérite. De temps à autre, je me sentirai un peu coupable. Mais je pourrai aussi jouir des avantages des stars de Twitter et ce sans avoir à jouer les passeurs de liens, à me creuser la tête pour avoir l’air intelligent ou à exposer ma vie privée au monde entier. Je suppose que Mitt Romney (et ses 1,2 million de followers) dirait que je fais plus partie des «takers» que des «makers».

Mise à jour, jeudi 4 octobre 2012, 9h11:

Quelques heures seulement après la parution de cet article sur Slate.com, mon audience sur Twitter est soudainement passée de 29.000 environ à 1.223. Je ne sais pas encore qui a effacé tous ces abonnés, ni pourquoi... mais j’ai ma petite idée! Je vais faire mon enquête, je vous tiendrai au courant des résultats.

Mise à jour, vendredi 5 octobre 2012, 16h51:

Je me suis acheté 27.000 followers... et Twitter les a massacrés

Le mercredi 3 octobre, Slate.com a publié un article que j’avais écrit à propos des 27.000 faux abonnés Twitter que je m’étais acheté. Quelques heures seulement après sa publication, le tweet d’un lecteur m’apprit que mon audience sur Twitter était retombée à 1.223 followers. Quelqu’un avait supprimé tous mes zombies.

J’ai immédiatement suspecté Twitter d’avoir lu mon papier et viré mes faux abonnés. Je leur ai donc envoyé un mail afin de leur demander s’ils pouvaient m’aider à comprendre ce qui s’était passé exactement.

«Nous ne faisons aucun commentaire sur les actions que nous effectuons sur les comptes, m’a répondu leur porte-parole, mais par rapport à ce que vous décrivez, sachez que nous combinons des procédés automatiques et manuels afin de contrôler l’envoi de spams sur la plateforme

A moi, cela m’a paru beaucoup plus manuel qu’automatique (avant mon coming-out sur Slate.com, mes faux abonnés ont pu rester des mois durant sur le réseau sans que personne ne les embête). J’imagine donc qu’une personne du service «confiance et sécurité» de Twitter a repéré mon article et s’est dit qu’il avait bien envie de dégommer quelques zombies. Aucun avertissement n’a été donné. Aucune explication. Ce fut un massacre de zombies en bonne et due forme, perpétré sans aucun état d’âme.

Personnellement, j’ai trouvé ça un peu rude. Mais je dois reconnaître que c’est prévu par les conditions d’utilisation, à la rubrique «spam et abus». J’ai eu peur que certains de mes vrais followers aient aussi été effacés (un dommage collatéral, en quelque sorte), mais d’après le porte-parole de Twitter, chaque compte zombie a reçu un message l’invitant à prouver qu’il était vrai afin de récupérer son compte.

Al Delgado, propriétaire de FanMeNow.com (un site qui vend des faux comptes, mais pas un de ceux auprès desquels je me suis fourni) dit qu’il reçoit parfois des plaintes de clients qui voient leurs followers zombies récemment achetés se faire éradiquer.

«Je les rembourse intégralement, affirme Delgado. Je souhaite entretenir de bonnes relations avec ma clientèle

Pour lui, le véritable scandale est que Twitter n’applique pas son règlement de la même manière pour tous et ne s’attaque pas aux célébrités qui, selon lui, achètent leurs abonnés. «Regardez Lady Gaga», suggère-t-il en faisant remarquer que StatusPeople.com estime que 30% de ses abonnés sont faux.

Quant à moi: à vrai dire, je me sens soulagé de m’être débarrassé de cette horde de zombies. Je sais désormais que je mérite chaque twitto abonné à mon compte. Et, au passage, toute cette histoire m’a valu 130 nouveaux followers, cette fois-ci bien réels. Pour la plupart, ils s’étaient inscrits parce qu’ils étaient curieux de savoir ce qui avait bien pu arriver à mes 27.000 faux abonnés.

Seth Stevenson (@stevensonseth)

Traduit par Yann Champion

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