Le prix Nobel de chimie 2012 est avant tout un prix Nobel de biochimie: il récompense deux chercheurs qui ont élucidé l’un des principaux mystères de la transmission moléculaire des informations à l’intérieur de chaque cellule des mammifères. A commencer par les corps humains.
Un exemple: lorsque nous buvons une tasse de café, nous percevons et ressentons dans l’instant sa robe, ses fragrances, sa suavité exotique d’arabica. Comment ce miracle matinal peut-il se produire voire se reproduire pluri-quotidiennement? Pour une large part grâce aux précieuses clés moléculaires découvertes par Robert Lefkowitz et Brian Kobilka.
L’analyse (consciente ou non) des milliers d’informations qui nous parviennent de l’extérieur (mais aussi et surtout de l’intérieur) de notre corps réclame des myriades de molécules réceptrices situées à la surface des milliards de cellules qui constituent notre organisme. Ce sont ces récepteurs qui captent les substances moléculaires circulant dans leur environnement immédiat, des hormones ou des médicaments, par exemple.
Utilisé par la moitié des médicaments
Certains de ces aiguilleurs et traducteurs de molécules ont été baptisés «récepteurs couplés aux protéines G». «Protéines G»? On les a ainsi baptisées car elles utilisent un échange biochimique bien connu (celui de GDP en GTP) comme un «interrupteur moléculaire»; interrupteur qui déclenche ou inhibe des cascades de réactions biochimiques à l’intérieur des cellules. Il y a dix-huit ans, Alfred G. Gilman et Martin Rodbell avaient obtenu le Nobel de physiologie et médecine pour leur découverte et leurs travaux sur ces désormais fameuses protéines G.
Ces protéines sont des composants essentiels au bon fonctionnement de notre organisme. Sans elles, nous resterions insensibles aux mille-et-un mondes qui nous entourent. Leur existence et leur fonctionnement ont pour sous-bassement un substrat génétique qui correspond à pas moins de 3,4% de notre génome.
La médecine et la pharmacie ont su tirer partie de cette voie de pénétration: environ la moitié des médicaments l’utilise pour corriger le pathologique. Rien de plus normal: il s’agit là d’aiguilleurs de molécules sans lesquels il n’est pas d’action possible sur les cellules, les tissus, les organes.
Ces récepteurs couplés aux protéines G sont aussi des aiguilleurs intelligents. Ils se comportent un peu comme un standard téléphonique. La molécule qui se présente à l’entrée d’une cellule est identifiée, tout comme sa langue maternelle. Elle est ensuite orientée vers les régions de la cellule où elle peut interagir.
Une très vaste famille
Robert J. Lefkowitz (Howard Hughes Medical Institute; centre médical de l’Université Duke, Durham) a utilisé la radioactivité à partir de 1968 pour pister les récepteurs G. Il a attaché un isotope de l’iode à différentes hormones et, grâce aux radiations, a pu détecter plusieurs récepteurs dont celui qui correspond au neurotransmetteur adrénaline.
Dans les années 1980, Brian Kobilka (Ecole de médecine de l’université de Stanford) a complété ce travail dans sa partie génétique. Il a isolé le gène qui code pour le récepteur de l’adrénaline. En analysant ce gène, les chercheurs ont découvert qu’il s’agissait du même gène que celui qui sert, au sein du tissu de la rétine, à la captation de la lumière.
Ils ont ainsi commencé à réaliser qu’il existait une vaste une famille de tels récepteurs. Environ 1.000 gènes codent pour ces récepteurs. Ils correspondent à la perception de la lumière, du goût, de l’odeur et à la traduction dans les cellules des hormones et de neurotransmetteurs comme le glucagon, l’adrénaline, l’histamine, la dopamine ou la sérotonine.
Pas de «shoots» d’adrénaline sans les récepteurs G. Et c’est également grâce à eux que dès l’aube certaines des molécules issues de la torréfaction de grains du caféier peuvent se frayer un chemin jusqu’à nos yeux, nos papilles et l’ensemble de nos cellules olfactives; jusqu’à l’ensemble de notre équipement sensoriel. Sans même parler de nos libidos.
Michel Alberganti et Jean-Yves Nau