Peut-on améliorer la santé des Français sans aggraver le déficit de la sécurité sociale? Sans doute. Car la santé ne dépend pas uniquement du système de soins et, donc, des dépenses de santé.
Selon l'OCDE, elles n'auraient du reste ces dernières décennies contribué que pour 40% à l'augmentation de l'espérance de vie. Les 60% restants proviennent d'autres facteurs comme l'augmentation du pouvoir d'achat, une meilleure alimentation, des logements plus décents, etc.
Réformer le système de santé, c'est, aussi, apprendre à penser «santé» bien au-delà des cases traditionnelles.
1. Réduire les inégalités, en général
Améliorer la santé c'est, d'abord, lutter contre les inégalités. Toutes les inégalités, et pas seulement les inégalités auxquelles on pense en général, autrement dit, les inégalités financières d'accès au système de soins.
Le think tank Terra Nova (proche du Parti socialiste) martèle ce discours dans son récent rapport Réinventons notre système de santé, rappelant notamment que l'espérance de vie des cadres et des ouvriers diffère sensiblement (6 ans pour les hommes et 3 ans pour les femmes, à 35 ans). Et non seulement les cadres vivent plus longtemps, mais ils vivent aussi plus longtemps sans incapacité.
Le phénomène n'est pas spécifiquement français. Les experts de l'OCDE l'ont aussi constaté: plus un pays est inégalitaire, et plus l'état de santé général de sa population s'en ressent. Et, remarquent-ils, «les inégalités de l’état de santé sont largement imputables à des facteurs socio-économiques et s’enracinent principalement en dehors du secteur de la santé».
Explication: les franges les plus modestes de la population sont les plus exposées à certains risques.
Les risques professionnels bien entendu, mais aussi des risques de comportement. Les surconsommations d'alcool et de tabac, les mauvaises habitudes nutritionnelles se révèlent plus répandues en bas de l'échelle sociale.
Mais il semble aussi que l'existence même d'inégalités contribue à la plus mauvaise santé des personnes les plus précaires. Comme si le sentiment de dévalorisation sociale, avec les risques de rupture du lien social qu'il implique, constituait à lui seul un facteur de risque de santé.
Garantir l'accès universel au système de soins est donc une condition nécessaire, mais pas suffisante: c'est à la source qu'il faut lutter contre les inégalités.
Or en ce domaine, beaucoup reste à faire. Ou à refaire. Car la crise économique a fait bondir la précarité, et les inégalités –qui s'étaient résorbées pendant les trente glorieuses– se sont de nouveau creusées.
Qu'importe donc la sensibilité politique des gouvernements: pour améliorer l'état de santé de leur population, il leur faut activement lutter contre les inégalités scolaires, favoriser l'accès aux logements décents, lutter contre l'exclusion sociale... Mais aussi évaluer toutes les politiques publiques (transport, logement, éducation, législation du travail, etc) sous l'angle de leur impact sur la santé.
2. A nouvelles maladies, nouveaux remèdes
Obésité, cancers, addictions (drogues, jeux vidéo, jeux, etc..), TMS (troubles musculo-squelettiques), dépressions, burn out...
Les maladies d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que celles d'hier. Et elles semblent puiser leur source dans des causes environnementales et sociétales.
Améliorer l'état de santé, c'est donc accepter, relève Terra Nova, d'intensifier la recherche sur ces nouvelles maladies pour améliorer leur prévention. Quitte à soulever des questions qui dérangent sur l'organisation de notre vie sociale et des valeurs dominantes.
Car Terra Nova n'y va pas par quatre chemins: puisque les maladies environnementales et sociétales sont, par définition, évitables, les pouvoirs publics ne doivent pas hésiter à mettre des bâtons dans les roues aux acteurs, privés ou publics, qui risquent de les favoriser.
Taxer les sodas, par exemple, c'est bien, juge le think tank. Réguler les publicités, veiller à ne pas populariser des images tronquées de la beauté, intervenir sur les lobbies agroalimentaires, faire payer vraiment les pollueurs, tous les pollueurs... Les pouvoirs publics ont le droit d'avoir une vision précise de ce qu'ils souhaitent et ce qu'ils désapprouvent, même si cela revient à limiter la liberté des forces du marché, recommande, en résumé, le rapport.
3. Faire de la prévention l'affaire de tous
Logique: puisque la santé ne dépend pas que des médecins, mais aussi de facteurs psycho-socio-économiques, une politique efficace de prévention suppose d'intégrer tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent influer sur ces facteurs.
Et notamment l'école et l'entreprise. En la matière, l'école française a beaucoup à faire: non seulement elle semble, d'après toutes les études, renforcer les inégalités sociales plutôt que les raboter, mais elle joue un rôle très négligeable dans la réduction des inégalités sociales à la santé.
