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De Vatican II à Vatican III

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Il y a un demi-siècle, s’ouvrait à Rome le concile qui a ouvert l’Eglise catholique au monde moderne. Aujourd’hui intégristes et progressistes s’affrontent. Faut-il un nouveau concile?

Cérémonie d'ordination de prêtres à Econe, en Italie, en juin 2012. REUTERS/Denis Balibousse
Cérémonie d'ordination de prêtres à Econe, en Italie, en juin 2012. REUTERS/Denis Balibousse

Il y a exactement cinquante ans, le 11 octobre 1962, 2.500 évêques parlant toutes les langues, représentant les peuples et les cultures du monde entier, font leur entrée dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Le concile Vatican II ouvre ses portes, en présence, pour la première fois, de délégués protestants, anglicans, orthodoxes et d’autres confessions chrétiennes. Une page nouvelle s’ouvre dans l’histoire de l’Eglise. Ce concile va durer trois ans. Traditionalistes et modernistes s’empoignent déjà et ces derniers l’emportent. La vingtaine de documents adoptés à la fin des débats signent l’entrée de l’Eglise, jusqu’ici intransigeante et fermée, dans le monde moderne.

Le pape Jean XXIII avait convoqué ce concile en janvier 1959, trois mois après son élection et à la surprise générale. Diplomate médiocre, élu à un âge avancé (77 ans), réputé «pape de transition», Angelo Roncalli va, en fait, bousculer son Eglise. Le concile, pour lui, doit être un «aggiornamento», doit rompre avec des siècles de «condamnations», discerner les «signes du temps», ouvrir toutes grandes les «fenêtres» de l’institution, la réconcilier avec le XXe siècle.

Sa mort, en 1963, l’empêche d’achever son œuvre, mais son successeur, Paul VI, la reprendra et la mènera à son terme, au prix d’une lutte acharnée avec la minorité conservatrice de Mgr Marcel Lefebvre, «père» du schisme intégriste qui, cinquante ans après, poursuit son travail de sape contre ce salutaire concile.

Œcuménisme

L’un des points les plus disputés porte sur la liberté de religion. L’Eglise qui, depuis 2.000 ans, répète qu’en dehors d’elle, il n’y a point de salut, s’apprête à renoncer au monopole absolu de la Vérité, à reconnaitre la primauté de la conscience, à entrer en dialogue avec les autres religions, pas seulement les confessions chrétiennes séparées, mais aussi les juifs, les musulmans, les hindouistes, les bouddhistes, etc. Mgr Lefebvre dira qu’avec la liberté religieuse, «le ver est dans le fruit». Si l’Eglise catholique n’a plus le monopole de la Vérité, la porte est ouverte au «relativisme» (toutes les religions se valent), au «subjectivisme», à l’œcuménisme détesté.

Rompant donc avec des siècles d’intolérance, le concile Vatican II adoptera, fin 1965, une déclaration («Dignitatis humanae») affirmant pour tout homme le droit à la liberté de religion et de croyance, puis un autre texte («Nostra aetate») reconnaissant dans les autres confessions des «parcelles de vérité», mettant fin aux stéréotypes blessants sur les juifs («peuple déicide»), estimant que l’antisémitisme n’avait plus aucune justification théologique.

Deux millénaires d’antijudaïsme chrétien sont ainsi passés par pertes et profits. Pour les catholiques, le dialogue œcuménique avec les «frères chrétiens» séparés (protestants, orthodoxes), avec les religions non-chrétiennes et avec les non-croyants a vraiment commencé grâce à Vatican II, il y a un demi-siècle.

Le concile adopte d’autres réformes capitales. Il remet à l’honneur l’étude de la Bible, laissée depuis la Réforme aux protestants. Il rénove la liturgie avec le renoncement à la soutane des prêtres et l’adoption des langues modernes au détriment du latin. Il change le mode de gouvernement de l’Eglise, tolérant plus de «collégialité», donnant plus d’autonomie aux échelons locaux par rapport à Rome et plus de responsabilités aux laïcs (les non-clercs).

Il invite les chrétiens, dans un autre texte resté célèbre («Gaudium et spes»), à cesser de condamner le monde moderne, à changer leur regard sur lui, à s’ouvrir au progrès des sciences et des techniques, aux combats pour la justice sociale et les droits de l’homme, à s’engager dans les milieux sociaux et politiques.