Autant dire que des marges de manoeuvre importantes restent dans ce domaine disponibles. Terra Nova recommande notamment un rapprochement entre médecine scolaire et la protection maternelle et infantile.
L'entreprise aussi a un rôle à jouer. Du reste, elle est de plus en plus largement mise à contribution: accidents du travail, prévention des risques de santé... Depuis quelques années, toutes les grandes entreprises doivent aussi mettre en place des plans de prévention des risques psycho-sociaux et ainsi réfléchir aux effets de leur organisation sur la santé de leurs salariés.
Bien souvent, du reste, on se rend compte qu'enrichir le travail et mettre l'humain avant les procédures améliore la santé physique et psychique des salariés. Reste que confier ces sujets à des chefs d'entreprises souvent peu formés à ces problématiques et soumis à une pression concurrentielle importante n'est pas suffisant si la collectivité ne peut pas les assister dans leur réflexion.
Autrement dit: il ne sert à rien de responsabiliser écoles et entreprises si le rôle qu'on leur confie n'est pas intégré à une politique coordonnée de santé publique.
4. Affirmer une véritable politique de santé
En France, la gestion de la santé est largement l'affaire des partenaires sociaux au travers des caisses d'assurance maladie.
L'Etat mène de son côté une action multiple, mais plutôt dispersée. Sans parler des régimes de sécurité sociale différents selon le statut et la branche d'appartenance des assurés.
Bref, la santé manque de stratégie claire. Définir des paniers de soins prioritaires, au-delà des frontières professionnelles ou statutaires, réguler les prix bien sûr, mais aussi contrôler les régimes complémentaires et surtout articuler des différents systèmes de santé (de ville et hospitalière) au niveau régional: autant de pistes d'action largement ouverte à une nouvelle régulation.
La notion de «parcours de santé», particulièrement adaptée aux maladies chroniques qui se développent, est notamment à approfondir, note le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
5. Mettre les idéologies de côté
Il n'y a pas un système de santé idéal, du moins au sein de l'OCDE. C'est le constat auquel est arrivée l'organisation dans un rapport sur l'efficacité des systèmes de santé dans lequel elle a étudié non seulement les dépenses et les indicateurs de santé, mais aussi les pratiques dans les pays membres de son organisation.
Elle les a classés en huit groupes, selon notamment l'importance des mécanismes de marché ou de la régulation publique pour le choix et le financement des prestations de santé. Conclusion: nada, ou presque!
«On retrouve des pays performants dans tous les groupes, ainsi que des pays peu performants dans la plupart des groupes», commentent les experts. Ainsi la Suisse, adepte du «marché» affiche de bons résultats, contrairement à la République slovaque, qui appartient pourtant à la même «famille».
De même, parmi les pays ayant un système de santé public très réglementé, dépourvu de choix des prestataires pour l’usager et assorti d’un système strict de médecin référent, le Danemark ne semble pas très efficient, contrairement à l'Espagne et au Mexique.
Le seul groupe aux résultats homogènes (et bons) est celui composé de la Suède, de l'Islande et de la Turquie, où les usagers ont un large choix de prestataires, mais où l’offre privée est très limitée et les prix strictement réglementés.
Inutile donc d'envisager un «big bang» de son système de santé pour le rendre plus efficace.
Mieux vaut s'inspirer des meilleures pratiques de certains pays au cas par cas: ainsi, le système de médecin référent semble améliorer l'efficacité des soins et réduire les dépenses.
Lorsque les usagers ont une large liberté de choix, leur laisser un plus gros montant à charge pour les dépenses les plus modestes se révèle un bon moyen de limiter l'inflation.
La rémunération à l'acte semble moins efficiente que la rémunération au nombre de patients.
Mais surtout, la qualité de la coordination entre les différents types de soins (médecine de ville/hospitalière/ passage de soins de court terme aux soins de long terme, etc) semble déterminante tant dans la qualité des soins que dans la maîtrise des dépenses. Une conclusion que partage du reste les experts de Terra Nova.
Au total, conclut l'OCDE:
«Si tous les pays devenaient aussi efficients que les plus performants d’entre eux, l’espérance de vie à la naissance pourrait augmenter de plus de deux ans en moyenne dans les pays de l’OCDE avec des dépenses de santé inchangées. L’amélioration de l’efficacité des systèmes de santé se traduirait par une économie importante de dépenses publiques, de près de 2% du PIB en moyenne pour les pays de l’OCDE.»
Certes. Mais ce résultat nécessite un ingrat travail de fourmi.
Catherine Bernard