Deux cents ans de retard

Une Eglise plus militante au service de l’homme démuni, plus accueillante aux transformations du monde, ouverte à la liberté de conscience et aux autres confessions, moins arrogante et plus engagée dans son temps: sans Vatican II, elle ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

Mais le débat est ouvert et tendu sur le point de savoir si l’Eglise n’a pas, depuis, trahi l’esprit du concile cinquantenaire, si elle n’est pas tentée par le repli et le retour en arrière, s’il n’est pas temps de solder les comptes, de reprendre les questions taboues alors occultées, voire d’envisager un nouveau concile –Vatican III– pour explorer toutes les questions nouvelles posées, depuis cinq décennies, à l’humanité.

Ancien archevêque de Milan, le prestigieux cardinal Carlo-Maria Martini, jésuite, chef de file des progressistes, mort le 31 août, a laissé une interview posthume au goût amer, très remarqué, au Corriere della Sera, dans laquelle il écrit :

«L’Eglise a deux cents ans de retard (…) Elle est fatiguée. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Eglise se développe».

Il est sans doute expéditif et injuste d’affirmer que l’Eglise est revenue en arrière –ce que ne dit pas le cardinal Martini. Pour ramener l’unité dans ses rangs, le pape Benoît XVI a certes engagé des conversations avec les catholiques intégristes, héritiers de Mgr Lefebvre et de la minorité réactionnaire du concile. Mais l’accord bute précisément sur les acquis de Vatican II. Les intégristes refusent tout ralliement à ce concile moderniste qui, à les entendre, est responsable de tous les maux et de toutes les crises depuis cinquante ans.

Ils veulent garder le droit de critiquer les orientations alors prises, aussi fondamentales que le choix de sa religion pour chaque homme, l’ouverture du dialogue avec les autres religions –que les intégristes continuent de qualifier de «fausses religions»–, l’adoption d’une liturgie plus contemporaine, la sympathie pour un monde moderne considéré par eux comme «satanique».

Affronter les sujets de blocage retirés de Vatican II

Autant de points jugés «non-négociables» par Benoît XVI, héritier de ce concile auquel il a participé comme théologien, progressiste à l’époque, et qui ne cèdera pas. Il reste que les catholiques dits «conciliaires» sont découragés par cette main tendue aux intégristes, par les replis frileux qu’ils constatent dans la doctrine, le dogme, la liturgie, la discipline, par la centralisation romaine qui reprend de plus belle et le manque de délibération interne, par la lenteur du mouvement de rapprochement oecuménique, par l’immobilisme du discours sur la sexualité depuis l’interdit de la contraception dans l’encyclique Humanae vitae de 1968, de la procréation médicalement assistée et du mariage homosexuel. Le célibat obligatoire des prêtres, le statut d’infériorité de la femme et celui des couples divorcés remariés, interdits de sacrement, sont de plus en plus mal vécus et contestés.

Aussi la demande d’un nouveau concile, dans les milieux progressistes, ressurgit-elle régulièrement. Elle vient d’être à nouveau explicitée dans l’excellent ouvrage de la théologienne Christine Pedotti («Faut-il faire Vatican III?» aux éditions Tallandier), qui résume tous les arguments en faveur d’une nouvelle concertation, universelle et décisive, au sommet de l’Eglise.

Des sujets de blocage comme le célibat obligatoire des prêtres ou la contraception avaient été autoritairement retirés de l’ordre du jour de Vatican II. Il est temps aujourd’hui de les affronter, comme ces autres questions urgentes où se joue la crédibilité de l’institution: une décentralisation réelle du pouvoir du pape, des responsabilités plus larges pour les femmes, un discours plus ouvert et positif sur la sexualité et les divorcés.

Il s’agirait aussi de traiter toutes les questions nouvelles soulevées depuis cinquante ans par le progrès des sciences et de la médecine, par la connaissance biologique de l’humain, par la parité hommes-femmes, par la mondialisation, par la répartition des richesses, par les équilibres écologiques.

Autant de sujets qui méritent d’être examinés, non pas à travers des textes solitaires du pape, rédigés dans le secret du Vatican par des conseillers, mais bien à travers une réflexion collective et exigeante comme celle que les «Pères conciliaires» ont eu le courage de mener sur d’autres fronts il y a un demi-siècle. Dès la fin du concile Vatican II en 1965, le grand théologien français Yves Congar, qui en avait été l’un des principaux animateurs, s’était écrié:

«L’ouvrage réalisé est fantastique et, pourtant, tout reste à faire

Henri Tincq

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